Cannabis licite : Enfin une année faste pour les cultivateurs du Rif ? [INTÉGRAL]

En 2024, 3.371 autorisations pour cultiver du cannabis à usage thérapeutique ont été octroyées, dont la production a dépassé le cap des 4.000 tonnes. Mais malgré ce chiffre encourageant, quelques défis persistent, vu que ce chantier est toujours dans sa phase de démarrage.

Depuis l’adoption, en juin 2021, de la loi n°13-21 relative aux usages licites du cannabis, la production effective et la mise sur le marché prenaient leur rythme à petit feu, jusqu’en 2024, où la filière est passée à la vitesse supérieure. Preuve en est le bilan dressé par l’Agence nationale de réglementation des activités relatives au cannabis (ANRAC), lors de son Conseil d’administration, qui a traité l’état d’avancement des réalisations techniques et financières au titre de l’exercice courant et le programme d’action de la campagne 2025. Depuis le début de l’année, la production de cannabis licite s’élève à 4.082,4 tonnes, avec un rendement moyen de 20 Qx/Ha, contre 294 tonnes l’année dernière. Un écart qui témoigne des efforts fournis par les autorités publiques pour promouvoir le secteur dans les trois provinces réglementées du Royaume, notamment à travers l’octroi des autorisations qui a atteint 3.371 sur un total de 4.158 demandes. Il s’agit de 3.056 autorisations au profit de 2.907 agriculteurs pour l’activité de culture et de production de cannabis contre 430 autorisations délivrées en 2023, et de 315 autorisations au profit de 158 opérateurs.

 

Stratégie inclusive

 

«Le chantier évolue à vitesse grand V pour deux raisons. La première c’est qu’au début, les agriculteurs étaient réticents et méfiants vis-à-vis du projet, et deuxièmement plusieurs contraintes administratives ont été dépassées», apprend-on de source gouvernementale, qui rappelle qu’il y a à peine quatre ans «nous procédions à la reclassification des variétés par la Commission des stupéfiants des Nations Unies (CND)». Concernant l’adhésion des producteurs, Driss Benhima, ancien directeur de l’Agence de développement des provinces du Nord, estime que la grâce Royale, à l’occasion de la Révolution du Roi et du Peuple, en faveur des 4831 personnes qui étaient sous le coup de poursuites en cours est de nature «à rassurer l’ensemble des agriculteurs de l’illicite et à leur permettre de s’adonner dans la dignité et la sérénité aux activités liées à la production et à la transformation du cannabis à usages médical et industriel».

Le travail accompli est donc inédit, se félicite notre source gouvernementale. Mais roule-t-on plus vite que la musique ? «Le rythme est, certes, soutenu, mais il n’y a aucune précipitation», répond notre source, rappelant que l’ANRAC a mené l’année dernière une étude pour l’élaboration d’un plan stratégique pour le développement de la filière du cannabis licite et dont la feuille de route est déjà établie. «La transversalité de la filière ainsi que la multiplicité des intervenants nécessitent la mise en place d’une vision nationale concertée, devant bénéficier de la forte adhésion et de la mobilisation totale de tous les acteurs, aussi bien institutionnels qu’économiques», déclarait dans ce sens l’ANRAC en juin dernier, exposant l’ambition du Maroc de faire du secteur du cannabis licite un véritable pôle de développement socio-économique basé sur la compétitivité et le développement durable. Les premiers fruits de la feuille de route sont déjà perceptibles, surtout au niveau de la production, mais le volet distribution rencontre encore quelques difficultés (voir interview).

Beldia vs importée : La concurrence est rude !

 

Alors que l’industrie du cannabis est toujours dans sa phase de démarrage, la question des variétés utilisées est toujours au centre des débats des producteurs, qui doivent optimiser leurs coûts pour garantir une certaine rentabilité. En 2024, plus de 2.780 tonnes produites étaient issues de la variété Beldia, avec un rendement moyen de 17 Qx/Ha. Les variétés importées concernaient 1.295,7 tonnes, avec un rendement moyen de 28 Qx/Ha. «La Beldia est bio. Contrairement aux autres variétés, sa culture ne nécessite pas l’utilisation de pesticides. Les cultivateurs locaux disposent d’un savoir-faire ancestral qui fait de cette plante un patrimoine naturel mais également culturel», selon Abdellatif Adebibe, Président de la Coopérative Agricole Adebibe, de l’Association pour le Développement du Rif Central, et vice-président de la Coopérative Adrar Nouh. De plus, la souche locale résiste, pour sa part, à la sècheresse et peut être cultivée sans impacter les ressources hydriques.

 

Et si la réussite de la valorisation du cannabis demeure conditionnée par la variété utilisée, Pr Mohammed Fekhaoui, ancien Directeur de l’Institut Scientifique de Rabat, estime que l’enjeu est d’identifier la souche autochtone de cannabis qui est mieux adaptée, plus résiliente et beaucoup moins hydrivore. À ce stade, il est nécessaire de capitaliser sur le travail qui a déjà été fait afin de parfaire l’état de connaissance au niveau génétique et moléculaire de cette variété, ajoute l’expert. Ensuite, on pourrait entamer un projet de remplacement progressif des autres variétés introduites. Mais pour le moment, l’ANRAC continue de maintenir l’équilibre du marché en certifiant 7,6 millions de semences importées de cannabis sur la base de 30 autorisations d’importation octroyées par l’Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA). Les chiffres parlent d’eux-mêmes.

 

3 questions à Abdellatif Adebibe : « Le produit est là, mais la demande fait défaut »
Comment évaluez-vous l’évolution du chantier de légalisation du cannabis à usage médical en 2024 ?

– Cette année, il y a eu une grande évolution, surtout au niveau de la production. Au niveau de la région Nord du Rif Central, l’Agence nationale de réglementation des activités relatives au cannabis (ANRAC) a multiplié les e orts pour faire adhérer les agriculteurs, qui veulent bien participer à ce chantier Royal, mais qui ne perçoivent pas encore clairement les potentialités d’intérêt dans le circuit légal. Car aujourd’hui, nous, qui travaillons exclusivement avec la «Beldia», nous arrivons à produire une quantité importante de produits, qui respecte les cahiers des charges lourdes de la loi, mais la demande n’est pas au rendez-vous. Il n’y a pas de circuit de commercialisation clair, permettant aux cultivateurs de vendre leurs produits aux grands laboratoires, nationaux ou internationaux. Les autorités fournissent des efforts louables pour sensibiliser les agriculteurs, les accompagner à formuler les formulaires commerciaux, mais il n’y a pas d’initiatives e caces permettant de lier les fournisseurs et les laboratoires.
 

Vous avez évoqué de lourds cahiers des charges. La production du cannabis licite est-elle à la portée du petit fellah ?

– Déjà, les petits agriculteurs travaillent avec la Beldia pour réduire les coûts de production, puisqu’elle est une variété locale, rustique, adaptée au territoire, bio, peu consommatrice en eau et adaptée au micro climat de la région. De plus, elle est gratuite, on n’a pas à l’acheter. Mais, malgré tous ces facteurs, les charges sont lourdes pour un agriculteur modeste, qui est d’ailleurs la règle générale dans la région. Outre les certi cats d’agrément ou les attestations de conformité, il faut s’assurer de la qualité de la terre et la restaurer en cas de besoin. Il faut auditer la qualité de l’eau utilisée, véri er les techniques et matériaux de séchage, s’assurer que les cultivateurs respectent les normes, pour ensuite demander des certi cats qui permettent de commercialiser ces produits en cas de respect minutieux des cahiers des charges. En cas de non-conformité, ces produits ne peuvent être vendus nulle part.
 

Comment peut-on garantir une bonne performance de la lière dans la région ?

– Il faut créer dans les régions concernées par cette culture des écosystèmes permettant à la lière de prendre son envol. De la formation à la distribution, en passant par les infrastructures hydriques, routières et industrielles, les départements de tutelle doivent garantir toutes les conditions de réussite de ce chantier. Les laboratoires gagneraient aussi à installer des unités de production dans la région, de sorte à créer des opportunités d’emploi pour les populations locales. C’est ainsi que la légalisation du cannabis à usage médical prendrait une réelle dimension sociale. Et c’est ainsi que nous pouvons faire adhérer l’ensemble des acteurs de la région dans ce projet d’envergure.

Pharmaceutique : Médicament 100% marocain contre des formes d’épilepsie rebelles
Pharma 5 a dévoilé le premier médicament 100% marocain à base de cannabis, destiné au traitement des crises d’épilepsie rebelles. Ce produit, prévu pour une commercialisation au premier semestre 2025, pourrait transformer la prise en charge de cette maladie complexe. Pharma 5 répond à une urgence sanitaire nationale et mondiale : les traitements e fficaces pour les quelque 400.000 patients marocains atteints d’épilepsie, dont une part significative sou re de formes rebelles. Le médicament est dénommé «Cannabidiol Pharma 5, 100 mg». Cette alternative promet de réduire la fréquence et l’intensité des crises, o rant une nouvelle lueur d’espoir aux patients et à leurs familles.

Issu du cannabis cultivé exclusivement dans la région de Chefchaouen, le produit s’appuie sur un processus de production entièrement intégré au Maroc. La chaîne de valeur comprend la culture, l’extraction et le séchage, respectant des pratiques responsables et durables. Pharma 5 met ainsi en lumière l’immense potentiel thérapeutique du cannabis marocain, cultivé dans des conditions optimales. Pharma 5 a conçu ce médicament en suivant les standards rigoureux des bonnes pratiques de fabrication pharmaceutique (GMP). L’entreprise a rme que l’ensemble de la production respecte des normes internationales strictes, garantissant sécurité, e cacité et qualité.

Cadre légal : Aucune infraction en 2024
Aucune infraction n’a été enregistrée en 2024 en matière de non-conformité aux dispositions réglementaires relatives aux activités liées au cannabis, a a rmé, jeudi à Rabat, le Directeur général de l’Agence nationale de réglementation des activités relatives au cannabis (ANRAC), Mohamed El Guerrouj. «Durant cette année, environ 4.000 tonnes ont été produites sur une super cie de 2.169 hectares, alors qu’aucune infraction en matière de non-conformité aux dispositions réglementaires n’a été enregistrée», a souligné M. El Guerrouj dans une déclaration à la presse à l’issue du Conseil d’administration de l’ANRAC, qui a été marqué par la présentation des réalisations de 2024 et du programme d’action de 2025. L’Agence a également enregistré la plantation de 2.169 Ha de cannabis licite par 2.647 agriculteurs regroupés en 189 coopératives. Il s’agit de 1.701 Ha semés par la variété locale «Beldia» par 1.767 agriculteurs regroupés en 109 coopératives, et de 468 Ha semés par les variétés importées par 880 agriculteurs regroupés en 80 coopératives. «Nous avons présenté toutes les actions entreprises avec les institutions, les ministères concernés et les autorités locales en 2024 pour encadrer et accompagner les agriculteurs et les investisseurs, a n de respecter les dispositions réglementaires», a-t-il ajouté. Pour ce qui est de 2025, a poursuivi le responsable, «nous avons présenté un plan d’action basé surtout sur la reconduction et la continuité des actions et des opérations d’encadrement, d’accompagnement et surtout de contrôle, mais avec un focus sur l’accélération de la structuration du développement du secteur du cannabis et le renforcement de la compétitivité du produit national».

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