BRICS : Les enjeux d’une hypothétique adhésion marocaine [INTÉGRAL]

Le Maroc est souvent cité officieusement comme un candidat potentiel aux BRICS. Cette hypothèse reste discutable pour l’instant. Décryptage.

Cela fait des mois qu’on associe le Maroc aux BRICS. Les indiscrétions fusent de toutes parts et les rumeurs s’ébruitent à intervalles réguliers sur une supposée candidature marocaine.  Cette fois-ci, les annonces viennent du cœur du Kremlin à Moscou.  Le conseiller du président russe, Vladimir Poutine, Iouri Ouchakov, a cité le Royaume parmi les pays qui auraient manifesté un intérêt pour ce bloc. Selon ses propos, tels que relayés par l’Agence Tass, le haut responsable n’a pas parlé de candidature mais de “dialogue systémique” que les pays intéressés souhaiteraient engager avec l’alliance qui n’a eu de cesse de s’élargir. 
 
Plusieurs pays à niveau de développement différent sont cités dans la liste. On y trouve l’Azerbaïdjan, le Bahreïn, le Bangladesh, le Burkina Faso, le Tchad, la Colombie, la République du Congo, le Koweït, le Maroc, le Myanmar, le Nicaragua, le Pakistan, la Palestine, le Sénégal, le Venezuela et le Zimbabwe…
 
Nonobstant le sérieux d’une telle annonce, la Russie ne semble pas très enthousiaste pour faire entrer de nouveaux candidats au club des BRICS. Moscou donne l’impression qu’il serait même réticent, à en croire les propos de Iouri Ouchakov qui a confié aux journalistes russes lors d’une conférence de presse que l’expansion incontrôlée de ce club de pays émergents briserait son épine dorsale. Le message est clair.
 
Ce que valent les BRICS
Il va sans dire que les BRICS sont de plus en plus lorgnés par une partie importante des pays en développement qui souhaitent en faire partie. Créé en 2009 par les cinq principales puissances émergentes (Russie, Chine, Brésil, Inde et Afrique du Sud), ce bloc s’est élargi en 2023 à d’autres pays comme l’Egypte, l’Iran, les Emirats Arabes Unis, l’Arabie Saoudite, l’Ethiopie et l’Argentine qui semble se rétracter aujourd’hui vu l’hostilité du président ultra-libéral, Javier Milei, à l’égard de la Chine.
 
Loin d’être un simple bloc économique, les BRICS prennent l’allure d’une nouvelle alliance ouvertement opposée à l’hégémonie occidentale. Nombreux sont les experts qui y voient un contrepoids au G7, ce club des grandes économies occidentales. Après la guerre en Ukraine qui a renforcé le fossé entre les puissances émergentes et l’Occident, les BRICS sont désormais perçus, à tort ou à raison, comme le porte-drapeau de ce qu’on appelle aujourd’hui le Sud global.

Bien que ce nouveau vocable ne soit pas unanimement admis, il désigne tout de même une réalité tangible. Celle d’une grande partie du monde non-aligné qui conteste l’impérium de l’Occident sur l’échiquier mondial.

Les BRICS portent cette aspiration et exigent un Ordre international plus équilibré. Donc, ils veulent s’imposer comme alternative au système hérité de la sortie de la Seconde guerre mondiale (ONU, système de Bretton Woods…). Avec la banque de développement de Shanghai, ce groupement conteste ouvertement l’hégémonie du dollar qu’il veut remplacer par une nouvelle monnaie d’échange, surtout après les sanctions occidentales que l’Union Européenne et l’Etats-Unis ont imposé à la Russie suite à l’invasion de l’Ukraine.

 
Une coalition homogène ?
 
Dans cette bataille, des pays comme la Russie et la Chine sont à l’avant-garde. Les BRICS ont de quoi nourrir leurs ambitions. Ils ont un PIB supérieur à celui du G7 (31,5%) et représentent quasiment la moitié de la population mondiale. Toutefois, cette coalition est loin d’être homogène. “Les BRICS regroupent un ensemble de pays qui ne partagent pas la même vision du monde, ils veulent seulement ne plus voir les Etats-Unis régner en maître absolu sur le monde”, explique le général Dominique Trinquand, auteur du livre “L’effet papillon des conflits mondiaux”. Pour sa part, Bruno Tertrais, Directeur adjoint de la Fondation pour la Recherche stratégique (FRS), trouve les BRICS peu structurés. Selon lui, il faut distinguer les BRICS en tant que bloc des pays membres qui restent partagés sur l’attitude à suivre vis-à-vis de l’Occident, entre opposition frontale et non-alignement. M. Tertrais estime qu’il s’agit d’un assemblage de pays avec des orientations différentes et des projets en commun limités, dont la Banque de développement qui ne s’est pas encore imposée dans le système financier international. Par contre, les BRICS ont des chances d’imposer un système de compensation des paiements alternatif à Swift mais pas au point de bouleverser le système international. 
 
Le Maroc, partenaire ou candidat ?
Souvent cité parmi les candidats sérieux, le Maroc n’a jamais manifesté officiellement sa volonté d’adhésion, tout en restant disposé à renforcer ses relations avec le bloc. Le Chef de la diplomatie marocaine, Nasser Bourita, en a parlé, le 21 août 2023, avec son homologue indien Subrahmanyam Jaishankar, dans un échange téléphonique. Résolument très tourné vers ses alliés occidentaux, le Royaume n’en dispose pas moins d’un partenariat renforcé avec la plupart des pays des BRICS, sauf l’Afrique du Sud. Le Royaume jouit également d’une bonne image auprès de ces pays. Ce qui pourrait favoriser les chances d’un rapprochement avec ce bloc sous quelque forme que ce soit dans l’avenir, sachant que la proximité avec l’Occident ne l’empêche pas comme on s’en est aperçu dans le cas de l’Egypte, des Emirats Arabes Unis et de l’Arabie Saoudite. Même la Turquie aspire à rejoindre les BRICS, bien qu’elle soit membre de l’OTAN.

“Le Maroc mériterait sa place au sein des BRICS”, affirme Aymeric Chauprade, géopolitologue spécialiste du Maroc et ancien eurodéputé, qui se dit convaincu que le Maroc a tous les attributs d’un candidat sérieux. D’autant plus que le Royaume assume sa politique de diversification des partenaires. D’autres facteurs renforcent la crédibilité du Maroc, selon notre interlocuteur, qui cite l’influence grandissante du Royaume en Afrique et sa crédibilité comme des facteurs avantageux. En effet, le Maroc est perçu par les pays des BRICS comme un pays crédible, contrairement à l’Algérie qui a été éconduite au seuil de la porte.
 

Pour sa part, Alain Juillet, ancien directeur au sein de la DGSE française, pense que le Maroc serait un “parfait candidat”, comme il l’a fait savoir dans une interview accordée précédemment à «L’Opinion». Selon lui, les Chinois n’y trouvent aucun inconvénient, tandis que le Brésil y voit une opportunité formidable. L’aval des pays du Golfe est quasi acquis. 
 
Une hypothèse qui dure !
Néanmoins, rien ne corrobore l’hypothèse d’une future adhésion, puisque, d’une part, le Maroc parle plutôt de renforcement des relations que de rejoindre le club. D’autre part, les BRICS eux-mêmes ne sont pas aujourd’hui très enthousiastes pour faire entrer d’autres membres par souci d’homogénéité. Des pays comme l’Inde et la Russie ne veulent pas se précipiter vers un élargissement incontrôlé. En plus, l’Afrique du Sud se dresse comme un obstacle sur le chemin. Sa délégation a d’ores et déjà menacé de s’opposer à une éventuelle adhésion du Maroc lors du dernier Sommet des BRICS à Kazan. Or sa capacité à faire obstruction reste largement discutable. Quoi qu’il en soit, l’adhésion aux BRICS n’est pas encore sur la table. Ce qui n’empêche pas le Royaume de renforcer ses relations avec le bloc, compte tenu de ses relations développées avec les puissances influentes. Cette aspiration partagée est toujours assumée par un pays qui fait de la diversification des partenaires une priorité de sa politique étrangère.

 

Trois questions à Dominique Trinquand : “Les BRICS ne sont pas une alliance au vrai sens du terme”
Aujourd’hui, on assiste à une reconfiguration des alliances et des rapports de force sur l’échiquier mondial. Avec le retour de Donald Trump et ce que cela implique, et la montée en puissance des BRICS, vers quel monde nous marchons aujourd’hui ?

Nous allons vers un bouleversement complet du monde tel que nous le connaissons aujourd’hui. Mais, il ne faut pas se tromper d’analyse. Les BRICS ne sont pas une alliance comme on veut le faire comprendre. Il y a de tout. C’est un bloc composé de pays qui ne sont d’accord sur rien sauf une chose. Tout simplement, ils ne veulent plus que les Américains régentent incontestablement le monde. Cela remet en cause beaucoup de choses. Mais il faut se garder de faire des conclusions hâtives parce qu’on en est encore loin. Ce n’est que le début d’un long processus de mutation difficile à prévoir.
 

Aujourd’hui, les BRICS sont indissociables du “Sud global” que l’on présente comme un nouveau bloc non-aligné et anti-occidental, qu’en pensez-vous ?

Le Sud global s’est finalement résolu à contester l’Occident à cause des événements qui ont suivi le 11 septembre. J’étais aux Nations Unies à l’époque de la guerre en Irak, j’ai vu à quel point la communauté internationale était contre l’invasion américaine. Pourtant, l’Administration Bush l’a faite. Ce que le monde n’a jamais oublié. D’ailleurs, le président russe, Vladimir Poutine, le rappelle à chaque fois depuis 2007. Donc, dans l’esprit de plusieurs pays, les Américains ont multiplié les erreurs depuis 2001. Par conséquent, de moins en moins de pays veulent les suivre. Je trouve qu’il y a des ressentiments à l’égard de l’Occident qui remontent à l’Histoire. J’en parle dans mon livre où je cite la colonisation qui a laissé des traces indélébiles. Soixante ans après la décolonisation en Afrique, par exemple, je me demande si certains pays ont pu accéder à leur souveraineté totale. C’est une question à laquelle il faut répondre. A cela s’ajoute une méfiance plus large due aux fautes commises par les Européens et les Américains pendant ces vingt dernières années. Les Occidentaux doivent écouter ce ressentiment et se débarrasser des vieux réflexes tels que l’interventionnisme et la volonté d’exporter la démocratie partout.
 
 

La guerre en Ukraine semble avoir précipité ce duel avec l’Occident. A quel point l’issue des négociations qui s’approchent vont redéfinir le nouvel échiquier ?

Actuellement, nous sommes dans une situation où la Russie veut grignoter le maximum de terrain avant les négociations pour y arriver en position de force. Les Ukrainiens essayent de tenir pour minimiser les pertes. Lorsque le président Trump sera arrivé à la Maison Blanche, il voudra arrêter les combats là où ils sont. Cela dépend de l’accord du président Poutine. Dans le cas inverse, il est probable que les Américains soutiendraient les Ukrainiens pour faire plier les Russes. M. Trump pourrait menacer la Russie de mettre des moyens colossaux à disposition de l’Ukraine. Il veut simplement faire cesser les hostilités et mettre une zone tampon avec la participation des Européens qui y travaillent aujourd’hui pour ne pas être exclus des négociations. Je ne pense pas personnellement que Trump soit prédisposé à céder à toutes les demandes de Poutine comme on veut le faire croire. Aujourd’hui, la guerre est un suicide à long terme pour la Russie qui perd beaucoup de soldats et dont l’économie ne se porte pas bien. Elle a intérêt aussi à ce que la guerre s’arrête. Concernant l’avenir, Donald Trump est capable de négocier tout avec n’importe qui et n’importe comment. Je doute que cela réussira compte tenu de la situation géopolitique actuelle.
 

De Pékin à Brasilia : Rapprochement inédit !

Depuis le début des années 2000, le Maroc a commencé à diversifier ses partenariats avec les puissances émergentes. Le Royaume a pu, en l’espace de deux décennies, forger des partenariats renforcés avec toutes les grandes puissances qui pèsent au sein des BRICS. Le Maroc s’est rapproché de façon inédite de la Chine dont il a adhéré aux Routes de la Soie en 2020. Le partenariat économique s’est tellement développé que Pékin voit le Maroc d’un œil différent comme un hub en Afrique.

On s’en est aperçu lors de la récente visite du président Xi Jinping au Royaume où il avait fait une sorte d’escale stratégique. Lors de son entretien avec SAR le Prince Héritier Moulay El-Hassan, il a fait part de sa volonté de raffermir le partenariat bilatéral. Aujourd’hui, la Chine commence à investir massivement au Maroc dans plusieurs domaines de pointe comme les batteries et l’industrie pharmaceutique. Pékin, censé devenir la première puissance économique au milieu du 21ème siècle,  est devenu le  troisième partenaire commercial du Maroc et son premier partenaire en Asie, avec un commerce bilatéral estimé à 7,6 milliards de dollars.

De l’autre côté de l’Himalaya,  le Maroc s’est rapproché ostensiblement de l’Inde depuis 2015 au point d’élever leur partenariat sur le plan militaire. Idem pour le Brésil  avec lequel les relations n’ont jamais été si bonnes. Le commerce a atteint le record de 3 milliards de dollars en 2022 au moment où le Royaume s’impose comme un partenaire indispensable dans le domaine des phosphates. Pour  sa part, la Russie continue de renforcer son partenariat avec le Maroc, surtout dans la pêche et l’énergie nucléaire malgré sa proximité avec l’Algérie dont il ne reste plus rien de concret aujourd’hui. D’où la position jugée tempérée de Moscou dans le dossier du Sahara.  

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