Ces dernières années, le Maroc a redoublé d’efforts pour améliorer son climat des affaires, notamment sur les plans juridique et fiscal. Cependant, certaines pratiques institutionnelles persistent et freinent l’efficacité de ces réformes, influençant ainsi les notations du Royaume. Décryptage.
Le 26 mars, le Maroc a réussi à lever 2 milliards d’euros sur le marché international. L’émission de cet Eurobond, répartie en deux tranches de 4 et 10 ans, a rencontré un vif succès, avec une demande atteignant près de 7 milliards d’euros, soit 3,5 fois le montant initial. Bien que cette opération soit essentielle pour financer les grands chantiers engagés par le gouvernement, les conditions de financement auraient été plus avantageuses si le Royaume disposait d’une notation Investment Grade, alors que les trois principales agences de notation placent actuellement le Maroc dans le haut de la catégorie spéculative, juste en dessous du seuil des notations Investment Grade. Pourtant, Rabat a mis en œuvre durant les dernières années une batterie de mesures pour améliorer le climat des affaires et par ricochet sa notation.
Dans son dernier rapport sur les réformes de l’économie nationale, la Banque Mondiale souligne que le Maroc bénéficie d’un cadre réglementaire robuste pour le climat des affaires. Toutefois, des défis subsistent en matière d’efficacité opérationnelle, essentielle pour que les politiques publiques influencent positivement la dynamique des entreprises, précise le rapport qui évalue la performance du pays à travers l’initiative B-Ready.
Ce nouvel indice permet d’analyser les cadres réglementaires et l’efficacité des services publics, deux domaines où le Maroc surpasse la plupart des pays de son niveau de revenu. Le rapport met en évidence que le Maroc dépasse la moyenne des pays à revenu similaire concernant la qualité des cadres légaux et des services publics.« Le Maroc affiche un cadre réglementaire solide, imposant des exigences strictes en matière de dépôt des informations sur les entreprises et d’enregistrement des bénéficiaires effectifs, aussi bien pour les sociétés marocaines qu’étrangères », nous explique l’économiste El Mehdi Ferrouhi, Professeur à l’Université Ibn Tofail, notant que le pays a également mis en place des plateformes numériques pour la gestion des transactions immobilières et la délivrance des permis de construire.
L’accès aux services publics essentiels, tels que l’électricité, l’eau et Internet, est bien réglementé et fiable, ce qui, selon notre interlocuteur, compte en la matière. Par ailleurs, les droits du travail sont clairement définis, notamment en matière de non-discrimination et de protection contre le travail forcé. « Le cadre réglementaire des transactions sécurisées et du commerce international est bien développé, tout comme le cadre fiscal, qui est structuré et établi avec précision », conforte l’économiste, qui cite aussi l’indépendance et l’impartialité des tribunaux, ains que le cadre légal encadrant la concurrence.
Des avancées, mais on peut mieux faire
Concrètement, le rapport attribue au Maroc un score de 43,67 sur 100 concernant le règlement des litiges, légèrement en dessous de la moyenne des 50 pays évalués, qui est de 46. Selon le Comité National de l’Environnement des Affaires (CNEA), qui s’était déjà exprimé sur cette question, l’amélioration de ce score dépend de l’accélération de la modernisation de la justice, notamment par la réforme du Code de procédure civile et la réduction des délais de traitement et d’exécution des jugements via la digitalisation.
En matière de marchés et de concurrence, le Maroc obtient un score de 58,14 sur 100, supérieur à la moyenne de 48. Cette performance est attribuée aux avancées en innovation et propriété intellectuelle, suivies par les questions de concurrence et les marchés publics. Concernant l’insolvabilité des entreprises, le Maroc affiche un score de 46,58 sur 100, légèrement inférieur à la moyenne de 50.
Cependant, malgré ces avancées notables, plusieurs obstacles subsistent et freinent encore l’essor du secteur privé. L’un des principaux défis concerne le marché du travail, où des restrictions importantes pèsent sur l’emploi formel.« Le développement du secteur informel constitue un obstacle majeur à l’application des réglementations et à la modernisation du cadre économique », commente El Mehdi Ferrouhi.
En effet, si les droits des travailleurs sont bien protégés, les entreprises rencontrent des difficultés liées aux coûts d’embauche, aux salaires minimums et aux procédures de licenciement, apprend-on de la Banque Mondiale (BM). Cette rigidité contribue à une forte prévalence de l’informalité, même au sein des entreprises légalement établies. Ce déséquilibre accentue les inégalités sociales, créant une fracture entre les travailleurs bénéficiant d’une protection et ceux opérant dans des conditions précaires.
La réforme du Code du travail, annoncée par le gouvernement, apparaît donc comme une priorité pour favoriser l’inclusion économique et améliorer la compétitivité des entreprises marocaines.
Un autre point de préoccupation réside dans la gestion des litiges commerciaux. Les délais de traitement des affaires judiciaires restent longs, et les entreprises expriment des inquiétudes quant à la transparence et à la fiabilité des mécanismes de résolution des conflits. Le système judiciaire, bien que doté d’un cadre réglementaire robuste, souffre d’un manque d’efficacité opérationnelle. Pour remédier à cette situation, plusieurs réformes sont nécessaires, notamment l’accélération de la digitalisation des procédures, la modernisation du Code de procédure civile et le renforcement des compétences des magistrats spécialisés en justice commerciale. Une telle amélioration contribuerait à instaurer un climat de confiance auprès des investisseurs et à réduire l’incertitude juridique qui pèse sur les affaires.
L’insolvabilité des entreprises constitue un autre point faible du Maroc. Actuellement, le cadre juridique ne permet pas une restructuration efficace des entreprises en difficulté, ce qui entrave la réallocation des ressources vers des secteurs plus dynamiques. La Banque Mondiale souligne la nécessité d’adopter rapidement les décrets d’application relatifs à la gestion des faillites et de digitaliser les services liés à la liquidation des entreprises. En réduisant les délais et en facilitant l’accès aux procédures de redressement, le Maroc pourrait favoriser un environnement plus propice à l’innovation et à la croissance économique.
« L’informalité limite l’impact des réformes »
-Dans son dernier rapport sur l’économie marocaine, la Banque Mondiale met en avant la qualité des cadres réglementaires, tout en soulignant les défis persistants en termes d’efficacité opérationnelle. Quels sont, selon vous, les facteurs qui expliquent le manque d’application ou de respect de ces mesures ?
Outre les facteurs cités dans le rapport, le développement du secteur informel constitue un obstacle majeur à l’application des réglementations et à la modernisation du cadre économique. D’une part, les entreprises informelles échappent aux obligations réglementaires, fiscales et sociales, ce qui fausse la concurrence avec les entreprises déclarées et réduit les recettes fiscales de l’État. D’autre part, l’informalité limite l’impact des réformes, car celles-ci sont souvent conçues pour les entreprises du secteur formel.
-Ceci impacterait les choix même de la classe laborieuse ?
En effet, les travailleurs peuvent préférer rester dans l’informel pour éviter la lourdeur administrative et les charges fiscales perçues comme trop élevées.
Ceci est aggravé par les coûts de mise en conformité, notamment en termes de fiscalité et de charges sociales jugés élevés par les petits entrepreneurs, qui craignent d’être pénalisés financièrement et fiscalement en déclarant leur activité. De plus, l’accès limité au financement pour les entreprises du secteur informel les maintient dans une logique de survie où la régularisation semble risquée.
-Comment peut-on assurer une mise en œuvre optimale du cadre juridique afin de favoriser un meilleur climat des affaires ?
Il est crucial de combiner simplification administrative, digitalisation, contrôle renforcé, sensibilisation des acteurs économiques et incitations adaptées. La réduction de la lourdeur administrative et la fragmentation des services peuvent se faire par des guichets uniques et l’harmonisation des processus entre administrations. La loi 55.19, visant à simplifier les procédures administratives, a un impact positif sur la qualité des services publics, la transparence et la réduction des formalités, comme la suppression de 22 certificats administratifs. L’interconnexion des bases de données faciliterait également la suppression des démarches redondantes et améliorerait la clarté des procédures.
Il est aussi important d’élargir l’usage des plateformes numériques pour les déclarations d’entreprise, la gestion des transactions immobilières et l’obtention des permis. Des technologies comme la blockchain peuvent renforcer la sécurité des transactions. Toutefois, le manque de connaissance des régulations par les PME reste un défi majeur.
Des campagnes de sensibilisation sont nécessaires pour aider les entreprises à mieux comprendre et appliquer les normes. Il est également essentiel d’accompagner la transition du secteur informel vers le formel avec des incitations fiscales et administratives, comme des allègements fiscaux et un meilleur accès au financement pour encourager la formalisation des entreprises.
Les grands freins des entreprises
Dans le domaine des services financiers, le pays a réalisé, selon la BM, des avancées notables, mais certaines lacunes demeurent. L’accès au crédit reste un défi, notamment pour les petites et moyennes entreprises, qui peinent à obtenir des garanties suffisantes pour leurs emprunts. La Banque Mondiale recommande d’élargir les types de garanties acceptées par les institutions financières et de renforcer la sensibilisation à l’utilisation du Registre National Électronique des Sûretés Mobilières. Par ailleurs, le développement des paiements électroniques pourrait jouer un rôle clé dans la modernisation du secteur financier, à condition que les coûts de transaction soient réduits pour encourager leur adoption à grande échelle.
La concurrence et l’innovation sont en outre deux leviers essentiels pour améliorer le climat des affaires au Maroc. Si des progrès ont été réalisés avec la réforme du Conseil de la Concurrence et la modernisation du cadre légal, des efforts supplémentaires sont nécessaires pour stimuler la recherche et développement. Le faible taux d’entreprises investissant dans l’innovation et les difficultés rencontrées dans l’accès aux marchés publics demeurent des freins à la compétitivité du pays. L’amélioration des processus de passation des marchés publics et une plus grande implication du secteur privé dans la recherche pourraient dynamiser l’économie marocaine et attirer davantage d’investissements étrangers.