Le ministre de l’Agriculture, Ahmed El Bouari, dévoile les réformes clés pour répondre aux défis agricoles du Maroc, entre sécheresse, gestion hydrique et équité sociale.
Le secteur agricole marocain se trouve à la croisée des chemins face à des défis croissants liés à la sécheresse, à la hausse des coûts de production et à la pression sur les ressources naturelles.
De récentes interventions d’Ahmed El Bouari, ministre de l’Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural et des Eaux et Forêts, lors de la séance des questions orales au sein de la Chambre des Conseillers, mettent en lumière les efforts du gouvernement pour réorienter les politiques agricoles, tout en faisant face à des critiques concernant l’équité sociale et environnementale.
Dans un contexte marqué par des années de sécheresse successives et des perturbations des chaînes d’approvisionnement, le gouvernement a mis en place une série de mesures pour garantir la sécurité alimentaire. Lors de ses récentes déclarations, Ahmed El Bouari a souligné l’importance de poursuivre, pour la deuxième année consécutive, la promotion de cultures stratégiques comme la pomme de terre, la tomate et l’oignon, sur une superficie prévue de 110.000 hectares.
Parmi les initiatives phares, 1,3 million de quintaux de semences certifiées de céréales ont été subventionnés et mis à disposition à des prix inférieurs à ceux de l’année précédente, atteignant 550.000 quintaux de ventes. En parallèle, pour la première fois, les semences certifiées de légumineuses alimentaires et fourragères ont bénéficié de subventions allant de 20 % à 26 % du prix de vente. Cette stratégie s’accompagne d’un soutien accru à l’utilisation des engrais phosphatés et azotés, essentiels pour les cultures, et d’un programme ambitieux d’assurance climatique couvrant un million d’hectares.
Ces efforts ont permis de semer 2,57 millions d’hectares en céréales et légumineuses, dont 10 % en irrigué, tout en favorisant une mécanisation accrue des terres. Cependant, le ministre a insisté sur l’importance du semis direct, visant 260.000 hectares cette année et un million d’hectares d’ici 2030, pour améliorer la résilience face aux aléas climatiques.
Redynamiser le cheptel national
Le cheptel national a également été durement touché par les sécheresses répétées et l’augmentation des coûts d’alimentation animale. Cette situation a engendré une baisse significative des effectifs, menaçant l’approvisionnement en viande rouge. Pour y remédier, le gouvernement a adopté une approche en deux volets : assurer un approvisionnement régulier des marchés nationaux et structurer durablement le cheptel.
En 2024, plus de 120.000 bovins et 800.000 ovins ont été importés pour répondre à la demande nationale. Ces mesures, combinées à l’interdiction de l’abattage des femelles destinées à la reproduction et à des campagnes de vaccination massives couvrant 19 millions d’ovins et caprins et 1,4 million de bovins, visent à préserver et renforcer les ressources locales.
Le ministre a également mis l’accent sur la valorisation des races locales, telles que la Sardi, la D’man, la Béni Guil et la Timahdit, qui jouent un rôle crucial dans les filières viande et lait.
Une mise au point nécessaire
Face aux critiques croissantes concernant l’utilisation des ressources hydriques pour les cultures d’exportation, Ahmed El Bouari a qualifié ces accusations de « clichés ». Selon le ministre, les terres agricoles dédiées à l’exportation ne représentent qu’1 % des surfaces cultivables et consomment environ 500 millions de mètres cubes d’eau, alors que le Maroc importe l’équivalent de 9 milliards de mètres cubes en produits alimentaires. Cette réponse met en lumière la complexité du débat sur l’impact environnemental de l’agriculture d’exportation et la nécessité de stratégies de communication claires pour apaiser les tensions.
Ahmed El Bouari a indiqué qu’une dotation hydrique de 713 millions de m³ a été allouée aux grands périmètres irrigués, permettant ainsi le lancement des opérations d’irrigation avec des niveaux variables dans les zones de Loukkos, Gharb, Moulouya, Tafilalet et Ouarzazate, tandis que l’irrigation demeure limitée dans la région de Tadla. En revanche, pour les périmètres irrigués de Doukkala, Al Haouz et Souss-Massa, l’irrigation reste suspendue, son démarrage étant conditionné par une amélioration des réserves en eau des barrages.
Le ministre a précisé que les récentes précipitations dans certaines régions ont contribué à une amélioration relative de la situation hydrique dans quelques grands périmètres. Concernant le déficit en ressources hydriques dans plusieurs zones irriguées, El Bouari a souligné que son département a pris des mesures en coordination avec les parties concernées, visant à rationaliser l’usage des eaux d’irrigation et à optimiser leur exploitation, dans l’objectif de garantir le succès de la campagne agricole en cours.
L’équité sociale, talon d’Achille des réformes agricoles
Malgré les avancées, les conditions de travail des ouvriers agricoles continuent de susciter de vives critiques. Maryem El Halwani, conseillère parlementaire de l’Union Marocaine du Travail, a dénoncé les bas salaires et l’exploitation des travailleurs agricoles, notamment les femmes. Elle a mis en lumière des pratiques telles que le travail à des salaires journaliers inférieurs à 80 dirhams, des horaires de travail excessifs et l’absence de protection sociale adéquate.
Elle a appelé à des réformes profondes pour garantir des conditions de travail décentes, réduire les inégalités salariales entre hommes et femmes, et assurer la couverture sociale de tous les travailleurs. « Le succès d’une saison agricole ne peut se construire sur la souffrance des ouvriers », a-t-elle martelé, soulignant l’importance de concilier performances économiques et justice sociale.
Vers une agriculture durable et inclusive
Le ministère de l’Agriculture semble déterminé à relever les défis en combinant des solutions techniques, telles que l’optimisation des ressources et la modernisation des pratiques agricoles, avec des mesures sociales et économiques. Cependant, la durabilité du modèle agricole marocain nécessite une attention accrue à l’équité sociale et une gestion prudente des ressources naturelles.
Alors que les ambitions agricoles du Maroc s’orientent vers une production résiliente et compétitive, le véritable enjeu réside dans l’équilibre entre performances économiques, préservation de l’environnement et amélioration des conditions de vie des acteurs du secteur.