Bloqué par la Justice européenne, le commerce entre le Maroc et l’UE a été ressuscité suite au renouvellement de l’accord agricole. Décryptage.
La Commission Européenne s’est félicitée, lundi, de ce deal qui vient renforcer un partenariat de longue date.
L’accord a été renouvelé avant l’échéance du sursis accordé par la CJUE, prévue le 4 octobre. Faute d’amendement, les produits marocains n’auraient plus bénéficié de tarifs préférentiels sur le marché européen. Les juges de la CJUE, rappelons-le, avaient confirmé, il y a un an, l’annulation des accords d’agriculture et de pêche tout en les maintenant en vigueur pendant une durée transitoire de 12 mois pour des raisons de sécurité juridique. Autrement dit, il fallait éviter les conséquences désastreuses d’un coup d’arrêt brusque qui aurait été très nuisible aux importateurs européens.
Le nouvel accord prend immédiatement effet en attendant la finalisation des procédures internes des deux parties. Le texte doit être approuvé par le Conseil Européen avant d’être soumis au Parlement.
Les rapports de force au sein de l’hémicycle de Strasbourg penchent en faveur du Maroc, qui compte plusieurs partisans au Parti populaire européen, première force politique, sans oublier les patriotes. Par contre, la gauche et les écologistes restent opposés sous prétexte que l’accord ne respecte pas les arrêts de la CJUE. Des eurodéputés comme Bernd Lange ou Isabel Serra Sanchez font d’ores et déjà monter les enchères. Mais l’extrême gauche européenne reste minoritaire.
Le Maroc préserve ses intérêts
En somme, Rabat et Bruxelles ont renégocié leur accord de la même façon qu’en 2018. Le Maroc a pu tirer son épingle du jeu et préserver ses intérêts.
L’accord comprend les produits issus du Sahara, lesquels porteront un étiquetage mentionnant les provinces du Sud. En gros, les produits du Sahara bénéficieront des mêmes conditions d’accès au marché européen que le reste des produits marocains. Il en est de même pour les tarifs préférentiels accordés par l’UE au titre de l’Accord d’Association.
Ce nouveau compromis conforte la souveraineté marocaine sur le Sahara. Le Chef de la diplomatie marocaine, Nasser Bourita, s’en est félicité. “Ce texte rappelle la position formulée par l’Union Européenne en 2019 sur la question du Sahara marocain, où l’UE prend note positivement des efforts sérieux et crédibles menés par le Maroc”, a-t-il déclaré, soulignant que l’accord “fait également référence aux positions nationales postérieures de nombreux Etats membres de l’UE, exprimant leur appui à l’initiative marocaine d’autonomie”.
La frustration du Polisario
Ce compromis est tombé comme un couperet sur le Polisario qui a fulminé par la voix de ses relais médiatiques. Le front séparatiste a dénoncé le texte qu’il juge illégitime. La frustration est telle que le front voit tout l’effort de son harcèlement juridique auprès des juridictions européennes tomber à l’eau. La saisine de la Cour Européenne de Justice n’aura servi à rien. Le partenariat euro-marocain s’en sort intact.
Le spectre des juges européens !
Ce deal, même s’il est provisoire, permet de préserver les liens de coopération et, surtout, rétablir la confiance entre Rabat et Bruxelles après le coup de la Justice européenne. Un arrêt fortement décrié, même en Europe, par plusieurs personnalités politiques, y compris des eurodéputés, qui l’avaient fustigé comme étant rendu sur la base d’une interprétation biaisée du droit international. Certains ont même contesté la compétence de la Cour qui aurait dépassé le droit européen pour empiéter sur une question qui ne relève guère de sa juridiction. «L’arrêt de la CJUE contient des erreurs flagrantes, et une méconnaissance totale du contexte historique et juridique de la question du Sahara», rappelle Aymeric Chauprade, ancien eurodéputé et fin connaisseur des relations maroco-européennes. Selon lui, ces erreurs ont porté gravement atteinte à la crédibilité du raisonnement proposé dans l’arrêt.
M. Chauprade estime que la Justice européenne a commis l’erreur de reconnaître au Polisario le droit d’ester en Justice au nom des habitants des provinces du Sud bien que sa légitimité de parler en leur nom soit contestée. «Dans son arrêt, la Cour avait précisé que le Front Polisario n’est qu’un interlocuteur privilégié et qu’il n’est pas le représentant légitime de la population sahraouie. Il y a là une contradiction fondamentale qui annule de facto le droit du Polisario d’ester en Justice», conclut notre interlocuteur.
En fait, il fallait trouver une solution, quitte à recourir aux subterfuges juridiques, au moment où le commerce agricole ne cesse de progresser. Le volume global a atteint 7 milliards d’euros en 2024. Les exportations agricoles marocaines à destination de l’UE ont plus que triplé depuis 2012. Sans marge de manœuvre, l’Union Européenne n’a pas eu d’autres choix face à l’intransigeance du Maroc qui n’a cessé de rappeler que sa souveraineté n’est nullement négociable. Gênée par la décision des juges de la CJUE, la Commission est restée attachée à préserver sa coopération avec le Royaume.
La menace des jacqueries qu’on a oubliées !
L’amendement de l’accord agricole n’est pas la fin de l’histoire. L’Europe ne semble pas parler d’une seule voix. D’une part, l’UE chante les louanges de la coopération commerciale et, d’autre part, il n’y a pas assez de garanties pour protéger les produits marocains contre les attaques répétitives des agriculteurs du Vieux continent. Les Européens donnent l’impression de vouloir le beur et l’argent du beur. Bénéficier d’un accès libre à l’agriculture marocaine qui offre le meilleur, avec un ensemble de normes, sans concurrencer les produits locaux. En 2024, il y a eu une série d’attaques contre les convois de marchandises marocaines en France et en Espagne. Les attaques se sont multipliées à tel point que la Confédération Marocaine de l’Agriculture et du Développement Rural (COMADER) a dû porter plainte. Sans oublier les campagnes d’acharnement médiatique. Le “made in Morocco” est devenu le bouc-émissaire de la colère des agriculteurs européens contre la politique commerciale de l’UE.
Le principe de cette retraite est de faire une rétrospective de 30 ans de coopération entre les deux rives de la Méditerranée, sachant qu’on célébrera cette année le 30ème anniversaire du processus de Barcelone au cours duquel les dix pays du Sud de la Méditerranée avaient lancé avec l’Union Européenne un processus d’intégration euro-méditerranéen aux niveaux politique, économique et socio-culturel. Il faut garder à l’esprit que cette réunion s’inscrit dans l’avenir. On cherche un nouveau pacte méditerranéen qui se veut plus inclusif, tenant davantage compte des préoccupations des 380 millions d’habitants méditerranéens qui forment un espace civilisationnel de 44 pays. L’idée est de faire le bilan de ce qui a été fait depuis 30 ans à tous les niveaux, notamment les accords d’association. Le Maroc en a un avec l’UE qui remonte à 2000 et qui nécessite d’être amendé comme ça se fait tous les dix ans. Je rappelle qu’il y a eu beaucoup d’initiatives, que ce soit sur le plan sécuritaire, telles que le 5+5 ou institutionnelles comme l’Union pour la Méditerranée qui soufflera bientôt sa 17ème bougie. Donc, cette retraite a eu vocation de repenser l’intégration des deux rives et leur résilience économique et sécuritaire, et parvenir à une convergence de vue sur les défis communs.
Aujourd’hui, l’accord commercial a été amendé et le Sahara inclus. Quelle conclusion tirez-vous sur le positionnement de l’UE concernant la souveraineté marocaine ?
Je ne pense pas qu’il y ait des divergences. Pour ce qui est du Sahara, qui revient souvent dans les débats, il se trouve qu’il y a des tensions au sein du Parlement européen avec des formations politiques qui pensent qu’il faut débattre du plan d’autonomie. N’oublions pas que la position de l’UE s’appuie sur le Conseil Européen. Il faut donc que l’ensemble des 27 reconnaissent la souveraineté marocaine avec l’appui de leurs forces politiques. Outre cela, le Maroc est le seul pays assez stable pour jouer le rôle de connecteur dans sa région. Par conséquent, il doit être perçu différemment par l’UE. Nous ne sommes plus dans une relation exclusive. Le Royaume a diversifié des partenariats économiques et est devenu aujourd’hui un tremplin vers l’Afrique de l’Ouest où le contexte a changé avec les changements de régime au Sahel. Cela oblige les Européens à repenser leurs cartes.
Il y a un préjugé qui circule actuellement à propos d’un éventuel mécontentement des Européens de l’implantation des industries chinoises au Maroc. L’UE voit-elle cela d’un mauvais œil ?
Cela dépend de chaque pays. L’Espagne, par exemple, ne voit absolument pas ça d’un mauvais œil car elle pourrait en bénéficier. Chacun joue sa propre carte. Il n’y a pas de position européenne là-dessus.
– Le Maroc est en position de force maintenant. Il n’est pas dans la situation d’infériorité commerciale dans laquelle il se trouvait au moment de la négociation des accords. Il peut clairement imposer ses conditions et dire à l’UE que “ce sera avec le Sahara ou rien”. Regardez la position des pays du Conseil de Sécurité. Les Américains reconnaissent la marocanité du Sahara depuis 2020, la France depuis cette année. Tout en étant neutre, la Russie a signé des accords de pêche avec Rabat qui englobent les zones sahariennes. La Chine soutient la marocanité et l’autonomie. La Grande-Bretagne a elle aussi conclu des accords commerciaux avec le Royaume qui englobent les provinces sahariennes avec l’aval de sa Cour suprême. Il n’y a que l’UE qui est empêtrée dans le problème de la CJUE qu’elle s’est créé toute seule !
Y a-t-il aujourd’hui un décalage entre les intérêts de l’UE et le fonctionnement de la Justice européenne ?
– La CJUE joue contre l’intérêt des peuples européens parce que les Etats, d’eux-mêmes, ont cédé une partie de leur souveraineté. Le résultat est que la CJUE en arrive à contredire les décisions combinées des 3 principales institutions européennes : la Commission, le Conseil (les Etats), le Parlement européen (l’expression populaire). Les partenaires de l’UE comme le Maroc se trouvent de facto dans une situation d’insécurité juridique. Ce que veut l’Union et ce sur quoi elle s’engage peut être remis en question par la CJUE. Le Maroc n’aura jamais ce problème avec des Etats souverains, qu’il s’agisse du Royaume-Uni, de la Russie, des Etats-Unis, de la Chine ou de tout autre Etat souverain avec lequel le Maroc peut contracter des accords commerciaux. C’est pour cela que le Maroc a exigé que le Conseil, la Commission Européenne et les Etats membres de l’UE prennent les mesures nécessaires pour respecter leurs engagements internationaux.
Quel effet l’arrêt de la CJUE a-t-il eu sur le plan politique ?
– La décision de la CJUE a créé de facto une grave instabilité juridique dans la relation entre le le Royaume et l’Union. Le Maroc est, en effet, en droit de considérer que l’UE n’est plus un partenaire fiable. La réalité c’est que la décision de la CJUE s’est imposée aux Etats européens quoiqu’ils disent. En d’autres termes, l’Union Européenne s’est tirée une balle dans le pied ! Elle a sabordé des accords qui lui étaient devenus plus utiles qu’au Maroc lui-même