Biodiversité : Quand le Maroc prend les rapaces sous son aile [INTÉGRAL]

Présentée à Abou Dhabi, la Stratégie nationale pour la conservation des oiseaux de proie place le Maroc au cœur des efforts méditerranéens pour protéger douze espèces emblématiques.

À Abou Dhabi, le 13 octobre 2025, lors du Congrès mondial de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui a connu la participation de SAR la Princesse Lalla Hasna en tant qu’invitée d’honneur, le Maroc a de nouveau affirmé sa place parmi les pays engagés dans la protection de la biodiversité. En marge des travaux, l’Agence Nationale des Eaux et Forêts (ANEF) y a présenté la première Stratégie nationale pour la conservation des oiseaux de proie, élaborée avec le soutien de l’UICN-Med et du Groupe AFD. Ce plan, salué par la communauté internationale, traduit une ambition claire : préserver ces oiseaux emblématiques et restaurer leur rôle écologique dans les paysages marocains. Selon le communiqué officiel, cette stratégie est «le fruit d’un travail scientifique rigoureux et d’un processus participatif réunissant chercheurs, experts et ONG». Elle constitue «une feuille de route ambitieuse pour la protection et le retour durable des rapaces au Maroc» et marque une première en Afrique du Nord.
 
Une stratégie ambitieuse
Le mois précédent, le 5 septembre 2025, l’UICN et l’ANEF avaient présenté à Tanger la stratégie et son plan d’action 2024-2034, lors de la Foire ornithologique de Jbel Moussa. Le communiqué diffusé à cette occasion insistait sur la portée de ce cadre décennal, conçu pour «améliorer la préservation de douze espèces de rapaces et consolider le rôle du Maroc comme corridor vital des migrations». Le texte rappelle que le pays, situé sur la principale voie migratoire entre l’Europe et l’Afrique, «joue un rôle vital pour plus de 300.000 rapaces chaque année», mais que ces espèces sont «confrontées à de multiples menaces : électrocution sur les lignes électriques, collision avec les éoliennes, dégradation des habitats, risque d’empoisonnement ou encore braconnage». Cette feuille de route, issue d’un travail concerté entre institutions, ONG et acteurs locaux, prévoit aussi la mise en place d’un réseau de centres de soins «contribuant à la réhabilitation et à la réintroduction dans la nature des spécimens affaiblis».
 
Des espèces sous pression
La stratégie cible douze espèces de rapaces «parmi lesquelles le gypaète barbu, le vautour percnoptère, l’aigle de Bonelli, l’aigle royal ou encore le vautour fauve, revenu récemment après quarante ans d’absence comme nicheur au Maroc», souligne le communiqué de l’UICN. Elle ambitionne d’inverser le déclin de ces populations en atténuant les causes de mortalité et en protégeant leurs habitats critiques. «Le Maroc confirme son rôle de pionnier dans la conservation des espèces menacées et dans la protection des rapaces, qui sont non seulement des sentinelles de l’équilibre écologique, mais aussi un patrimoine vivant partagé entre les rives de la Méditerranée», déclare Zouhair Amhaouch, chef du département des Parcs nationaux et des Aires protégées à l’ANEF. Fruit d’un travail collectif appuyé par la Fondation MAVA, l’AFD et Expertise France, le plan associe la recherche scientifique, la sensibilisation et la prévention pour rendre possible le retour durable de ces grands planeurs.
 
Coopération régionale
Cette initiative s’inscrit dans le cadre plus large du Centre de coopération pour la Méditerranée de l’UICN, qui appuie plusieurs pays de la région dans le développement de stratégies similaires. «Cette initiative illustre notre volonté d’accompagner les États méditerranéens dans leurs efforts pour enrayer la perte de biodiversité et répondre aux objectifs mondiaux du Cadre de Kunming-Montréal», souligne pour sa part Maher Mahjoub, directeur de l’UICN-Med. Le texte fixe une ambition à dix ans : que d’ici 2034, «l’état de conservation des rapaces nicheurs au Maroc soit amélioré et le pays devienne un corridor favorable de migration entre l’Europe et l’Afrique, conciliant développement socioéconomique et respect de la nature», précise la stratégie nationale. En reliant ainsi action scientifique, engagement politique et coopération régionale, le Maroc devient le premier pays de la région à se doter d’un cadre décennal entièrement dédié aux oiseaux de proie, étape décisive pour la protection de sa richesse faunistique et pour son rôle de pont écologique entre les continents.
 
Omar ASSIF
 

3 questions à Rachid El Khamlichi, président de l’AMPOVIS : « Les actions entreprises portent déjà leurs fruits »
Le Maroc se trouve sur l’un des principaux axes de migration des rapaces entre l’Europe et l’Afrique. Concrètement, quelle place occupe notre pays dans ce couloir migratoire et quelle en est la richesse en espèces ?
 

Comme pour beaucoup d’autres espèces d’oiseaux, le Maroc est situé dans un des couloirs de migration de rapaces les plus importants à l’échelle mondiale. Ce couloir relie l’Afrique à l’Europe et connaît chaque année le passage d’effectifs très importants. Si l’on considère l’ensemble des rapaces observables au Maroc, qu’ils soient sédentaires ou migrateurs, on parle d’environ une quarantaine d’espèces différentes. Cette richesse explique l’importance de la stratégie de conservation déployée au niveau national pour la protection de ces espèces précieuses.
 

Parmi les menaces évoquées par la stratégie nationale, l’électrocution sur les lignes électriques reste récurrente. Quelle en est l’ampleur réelle ?

Au Maroc, comme ailleurs dans le monde, les rapaces font face à de multiples menaces. Sous nos cieux, nous continuons à le constater, notamment pour des mortalités liées à des cas d’électrocution au niveau de certains types d’infrastructures électriques (les pylônes de moyenne tension). En plus de tuer les oiseaux, ces électrocutions endommagent les infrastructures et perturbent le bon fonctionnement du réseau électrique. En été, dans certaines zones forestières, elles peuvent même provoquer des incendies dévastateurs. Ce n’est pas la seule menace, mais il est essentiel de déployer les efforts nécessaires pour la réduire, d’autant que de nombreux points noirs sont déjà identifiés.
 

Les efforts de conservation menés ces dernières années commencent-ils à produire des résultats tangibles ?

Oui, nous observons des résultats positifs sur le terrain, notamment pour les vautours. Le cas du vautour fauve est particulièrement parlant : depuis 2023, le nombre de couples nicheurs augmente, et leur aire de présence s’élargit. Ce n’était pas le cas auparavant : la reproduction de cette espèce au Maroc était inexistante durant plusieurs décennies. Aujourd’hui, les populations de vautours fauves se réinstallent progressivement dans le pays, avec des taux de reproduction en nette amélioration. C’est un signe encourageant, qui montre que les actions entreprises portent déjà leurs fruits.

Success story : À Jbel Moussa, le grand vautour fauve reprend son envol
Après plus de quarante ans d’absence, le vautour fauve niche de nouveau au Maroc. Sa réapparition à Jbel Moussa, à l’extrême Nord du pays, marque un tournant dans la conservation des oiseaux de proie. Sur ce site où se croisent les vents de la Méditerranée et de l’Atlantique, l’Association marocaine pour la protection des oiseaux et de la vie sauvage (AMPOVIS) œuvre, sous la supervision et avec l’appui de l’Agence Nationale des Eaux et Forêts, à la réhabilitation et au relâcher des rapaces blessés. Le centre contribue aussi à la surveillance des populations et à la sensibilisation des riverains, afin de réduire les menaces liées à l’empoisonnement et aux lignes électriques. Le communiqué de l’UICN souligne que le vautour fauve, «revenu récemment après quarante ans d’absence comme nicheur au Maroc», illustre les progrès accomplis grâce à la coopération entre institutions et acteurs de terrain. En consolidant ce refuge du détroit de Gibraltar, Jbel Moussa s’impose désormais comme un maillon essentiel du réseau méditerranéen de protection des rapaces.

 

Conflit Homme-Animal : Quand la conservation passe par la sensibilisation des éleveurs
Au-delà des menaces visibles (électrocution, braconnage ou empoisonnement), les rapaces marocains affrontent une autre difficulté, plus discrète mais tout aussi réelle : la méfiance et parfois la persécution humaine. La Stratégie nationale pour la conservation des oiseaux de proie souligne que certaines espèces, comme l’aigle royal, «peuvent parfois se nourrir de petit bétail, ce qui provoque des conflits entre les éleveurs et ces oiseaux». Dans plusieurs zones de montagne, ces tensions se traduisent encore par des tirs ou des empoisonnements, alors même que ces rapaces sont intégralement protégés par la loi. Le document plaide pour un dialogue renouvelé avec les communautés rurales, afin d’éviter que la peur ou la méconnaissance de ces espèces n’alimentent des gestes de destruction. Il recommande de «travailler avec ces secteurs, et au niveau du grand public, afin de montrer la valeur patrimoniale de ces espèces» et d’intégrer leur préservation dans les politiques de développement local. Les vautours, en éliminant naturellement les carcasses, réduisent les risques sanitaires et les coûts d’équarrissage pour les éleveurs, tandis que les aigles contribuent à réguler les populations de rongeurs nuisibles. En reconnaissant ces services écologiques, la stratégie mise sur la connaissance et la coopération pour construire une coexistence durable. Former, sensibiliser, expliquer : autant d’actions qui replacent les rapaces au cœur du patrimoine naturel du pays et en font des alliés du monde rural.

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