AMO : Pourquoi 70 % des dépenses vont au secteur médical libéral ?

Au Maroc, les chiffres parlent d’eux-mêmes : près de 70 % des dépenses des caisses de l’Assurance Maladie Obligatoire (AMO) sont absorbées par le secteur médical libéral, contre à peine 30 % pour le secteur public. Une disproportion qui interroge. 

Est-ce le signe d’un système libéral attractif, ou celui d’un service public de santé défaillant ?

Un secteur libéral devenu le premier recours des patients

Derrière ces chiffres, se cache une réalité sociologique et culturelle.

Les Marocains, dès qu’ils en ont les moyens — ou la couverture — se tournent vers le privé.

Pourquoi ?

Parce que le secteur libéral a su offrir ce que beaucoup d’hôpitaux publics n’arrivent plus à garantir : rapidité, disponibilité et écoute.

Les délais d’attente dans les hôpitaux publics sont souvent décourageants.

Une IRM peut prendre plusieurs semaines voir plusieurs mois, une consultation spécialisée parfois plus d’un mois.

Dans le privé, le rendez-vous est obtenu dans la journée ou le lendemain.

Le temps d’écoute est plus long, l’environnement plus accueillant, et la discrétion garantie — trois éléments essentiels dans le rapport de confiance entre médecin et patient.

L’autre atout du secteur libéral, c’est la qualité du plateau technique : radiologie moderne, laboratoires performants, blocs opératoires bien équipés.

Souvent, ces infrastructures privées ont investi massivement dans la technologie et la formation, là où le public peine encore à suivre le rythme.

Le public : un système sous tension

Le secteur public de santé au Maroc souffre de plusieurs failles structurelles.

Les professionnels y sont souvent surchargés, sous-payés et démotivés.

Les équipements sont obsolètes, les consommables parfois manquent, et les procédures administratives sont longues.

L’accueil n’est pas toujours à la hauteur des attentes, faute de formation ou simplement par épuisement du personnel.

Pourtant, les médecins et infirmiers du public sont souvent dévoués, compétents, et portés par un profond sens du service public.

Mais sans moyens, sans reconnaissance et sans perspectives d’évolution, leur efficacité reste bridée.

Les conditions de travail sont telles que le secteur public perd ses talents au profit du privé ou de l’étranger.

Comment rééquilibrer la balance ? 

Ramener ce ratio à 50 % – 50 % entre public et privé n’est pas impossible.

Mais cela nécessite une stratégie volontariste, structurée autour de cinq leviers majeurs :

1. Moderniser le plateau technique public

Investir dans les équipements, la maintenance, et la digitalisation des services.

Les patients doivent pouvoir faire une IRM ou un scanner dans un hôpital public sans attendre des semaines.

2. Humaniser l’accueil et fluidifier les rendez-vous

Former les équipes à la communication et instaurer des systèmes de prise de rendez-vous en ligne accessibles et efficaces.

Le sentiment d’abandon est souvent ce qui pousse le patient vers le privé.

3. Revaloriser les salaires et les conditions de travail

Donner aux médecins et aux infirmiers du public un statut attractif, avec une rémunération décente, des primes de performance et des formations continues.

4. Renforcer la gouvernance et la transparence

Moins de bureaucratie, plus d’autonomie de gestion pour les hôpitaux régionaux.

Les directeurs d’hôpitaux doivent être responsabilisés et évalués sur la qualité des soins.

C’est à ce niveau que devraient intervenir la haute autorité de la santé (HAS) et les groupements sanitaires territoriaux ou régionaux. 

5. Créer des passerelles public-privé

Favoriser les partenariats mixtes : consultations externalisées, partage d’équipements, contrats de prestation.

Ce modèle hybride existe déjà dans plusieurs pays, avec succès.

 
AMO : une manne inégalement répartie entre médecins libéraux

Mais cette manne financière issue de l’AMO ne profite pas à tous les médecins du secteur libéral.

Loin de là.

Elle est largement concentrée dans certaines spécialités à forte activité remboursable : radiologie, biologie, cardiologie, gynécologie, chirurgie, et certaines cliniques polyvalentes.

Les médecins généralistes, les psychiatres, les pédiatres de proximité, ou encore les médecins généralistes, peinent à en tirer un bénéfice équitable.

Leurs actes, moins bien valorisés dans la nomenclature, ne sont pas toujours remboursés à la hauteur de leur importance médicale.

Ainsi, l’AMO nourrit un secteur libéral à deux vitesses :
d’un côté, des spécialistes bien équipés, intégrés dans les circuits de remboursement ;
de l’autre, des praticiens de terrain marginalisés économiquement, malgré leur rôle fondamental dans le suivi des patients chroniques.

 
Vers une politique de santé plus équilibrée

Le Maroc ne manque pas de médecins compétents. Il faut manque peut être de la  volonté politique.

Ce qu’il faut, c’est repenser la répartition des ressources :
investir aussi bien dans les hôpitaux que dans la médecine de proximité,
dans la prévention autant que dans le curatif,
et dans la confiance autant que dans les chiffres.

Réduire la dépendance de l’AMO au secteur libéral ne doit pas être une punition pour le privé,
mais une reconquête du service public de santé, au bénéfice de tous les Marocains.

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