Chercheurs du Maroc et d’Afrique : l’IA générative est une opportunité historique pour sortir de l’élitisme académique

Pendant trop longtemps, les chercheurs marocains, africains et francophones ont été confrontés à une barrière invisible mais puissante : celle d’un système académique mondial dominé par des classements de revues de rang A, façonnés par des logiques anglo-saxonnes. Ce système évalue non seulement la rigueur scientifique, mais aussi — et surtout — la capacité à publier en anglais et en américain, à se conformer à des méthodologies imposées, à entrer dans les cercles restreints de l’élite académique globale.

Dans ce modèle, la maîtrise des standards linguistiques anglo-américains, l’accès à des budgets d’écriture et de relecture professionnelle, et la connaissance des codes implicites de publication sont devenus des critères de sélection implicites mais redoutablement efficaces. Pire encore, certains chercheurs dans les institutions les mieux dotées externalisent entièrement la production de leurs articles à des organismes spécialisés, payés pour rédiger, structurer et formater le texte selon les standards attendus, reléguant l’auteur au rang de commanditaire plus que de véritable contributeur intellectuel.

Ce système a relégué au second plan les travaux ancrés dans nos réalités, souvent porteurs d’une grande valeur ajoutée pour nos sociétés, mais considérés comme « hors champ » ou « non généralisables » par les standards dominants.

Aujourd’hui, une rupture majeure est en cours. L’intelligence artificielle générative redessine les contours de la production et de la diffusion scientifique. Elle permet à tout chercheur, quel que soit son lieu d’exercice ou ses moyens, de produire un texte clair, structuré, bien rédigé, voire traduit, en quelques minutes. Elle abolit d’un coup les inégalités liées à la langue, au style, à l’accès aux services coûteux d’écriture, de relecture, voire de sous-traitance complète. Elle démocratise un espace jusqu’alors réservé à une minorité.

C’est une chance. Mais c’est aussi un tournant politique et intellectuel que nous devons saisir.

Chercheurs du Maroc et d’Afrique, ne restons pas prisonniers d’un système qui n’a pas été conçu pour nous inclure. Utilisons ces nouveaux outils non pas pour imiter, mais pour proposer. Pour affirmer notre droit à une pensée située, à une recherche connectée à nos terrains, à nos défis, à nos cultures. Pour publier autrement, dans plusieurs langues. Pour créer des revues régionales exigeantes, ouvertes et valorisantes. Pour réinvestir le français, l’arabe, le swahili, le wolof, le berbère dans la pensée scientifique. Pour montrer que l’excellence ne se mesure pas uniquement à l’aune des publications dans Harvard Business Review, Management Science ou The Journal of Political Economy.

L’IA n’est pas la solution à tout. Mais elle est aujourd’hui un levier puissant pour corriger un déséquilibre historique. Elle nous donne les moyens de nous exprimer, de nous affirmer, de participer pleinement à la construction des savoirs mondiaux. Il ne tient qu’à nous d’en faire un instrument d’émancipation, et non une simple aide à la conformité.

Le monde a besoin de perspectives africaines, enracinées, plurielles, ambitieuses. Saisissons cette opportunité pour réinventer ensemble les règles du jeu académique.

* Dr. Az-Eddine Bennani est ingénieur en informatique, titulaire d’un MBA de Chicago, docteur en sciences économiques de la Sorbonne, et expert en management stratégique, gouvernance digitale et intelligence artificielle. Avec plus de 40 ans d’expérience en France, au Maroc et à l’international, il a été ingénieur système, consultant et manager chez Hewlett-Packard en France, en Europe et au MEA, a été professeur-chercheur à La Sorbonne Universités/UTC et à NEOMA Business School, et est actuellement professeur associé à l’Université Al Akhawayn.
 

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