À l’approche de l’Aïd Al-Adha, qui tombe le 7 juin prochain, la fièvre d’achat a d’ores et déjà gagné les consommateurs, entraînant l’écoulement de la viande ovine et des abats, sur fond de crise liée à la régression du cheptel. Les appels à la solidarité sociale se multiplient, pour renoncer au sacrifice conformément aux Orientations Royales. Décryptage.
Conscient de l’importance de cette fête sur les plans religieux, familial et social, le Souverain a rassuré qu’il accomplira, en Sa qualité de Commandeur des Croyants, ce rite au nom du peuple, l’invitant toutefois à continuer à célébrer l’Aïd Al-Adha selon ses rituels habituels. L’appel Royal très attendu a ainsi raisonné tel une note de soulagement pour une grande partie de la population, en particulier ceux à revenu limité. Cela étant que nombre d’entre eux affirment avoir acheté le mouton ces dernières années pour se conformer à l’ambiance générale, malgré la détérioration de leur pouvoir d’achat. Mais qu’en est-il réellement du comportement général à l’approche de l’Aïd ?
À près de deux semaines de l’Aïd, selon le ministère des Affaires islamiques, l’offre en moutons explose dans les marchés hebdomadaires. Les éleveurs y mettent en vente les bêtes spécialement préparées pour l’abattage rituel, dans l’espoir de les écouler à des prix compétitifs afin d’éviter toute perte. “Les éleveurs répondent ainsi à la demande croissante des bouchers mais également à celle de certaines familles souhaitant acheter le mouton prétextant une célébration familiale, pour accomplir le sacrifice bien avant le jour j”, nous raconte un éleveur qui affirme avoir écoulé des moutons à des bouchers à des prix à perte.
C’est dans cette perspective que les autorités locales durcissent le contrôle sur les marchés hebdomadaires et les abattoirs. Une source autorisée a indiqué que des commissions de contrôle, incluant notamment la Gendarmerie Royale, mènent des opérations de contrôle dans les marchés afin de rappeler aux citoyens l’appel Royal et de les inciter à s’abstenir d’acheter le mouton de l’Aïd.
Dans la foulée des mesures prises pour renforcer l’adhésion de la population à l’appel solennel de Sa Majesté, les abattoirs seront fermés pendant les deux jours fériés de l’Aïd, alors que le fonctionnement normal reprendra dès la fin des festivités. Cela dit, contrairement à la tradition, aucun service ne sera assuré durant les deux jours de l’Aïd, notamment le dispositif spécial habituellement mis en place pour permettre aux citoyens de faire appel à des bouchers professionnels agréés dans le cadre du rituel sacrificiel. De même, tout commerce lié au sacrifice de l’Aïd a été interdit, par exemple à Casablanca, notamment la vente des moutons, du charbon, du foin et l’aiguisage de couteaux entre autres.
Dépassés par la demande, les bouchers s’efforcent, pour leur part, à proposer une offre étoffée, à même de satisfaire l’attachement profond des Marocains à la viande ovine, indissociable de l’atmosphère traditionnelle de l’Aïd. Un boucher du quartier Hassan de Rabat soulève une explosion sans précédent de la demande sur les abats de mouton. Foie ovin, la «douara», les têtes et les pattes des moutons, très prisés à l’occasion de l’Aïd, ont été l’objet de toutes les convoitises, provoquant une hausse spectaculaire des prix, enjeu même de l’annulation du sacrifice de l’Aïd cette année. “La douara a vu son prix atteindre des niveaux jamais vus allant jusqu’à 800 dirhams au lieu de 200 ou 250 dirhams auparavant”, s’est alarmé Hicham Jouabri, Secrétaire régional des commerçants de viandes rouges en gros à Casablanca.
Le prix du foie ovin coûte quant à lui 250 dirhams sur le marché contre moins de 150 dirhams habituellement. De même pour les pâtes et la tête de mouton qui coûtent plus de 300 dirhams. Selon un boucher, le prix des abats et encore de la viande ovine obéit au principe de l’âge de l’agneau et encore son prix d’achat demeure élevé. Cette tendance ne relève pas du hasard, du moins selon les bouchers, qui expliquent la hausse des prix par l’attrait pour la viande de mouton jeune, généralement plus chère.
«À la différence des moutons plus âgés, les jeunes sont achetés à des prix élevés sur le marché, ce qui impacte directement le prix de vente final, qui se maintient à 120 dirhams le kilo, contre 80 à 70 dirhams pour les plus âgés moins prisés par les clients», explique un boucher à Rabat.
Une véritable épreuve de solidarité
Dans ce contexte, les professionnels s’attendent bel et bien à une nouvelle flambée des prix dans les jours précédant l’Aïd. Et pour cause, la fièvre consumériste a, malheureusement, emporté la sagesse collective et l’esprit de solidarité prônés par les plus hautes autorités du pays.
Pire, la demande soutenue en viande ovine et en abats devrait entraîner une intensification des opérations d’abattage, au risque de compromettre la situation du cheptel national, dont la reconstitution fait l’objet d’un programme de soutien multidimensionnel.
Cela dit, il faut le souligner, l’Aïd de cette année s’annonce comme une véritable épreuve des principes de solidarité sociale et d’intérêt collectif. La population est appelée à faire preuve de responsabilité et de discipline en suivant les recommandations de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, rappelle Mohcine El Yermani, chercheur en «Aqida» et en religion comparée. Il souligne, en outre, que cet engagement, aligné sur les principes de l’Islam, devrait certainement avoir des retombées favorables, notamment la réussite des efforts de reconstitution du cheptel et, par conséquent, une réduction des prix de la viande, dont la hausse ne cesse de peser sur le pouvoir d’achat des plus démunis, rassure El Yermani.
Comment qualifiez-vous l’offre en viandes rouges lors de ces dernières semaines ? La viande rouge est disponible en quantité abondante sur le marché, notamment la viande de veau, suite au recours du Maroc à l’importation. En revanche, l’offre en viande ovine est très limitée par rapport à la demande, d’où l’importance de la décision Royale concernant le rite du sacrifice, ainsi que le programme de reconstitution du cheptel national. Après la décision de Sa Majesté, les prix de la viande ovine ont connu une baisse notable, atteignant leur niveau d’avant 2022, tant pour les ovins marocains que pour ceux importés. Toutefois, elle a vu son prix grimper cette semaine atteignant jusqu’à 120 dirhams en raison de l’afflux massif des Marocains vers les bouchers. L’ovin a également enregistré une hausse de 1.500 à 2.000 dirhams par tête sur le marché.
A quel point le comportement des consommateurs est-il en mesure de nuire aux efforts de reconstitution du cheptel en cours de déploiement ? – Il faut savoir que chaque «douara» vendue implique l’abattage d’un ovin, contribuant ainsi à la régression du cheptel. Il suffit donc d’imaginer le nombre de «douaras» écoulé pour comprendre à quel point le comportement d’une certaine frange de la population va à l’encontre de la politique de reconstitution du cheptel. Pour faire face à cette réalité, des mesures strictes doivent être prises, visant à interdire la vente et l’abattage des moutons dans les marchés hebdomadaires, lieux très prisés, tant par les bouchers que par les consommateurs. Pourquoi ne pas envisager également l’interdiction d’accès des moutons aux abattoirs, au moins une semaine avant le jour de l’Aïd afin de suspendre les opérations d’abattage et donc atteindre l’objectif escompté de l’appel Royal : le renforcement du cheptel national.
L’appel Royal, lancé sur fond de crise du secteur agricole après des années de sécheresse, est d’une sagesse indéfectible, car il permet de rationaliser les ressources et de favoriser le développement durable, ajoute notre interlocuteur. Il s’inscrit également dans la volonté de faciliter les choses et de lever l’embarras, particulièrement pour les familles les plus démunies, ce qui constitue le cœur de la «Chariaa», fondée sur la facilité (taysir) dans l’accomplissement de la «Sunnah».
En outre, malgré l’annulation du rite du sacrifice, les autres rites de l’Aïd sont maintenus, tels que le bain rituel (ghusl), la prière dans les «moussalas», les échanges de visites, ainsi que la générosité envers les proches et les personnes démunies en ce jour béni.
Cela dit, «l’annulation du rituel du sacrifice n’entame en rien les autres finalités que vise la «Sunnah» de l’Aïd, telles que la purification de l’âme, la piété, et le renforcement de l’esprit de solidarité et de tolérance», conclut notre expert.
Il s’articule d’abord autour de l’allégement de dettes au profit de 50.000 éleveurs, pour un coût global de 700 millions de dirhams. Il prévoit l’annulation de 50% du capital et des intérêts pour les dettes inférieures à 100.000 dirhams (75% des bénéficiaires). A cela s’ajoutent l’annulation de 25% pour les dettes comprises entre 100.000 et 200.000 dirhams (11% des bénéficiaires) et le rééchelonnement des dettes supérieures à 200.000 dirhams, avec exonération des intérêts de retard.
Par ailleurs, une enveloppe de 2,5 milliards de dirhams sera consacrée au soutien des aliments pour bétail. Ainsi, une subvention de 1,5 dirham par kilogramme sera accordée pour l’orge (7 millions de quintaux), et une autre de 2 dirhams/kg pour les aliments composés destinés aux ovins et caprins.
De plus, 8 millions de brebis et chèvres seront identifiées d’ici mai 2026. Pour encourager la conservation des femelles reproductrices, le gouvernement allouera une aide directe de 400 dirhams par femelle identifiée et non abattue. Ce soutien sera versé en étroite collaboration avec le ministère de l’Intérieur.
En complément, un budget de 150 millions de dirhams sera alloué à la vaccination et au traitement de 17 millions de têtes contre les maladies liées à la sécheresse. Une enveloppe de 50 millions de dirhams sera également dédiée à l’encadrement des éleveurs, dans l’objectif d’améliorer la génétique du cheptel.