​Boualem Sansal, un homme libre

Boualem Sansal s’est volontairement exclu, comme le voulurent du temps de l’URSS, des dissidents comme Alexandre Soljénitsyne et Alexandre Zinoviev. *S’il alla en Algérie, ce ne fut pas par imprudence, comme ont pu le penser certains de ses amis et défenseurs. Il connaissait parfaitement les mécanismes de la dictature algérienne.

Je ne suis ni le premier ni le dernier à subir l’arbitraire du régime algérien, dit-il dans sa lettre qui fait la Une des réseaux sociaux.  Ses prédécesseurs russes firent la démonstration que plus le Goulag étendait son emprise sur le peuple, plus le régime s’affaiblissait. L’histoire et la littérature sont riches de témoignages qui établissent que la liberté est renforcée par la contrainte. La puissance créatrice des deux dissidents que je viens de citer n’a-t-elle pas pris sa mesure la plus forte quand ils furent privés de liberté. La lettre de Boualem Sansal s’inscrit dans la ligne de ces précédents.

Par sa libre décision d’aller en Algérie, son  pays d’origine, Boualem Sansal a dit au Monde que ses geôliers   ne peuvent pas confisquer sa liberté.

Aujourd’hui, depuis sa cellule, où l’air se fait rare, où la lumière n’entre que pour rappeler aux prisonniers qu’ils sont toujours en vie, mais jamais libres, il confesse que son corps le trahit et que la maladie grignote ses forces.

Il est bien connu qu’il n’est pas le premier Algérien arrêté arbitrairement pour des faits de conscience. Parmi ceux, nombreux, qui l’ont précédé, j’ai l’obligation morale et déontologique de citer un fois de plus, Ahmed El Khalil, dont la famille m’a confié la défense. Dirigeant du Polisario, vivant  Algérie, il avait dénoncé des prévarications financières du régime sur les aides adressées à sa communauté. Bien que de nationalité marocaine, arrêté en 2009, jamais jugé, il est toujours détenu. Aucun membre de sa famille, de même que son avocat, n’ont été autorisés à le rencontrer.

En mettant l’accent sur la force exemplaire du caractère de Boualem Sansal, j’ai peut-être mis à l’arrière-plan son état de victime et sa fragilité d’homme âgé et malade. C’est qu’il ne plie pas, à l’instar des grands écrivains russes du siècle passé. Il se dresse en conquérant : Je souffre, oui. Mon corps me trahit, la maladie grignote mes forces, et le régime espère que je partirai en silence. Pour faire aussitôt front : Mais qu’ils se trompent ! Ma voix, même enchaînée, ne leur appartient pas. Si elle peut encore atteindre l’extérieur, c’est pour dire ceci : ne croyez pas à leur façade de respectabilité. Ce pouvoir n’est pas un État, c’est une machine à broyer.

Il sort grandi des épreuves humiliantes qui lui sont faites. En leur opposant sa dignité d’homme, il enseigne  que les forces du cœur ne peuvent être enchaînées. Il se veut inébranlable, résistant, solide en même temps qu’il ressent que son corps le trahit. Pudeur extrême des mots !

C’est la part du grand écrivain. Le roman des mots ouvre, ais-je souvent dit et écrit, sur l’absolu de la liberté. Méditons ceux qui suivent :

La peur est une prison plus vaste que celle où je me trouve, et elle est plus difficile à briser. Mais je sais qu’un jour, le mur tombera.

(…) je continuerai à écrire (…) car l’écriture, c’est la seule liberté qu’ils ne peuvent pas confisquer, et c’est par elle que nous survivrons.

* Ainsi je me suis volontairement exclu. Alexandre Zinoviev, Notes d’un veilleur de nuit, éd. L’âge d’homme, 1979, p. 11

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