​Algérie : Nacer El-Djen limogé de la DGSI

Le général Abdelkader Haddad, alias « Nacer El-Djen », tombeur devenu tombé. Celui qui lui succède, le général-major Abdelkader Ourabia, alias Hassa, était tombé il y a dix ans. Après un passage par la case prison, il se relève de sa longue torpeur.

Le général Abdelkader Haddad, plus connu sous son sinistre surnom de « Nacer El-Djen », vient d’être brutalement éjecté de l’appareil sécuritaire algérien. Sa chute est aussi spectaculaire que cruelle : celui qui régnait naguère en maître sur les services de la Sécurité intérieure a désormais un pied dans la prison militaire de Blida, où il risque de passer un très long séjour.

La cause immédiate de sa disgrâce ? L’enlèvement rocambolesque de l’écrivain Boualem Sansal à son arrivée à l’aéroport Houari-Boumediene d’Alger, le 16 novembre dernier. Une opération qu’il aurait supervisée personnellement, sur la base d’un rapport truqué qu’il aurait lui-même transmis au président Abdelmadjid Tebboune. Dans ce document falsifié, Haddad prétendait que Sansal représentait une menace pour la sécurité nationale et devait être immédiatement arrêté et déféré devant la justice. Une justice de téléphone, évidemment, où la loi s’efface devant les ordres.

Mais cette fois, le stratagème s’est retourné contre son auteur. À l’intérieur même du sérail, le climat a changé. Les alliances bougent, les fidélités se dissolvent, les règlements de compte s’enchaînent. Et celui que l’on redoutait comme l’un des plus cruels exécutants de la décennie noire se retrouve abandonné par ses pairs. Pire encore : ce soir, s’il dort encore chez lui, il ne dormira pas tranquille. Il attend, à tout moment, le claquement d’une portière, des pas dans l’escalier, le fracas d’une perquisition. Il sait qu’il sera bientôt conduit vers les mêmes cellules où il faisait torturer, il y a quelques années encore, des innocents accusés sans preuve. La roue de l’histoire tourne, et elle n’a aucune pitié.

Ironie cruelle du destin : Haddad risque aujourd’hui de faire face à des interrogateurs et des juges qui, hier encore, lui obéissaient au doigt et à l’œil. Ces mêmes subalternes à qui il dictait la conduite à suivre, les tortures à infliger, les disparitions à orchestrer. L’ancien bourreau est désormais à la merci de ses anciens instruments.

Lors du Hirak, ce soulèvement populaire qui ébranla les fondements de la voyoucratie algérienne, Nacer El-Djen avait senti le vent tourner. Ni une ni deux, il s’était envolé pour l’Espagne, où il avait acquis une luxueuse résidence — achetée, selon certaines sources, avec l’argent du sang versé pendant la décennie noire : primes occultes, détournements, liquidations. Une planque dorée pour un homme couvert de sang. Mais l’exil ne dura pas. Rassuré par la reprise en main du pouvoir par les réseaux militaro-sécuritaires, il rentra discrètement au pays. Il sut se rendre utile, se faire oublier, puis se réintroduire.

En quelques mois, il regrimpe les échelons, gagne en galons, devient général à part entière, et prend la tête de la direction de la Sécurité intérieure. Un poste stratégique, où il accède au saint des saints : le Haut Conseil de Sécurité, cercle restreint des décideurs ultimes. Il pense avoir consolidé son pouvoir. Il se croit intouchable. Il se pavane à nouveau.

Mais cette illusion de toute-puissance ne durera qu’un an. Juste le temps que les équilibres internes basculent, que les clans rivaux reprennent l’ascendant. Et le voilà aujourd’hui précipité de son piédestal, victime du système impitoyable qu’il a lui-même contribué à bâtir.

La prison de Blida, qu’il a tant de fois utilisée comme instrument de répression, l’attend désormais. L’homme qui incarnait l’ombre, la peur, la brutalité froide du régime algérien, s’apprête à goûter à son propre poison.
 

Un ancien bagnard à la succession
À peine le général Abdelkader Haddad, alias « Nacer El-Djen », éjecté de la direction de la Sécurité intérieure, qu’un autre personnage tout aussi sulfureux reprend le flambeau : le général-major Abdelkader Ourabia, plus connu sous son nom de guerre, « Hassan ». Un nom qui inspire la terreur à ceux qui connaissent les arcanes les plus sombres de l’armée algérienne, tant il est associé aux pratiques les plus brutales des années de plomb.

L’ironie est glaçante : Hassan est un ancien détenu militaire. Il a lui-même séjourné pendant cinq longues années dans l’établissement pénitentiaire de Blida, cette même prison qui guette désormais son prédécesseur. Durant la décennie noire des années 1990, il dirigeait le tristement célèbre escadron de la mort du Centre Principal Militaire d’Investigation (CPMI) de Ben Aknoun, véritable centrale de torture nichée sur les hauteurs d’Alger. C’est là que se sont illustrés les pires bourreaux des services de sécurité, dont justement Nacer El-Djen. Une macabre filiation.

Avant sa chute en 2015, Hassan avait gravi les échelons du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), notamment en tant que chef du Service de coordination opérationnelle et du renseignement antiterroriste (SCORAT). Il était alors un proche du général Mohamed Mediene, dit « Toufik », tout-puissant patron du DRS jusqu’à sa disgrâce.

Mais le vent tourne vite dans les couloirs obscurs du pouvoir algérien. Le 27 août 2015, Abdelkader Ourabia est arrêté chez lui et transféré dès le lendemain devant le tribunal militaire de Blida. Accusé de « destruction de documents » sensibles et « infraction aux consignes militaires », il est placé en détention. Son dossier est ensuite transféré au tribunal militaire d’Oran, conformément à l’article 30 du Code de justice militaire, qui stipule qu’un officier supérieur au grade de capitaine doit être jugé hors de sa zone d’affectation. À l’issue de son procès, il écope de cinq ans de prison ferme.

Condamné, incarcéré, puis libéré dans la discrétion, il revient aujourd’hui dans les plus hautes sphères sécuritaires comme si de rien n’était. Une résurrection militaire qui en dit long sur la nature profondément déliquescente du régime. Comme si, au sein d’une armée de plus de 520 000 hommes, on ne parvenait pas à désigner un responsable au passé propre, à la probité intacte, au casier judiciaire vierge.

Ce retour en grâce d’un ancien chef de la terreur institutionnalisée jette une lumière crue sur l’état d’une institution militaire gangrenée par l’impunité. Il confirme que, dans l’Algérie des généraux, la récidive n’est pas un obstacle à la promotion. Bien au contraire : elle est souvent une condition de loyauté. Ceux qui ont du sang sur les mains sont jugés plus fiables que ceux qui ont gardé les leurs propres. Dans cette armée-là, ce n’est pas la compétence qui prévaut, ni même la discipline, mais le passé partagé dans le crime et le silence.

La nomination du général Hassan n’est pas seulement une aberration judiciaire ou morale. Elle est le reflet fidèle d’un système verrouillé, où les responsabilités les plus sensibles sont confiées non pas à ceux qui protègent la nation, mais à ceux qui savent jusqu’où on peut aller pour protéger le régime.

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