On attribue au Maroc, souvent à tort, une volonté d’acquérir le F-35 américain. Une hypothèse réfutée par les faits. Décryptage.
Il y a juste une semaine, de nombreux médias marocains se sont fait l’écho d’un article de Times Aerospace, une plateforme américaine spécialisée, qui augure un éventuel contrat du F-35 estimé à 17 milliards de dollars sur 45 ans. On parle de 12% du PIB du Royaume. Une annonce qui fait suite à une autre publiée un an plus tôt par “Identité Juive”.
Le site cite des sources dont on ignore la crédibilité et, étrange, se base sur des “spéculations” pour conclure que le Royaume pourrait être le premier pays arabe et africain à se doter du joyau de Lockheed Martin. Cette annonce se base sur l’hypothèse que Donald Trump pourrait donner son feu vert à ce contrat après son retour à la Maison Blanche sans qu’il y ait le moindre indice sur l’intérêt du Maroc.
La même source évoque une rencontre entre les représentants du constructeur américain et une délégation des Forces Armées Royales qui aurait eu un briefing technique sur l’aéronef. Sans décryptage, certains supports médiatiques ont pris ces détails pour argent comptant. Un média a même conclu que le Royaume serait “en pole position”.
La bulle informative et le spectre de l’Algérie !
Les annonces du F-35 sont devenues si fréquentes depuis l’accord tripartite Maroc-Etats-Unis-Israël en 2020. Cela est devenu même un feuilleton où on annonce un éventuel contrat.
Pourquoi ces irruptions répétitives ? L’Algérie n’y est pas pour rien. Le fait qu’elle ait obtenu l’avion russe Sukhoï Su-57 alimente les passions. Pourtant, ce n’est pas une raison assez convaincante pour que le Maroc coure derrière un avion de cinquième génération.
Par-dessus les spéculations, le Maroc ne fait pas ses choix d’armement en fonction de son voisin mais par rapport à ses propres besoins dans une logique purement défensive. Certains analystes commettent l’erreur de penser toute la stratégie d’armement du Royaume à l’aune de la rivalité maroco-algérienne. Alger, rappelons-le, comme l’Iran et tous les régimes dépourvus de légitimité, est un régime militaire dont la survie dépend d’un armement de masse. Raison pour laquelle il court derrière les armes pour assouvir sa soif de sécurité grâce à sa manne pétrolière. Ce n’est pas le cas du Maroc.
Ce que vaut le F-35
Au-delà des paramètres géopolitiques, la question qui s’impose est de savoir si le Maroc a réellement besoin d’un F-35 sur le plan strictement militaire. Certes, le F-35 demeure l’avant-garde de l’aviation américaine et un des chasseurs les plus convoités au monde. Il est haut de 5 mètres environ et fait 10 mètres de longueur avec une capacité de vol de 2800 kilomètres. Il peut voler à une vitesse maximale 1930 km/h à 18.500 mètres d’altitude, selon les conditions météorologiques. Polyvalent, il se distingue par sa furtivité inégalable (contournement des radars), comme on s’en est aperçu en Iran où Israël s’en sert redoutablement pour frapper les installations claires et les sites iraniens.
En plus de ses capacités manœuvrières hors pair, le F-35 a la particularité de décoller et d’atterrir verticalement selon les modèles. Il y en a trois (F35 A, F-35 B et F-35 C) qui sont conçus en fonction de la plateforme atterrissage (aérodrome conventionnel, porte-avion, pistes improvisées). Il y a aussi l’hyper-connectivité avec une forte capacité de recueil et d’échange d’informations qui en fait nœud de réseau et de communication dans un rayon de 400 kilomètres. Sa capacité de détection de l’ennemi avec ses capteurs est tout aussi redoutable. Il peut à la fois lancer des bombes et intercepter des cibles ennemies dans un combat frontal air-air.
Trop coûteux !
Toutefois, malgré ses capacités, le F-35 coûte très cher aussi, par son prix et par son entretien. Ce qui pose problème pour un pays comme le Maroc. “Le F35 est un choix purement qualitatif, lorsqu’on fait un tel choix onéreux, on sacrifie la quantité”, nous explique Xavier Tytelman, consultant de la chaîne française LCI et spécialiste de la défense aérienne.
Le F-35 coûte en moyenne 71 millions d’euros par unité. Le prix peut culminer à 89 millions de dollars pour le modèle C. Il faut plus de 35.000 euros pour le faire voler pendant une heure. Sans oublier le coût de maintien annuel qui s’élève, selon les estimations les plus timides, à 16.000 euros.
En plus du coût, bien qu’il demeure avancé, le F-35 souffre de quelques limites opérationnelles en termes de furtivité et l’interopérabilité, selon M. Tytelman. “La furtivité qu’on a aujourd’hui ne sera peut-être pas si efficace dans quelques années compte tenu de l’évolution des radars et des longueurs d’onde qui seront utilisés”, explique-t-il, soulignant la question de la liberté d’usage. Selon notre interlocuteur, le F-35 n’est pas un avion souverain puisque, argue-t-il, il peut facilement être cloué au sol à n’importe quel moment par les Américains s’ils désapprouvent la façon dont il est utilisé ou s’ils sont en désaccord avec la politique étrangère de leur client. Cette éventualité est d’autant plus vraie que la maintenance du F-35 dépend entièrement des États-Unis. Raison pour laquelle l’appareil devient aussitôt obsolète si le maintien est interrompu pour quelque raison que ce soit.
Au Maroc, le choix du F-35 n’est pas une nécessité stratégique. Xavier Tytelman, en fin connaisseur du F16 dont il suit la performance sur le front russo-ukrainien, pense que le Royaume n’aurait pas forcément besoin d’un F-35 dans un scénario où il serait confronté aux systèmes russes les plus sophistiqués, notamment les systèmes de défense anti-aérienne qui se sont montrés peu efficaces en Ukraine.
Pour l’instant, rien n’indique une volonté d’acquérir le fameux chasseur américain. Ça reste un veux pieux qui n’engage que ceux qui y croient. Le Royaume, pour l’instant, parie toujours sur le F-16 dont il s’apprête à recevoir la nouvelle version “Viper Shield” (25 unités supplémentaires) tout en mettant à niveau la flotte existante.
Ce sont les Emirats Arabes Unis qui ont refusé d’aller jusqu’au bout de leur achat du F-35 pour des raisons de souveraineté. L’efficacité du F-35 peut être réduite par les Américains si telle est leur volonté. Ce qui est inacceptable pour tout pays qui désire avoir la liberté d’usage. Par contre, la Turquie n’a pas pu s’en procurer après avoir acquis les batteries russes S-400. Les Américains n’ont pas voulu dans ce cas livrer les F-35 aux Turcs par crainte que le radar du S400 s’y adapte à force de les voir passer. Moins le F-35 sera exposé aux radars russes, moins les Russes vont apprendre à le détecter comme ce fut le cas des drones Bayrakdar TB2. Bien qu’ils aient été efficaces au début de la guerre en Ukraine, les Russes ont appris à les neutraliser à force d’être exposés à leur défense anti-aérienne. Il en va de même pour le F 35.
A votre, qu’est ce qui fait la particularité du F-35 au point qu’il soit autant convoité dans le monde ?
Le F35 a été conçu pour pénétrer des espaces hautement protégés et au sein des bulles de protection de type S400 qui reste le système adverse le plus élaboré. Sauf que les Ukrainiens ont montré qu’il y a pas besoin d’avoir un F35 pour ce faire puisqu’ils ont réussi à le faire seulement avec des avions soviétiques. Logiquement, le Maroc n’aurait pas forcément besoin d’un F-35 dans un scénario où il serait confronté aux systèmes russes. Déjà, le choix du F-35 est d’autant moins nécessaire qu’il reste très coûteux (40.000 dollars par vol selon la Cour des Comptes américaine). C’est certes un avion moderne, mais il a été conçu selon une doctrine qui n’est plus valable, étant donné ce qu’on sait des capacités de défense antiaérienne russe. En gros, il suffit d’un avion comme le Rafale ou un F-16 pour avoir des résultats probants comme on s’en est aperçu en Inde ou en Ukraine.
On parle souvent du Rafale comme choix alternatif pour les pays n’ayant pas pu se permettre le F-35. Qu’en pensez-vous ?
Le F35 est un choix purement qualitatif et, surtout, onéreux. Si on y va, on se limite en termes de nombre de vecteurs, de missiles qu’on peut tirer, et d’heures d’entraînement qu’on peut faire. Par rapport à un Rafale qui coûte 20.000 euros par vol, cela signifie deux fois moins d’avions et deux fois moins de vols et mois de missions. Concernant le Rafale, sa notation a été supérieure au F-35 dans une compétition aux Pays-Bas et même en Suisse. Plusieurs pays ont préféré le Rafale à partir de leurs propres critères d’évaluation. Le Rafale est assez performant pour la domination aérienne et le bombardement. On peut imaginer un avion qui largue des bombes tout en restant en même temps en vol pour faire face aux raides ennemis. Ce n’est pas le cas des aéronefs russes qui ont besoin de se poser pour se reconfigurer, tandis que les F16, malgré leur modernisation, restent dépassés par le Rafale, comme l’on montré les compétitions. En gros, comme le F-35 n’offre pas assez d’avantages par rapport à son prix, le Rafale a désormais plus de chances d’expansion commerciale, surtout dans les pays extra-européens.
Dotée d’un capital de 300.000 dirhams, la nouvelle société aura pour vocation d’aménager et de commercialiser les zones dédiées à l’industrie militaire. Ces zones ont une double vocation. Elles sont mises à la disposition des producteurs locaux et ont vocation d’abriter des sociétés internationales.
Il s’agit d’un pas de plus sur le chemin de la création d’une industrie nationale de défense pour faire entrer le Maroc dans le club restreint des fabricants d’armes. Le Maroc s’est d’ores et déjà lancé dans la maintenance des équipements militaires, notamment des drones du constructeur turc “Baykar” à travers sa filiale marocaine Atlas Défense. A cela s’ajoute la production locale des véhicules blindés conformément à l’accord signé en septembre 2024 avec le géant indien Tata.