​Afrique, économie moderne et intelligence artificielle : entre promesses d’avenir et risques de fractures

Cap sur la dignité augmentée

L’intelligence artificielle n’est pas une fin en soi. C’est un outil, un levier, une opportunité. Entre nos mains, elle peut devenir un moteur de transformation pour l’Afrique — mais pas une transformation déconnectée de nos réalités. Pas une modernisation qui oublie l’essentiel. Pas une course technologique qui laisse l’humain derrière.
     
Au Maroc, comme ailleurs sur le continent, l’IA interpelle nos choix stratégiques, nos modèles de développement, notre capacité à concevoir une transformation numérique inclusive, souveraine et enracinée. Le déploiement massif de l’IA dans les services publics, la santé, l’éducation ou encore la culture, nécessite bien plus que des investissements techniques : il suppose un changement de paradigme, une nouvelle épistémologie de l’action, une refondation de nos systèmes éducatifs, économiques et sociaux.

Vers une souveraineté numérique africaine

Comme nous le soutenons dans nos conférences et publications, la question de l’intelligence artificielle en Afrique ne peut être abordée sans poser celle de la souveraineté numérique. Il ne s’agit plus seulement de maîtriser des outils, mais de définir un cadre de développement technologique aligné sur nos valeurs, nos priorités et nos contextes culturels.

L’Afrique ne doit pas simplement adapter des solutions importées — elle doit inventer son propre modèle d’intelligence artificielle, interconnecté mais souverain, enraciné dans ses réalités linguistiques, sociales et territoriales.

Au Maroc, les premières initiatives nationales autour de “IA Maroc” et de “Maroc Digital 2030” montrent la volonté d’inscrire ces transformations dans une stratégie cohérente. Mais au-delà des documents de référence, c’est une vision systémique qu’il faut défendre : articuler données, infrastructures, compétences et gouvernance, avec un souci constant d’éthique, de justice et d’inclusion.

Une IA pour et par l’Afrique

L’IA peut changer la donne si elle est pensée dans le bon sens, si elle est mise au service des besoins de notre continent. Elle peut rendre l’apprentissage plus intelligent, plus adapté à chaque élève — y compris dans les zones reculées. Elle peut améliorer l’accès à la santé en anticipant les risques, en facilitant les diagnostics. Elle peut rendre nos administrations plus fluides, plus efficaces, plus proches du citoyen.

Mais surtout, l’IA peut faire émerger des talents. Elle peut connecter la jeunesse africaine au monde, ouvrir des perspectives nouvelles à ceux qui se sentent aujourd’hui exclus du progrès. À condition que nous soyons les auteurs de cette transformation, pas ses spectateurs. Car si nous restons de simples utilisateurs, l’IA deviendra une source de fracture algorithmique : une ligne de faille entre ceux qui comprennent et ceux qui subissent ; entre ceux qui programment et ceux qui dépendent.

Le risque d’un colonialisme algorithmique

Le risque est réel : celui d’un nouveau colonialisme, pas militaire, pas économique, mais algorithmique. Un système où les décisions sont prises par des modèles conçus ailleurs, selon d’autres logiques, d’autres cultures. Un système qui remplace sans former, qui impose sans dialogue, qui automatise sans humaniser.

Ce n’est pas seulement de transformation digitale ou de modernisation économique qu’il faut parler. Il faut poser la question de l’appropriation cognitive, de la compréhension, de l’éducation, de la justice technologique. Il ne suffit pas de former une élite technologique — il faut que chaque citoyen africain comprenne ce qu’est l’IA, comment elle fonctionne, et pourquoi elle doit être maîtrisée.

Une intelligence enracinée, plurielle, éthique

C’est là que notre responsabilité est immense. Il faut former notre jeunesse non seulement à utiliser l’IA, mais à la concevoir, à la questionner, à la modéliser. Il faut équiper nos territoires non seulement en matériel, mais en contenus, en culture scientifique, en compétences interdisciplinaires. Il faut sensibiliser les décideurs, les enseignants, les familles, les communautés.

Il est temps de construire une intelligence artificielle enracinée, polyphonique, éthique. Une IA qui respecte nos langues, nos valeurs, nos priorités. Une IA qui sait ce qu’est une école sans électricité, une maternité sans médecin, un village sans réseau. Une IA qui s’adapte à l’Afrique, et non l’inverse.

Une révolution à écrire ensemble

L’Afrique n’a pas besoin d’une IA importée, déconnectée, formatée. Elle a besoin d’une IA pensée par elle, pour elle, avec elle. Une IA qui remet l’humain au centre, qui valorise au lieu d’effacer, qui élève au lieu d’exclure, qui libère au lieu d’enfermer. Une IA qui, comme nous l’avons démontré dans nos travaux sur le paradigme systémique et l’entreprise intelligente, s’intègre dans un modèle de transformation fondé sur l’intelligence collective, l’alignement stratégique, et la souveraineté informationnelle.

La révolution est déjà là. La seule question est de savoir si nous voulons en être les acteurs ou les oubliés.

 

*Dr Az-Eddine Bennani , Expert IA et transformation numérique – Universités marocaines Auteur de Le Maroc à l’ère de l’intelligence artificielle – Souveraineté, inclusion et transformation systémique.

*Mr Jérôme Ribeiro, Fondateur de Human AI – Conférencier international – Expert en éthique de l’intelligence artificielle et inclusion numérique.

Cet article est issu d’un dialogue entre Mr Jérôme Ribeiro, fondateur de Human AI, et Dr Az-Eddine Bennani, expert en intelligence artificielle, transformation numérique et souveraineté informationnelle. Il prolonge une série de réflexions partagées dans nos conférences, publications et interventions sur le continent africain, notamment au Maroc.

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