Conférence sur la gestion et le développement durable des ressources en eau au Maroc

Face à une pression hydrique croissante, amplifiée par des conditions climatiques extrêmes, la désertification et les impacts multiformes du changement climatique, le Maroc se trouve à un tournant critique de son histoire hydrologique à cause de sept années sèches consécutives depuis l’année 2018. La question de l’eau ne relève plus uniquement de la gestion environnementale : elle est désormais au cœur des enjeux de sécurité nationale, de souveraineté hydrique et alimentaire, de stabilité sociale et de résilience économique.

C’est dans ce contexte que la section Rabat-Salé-Kénitra de l’Alliance des Ingénieurs Istiqlaliens a organisé, le 24 avril 2025 à Rabat, une conférence scientifique de premier plan intitulée :« Gestion et développement des ressources en eau au Maroc : défis, innovations et perspectives ».

Cet événement d’envergure a rassemblé plus de 60 experts de haut niveau, ingénieurs, chercheurs, décideurs publics et représentants institutionnels , dans une dynamique de réflexion stratégique et de co-construction de solutions concrètes et durables.

L’animation de la conférence a été assurée par M. Hassan Mazine, ingénieur et membre actif de l’Alliance des Ingénieurs Istiqlaliens, qui a su guider les débats avec professionnalisme, favorisant un échange fructueux autour des solutions possibles pour répondre aux défis hydriques du Maroc.

Une urgence hydrique nationale sous l’éclairage de l’expertise scientifique

Dans son allocution d’ouverture, M. Mohamed Faquiri, président de la section Rabat-Salé-Kénitra de l’Alliance, a souligné l’urgence d’une mobilisation collective face à une situation de stress hydrique structurel. Il a insisté sur la nécessité de rompre avec les approches fragmentaires pour privilégier une gouvernance intégrée, inclusive et fondée sur des données scientifiques robustes.« L’accès à l’eau devient un déterminant stratégique du développement national, au même titre que l’énergie ou l’éducation », a-t-il affirmé, appelant à une transformation profonde des modes de gestion à travers des politiques publiques coordonnées, une meilleure allocation des ressources en eau, et l’adoption de technologies disruptives.

L’eau comme pilier de la souveraineté nationale

M. Aziz Hilali, président national de l’Alliance des Ingénieurs Istiqlaliens et membre du comité exécutif du Parti, a développé une vision systémique de la crise de l’eau, en rappelant que l’eau constitue le socle de la sécurité alimentaire, de la production énergétique et de la stabilitégéopolitique.

Il a attiré l’attention sur le fait que l’agriculture marocaine, qui consomme plus de 85 % de l’eau douce disponible, doit impérativement évoluer vers un modèle de production plus économe en ressources hydriques. Il a mis en avant les innovations technologiques telles que l’irrigation de précision, la gestion intelligente de l’eau agricole et la digitalisation des systèmes hydrauliques.

M. Hilali a également souligné le rôle crucial que peuvent jouer les ingénieurs dans cette mutation : « L’ingénieur marocain doit aujourd’hui être un acteur central de la transition hydrique, à l’interface des politiques publiques, des réalités territoriales et des impératifs scientifiques. »

Énergie nucléaire et dessalement : une synergie stratégique

L’intervention de M. Khalid Laraki, Docteur, Ingénieur et expert auprès de l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA), a marqué un tournant technologique dans les discussions. Il a plaidé pour une intégration stratégique du dessalement de l’eau de mer par énergie nucléaire, en particulier dans les régions à faible disponibilité hydrique comme le Sud et l’Oriental du Maroc. Selon lui, cette technologie offre un double avantage : elle permet une production d’eau potable continue, stable et à faible intensité carbone, tout en sécurisant l’approvisionnement en eau dans un contexte de variabilité climatique extrême.
Il a également souligné l’importance des technologies isotopiques pour la gestion des nappes phréatiques. Ces outils permettent une surveillance précise des aquifères et une meilleure optimisation des systèmes d’irrigation, essentiels pour garantir la durabilité des ressources en eau. Des projets similaires, notamment aux Émirats Arabes  Unies, ont démontré l’efficacité de cette technologie pour diversifier les sources d’eau tout en renforçant la souveraineté hydrique.

En intégrant ces solutions, le Maroc pourrait non seulement renforcer sa résilience climatique, mais aussi diversifier ses sources d’énergie et garantir un approvisionnement en eau durable à long terme.

La GIRE comme levier de durabilité territoriale
 
Mme Touria El Afti, ingénieure générale et spécialiste en planification et Gestion Intégrée des Ressources en Eau (GIRE), a rappelé la répartition inégale des ressources en eau de notre pays dans le temps et dans l’espace. En effet, les bassins du Loukkos et du Sebou qui ne représentent que 7,4% de la superficie du Royaume, disposent de 51% des ressources en eau tandis que le reste des bassins avec une superficie de 92,6% ne disposent que de 49%. Et d’ajouter que selon le recensement de 2024, le ratio des ressources en eau naturelles par habitant et par an ne dépasse pas 600 m3/habitant/an, ce qui classe le Maroc parmi les pays en stress hydrique. Ce qui a conduit à des inflexions majeures de la politique de l’eau selon les Orientations Royales de SA MAJESTE LE ROI MOHAMMED VI. Les solutions de l’eau, ainsi mises en œuvre, en cours et programmées selon une logique d’équilibre et une gestion intégrée des ressources en eau conventionnelles et non conventionnelles permettent développement des ressources en eau au niveau des bassins hydrauliques assurant la sécurité hydrique du pays. Ces solutions concernent, l’accélération de construction des barrages, la collectes des eaux pluviales, le désenvasement des barrages, la réalisation d’un programme des usines de dessalement de l’eau de mer, des projets de la réutilisation des eaux usées, la recharge des nappes et leurs contrats de gestion rationnelles, la gestion de la demande en eau. Et l’accompagnement des réalisations des projets structurants par des actions urgentes etde sensibilisation des usagers directes sur l’économie de l’eau.
 
Elle a souligné que la coordination multi-niveaux entre l’ensemble des intervenants dans le secteur de l’eau est nécessaire à la réussite de la GIRE.
 
Recommandations stratégiques issues de la conférence
 
À l’issue des travaux, plusieurs recommandations stratégiques majeures ont été proposées :
 
1. Institutionnaliser la GIRE dans l’ensemble des politiques publiques, avec une approche territorialisée et multisectorielle ;
2. Accélérer le développement du dessalement nucléaire, en garantissant des normes de sûreté et une acceptabilité sociale via des processus participatifs ;
3. Mettre en œuvre des systèmes avancés de suivi des nappes phréatiques, en intégrant l’imagerie satellite, les capteurs connectés et les analyses isotopiques ;
4. Réduire la pollution des eaux de surface et souterraines, par une stratégie de dépollution intégrée et l’application du principe pollueur-payeur ;
5. Valoriser les eaux non conventionnelles (eaux usées, eaux de pluie) comme ressources complémentaires dans le mix hydrique national ;
6. Optimiser et accélérer la réalisation des transferts d’eau interbassins selon une logique d’équité, de solidarité régionale et de sécurité hydrique ;
7. Renforcer la résilience climatique, notamment par des systèmes d’alerte précoce, la diversification des sources d’eau et l’adaptation des cultures aux disponibilités de l’eau ;
8. Investir dans la recherche, l’innovation et la formation, en particulier dans les domaines de la modélisation hydrologique, du suivi numérique de la qualité et de la quantité de l’eau par bassin, des matériaux pour le traitement de l’eau et des technologies de surveillance des prélèvements de l’eau de surface et souterraines;
9. Favoriser la coopération régionale et internationale, notamment autour des ressources transfrontalières, dans une logique de paix hydrique et de diplomatie environnementale.
 
L’eau : catalyseur de développement ou facteur de crise ?
 
La Banque mondiale estime que les pertes économiques induites par le stress hydrique pourraient atteindre jusqu’à 6 % du PIB du Maroc d’ici 2050 en l’absence de réformes structurelles. L’eau, au-delà d’un simple enjeu de disponibilité, devient une variable stratégique de gouvernance. Sa rareté, si elle n’est pas gérée de manière intégrée, peut amplifier les inégalités, freiner l’industrialisation, compromettre la transition agricole et fragiliser la stabilité sociale.
 

Conclusion : Pour une transition hydrique durable et souveraine
La conférence a permis d’établir un diagnostic précis et partagé de la situation hydrique du Maroc, tout en ouvrant la voie à des solutions fondées sur la science, l’innovation technologique et la coopération.Le Maroc est désormais à l’heure des choix structurants : soit il investit résolument dans une transition hydrique durable, soit il s’expose à un futur incertain, marqué par la vulnérabilité économique et environnementale.
L’Alliance des Ingénieurs Istiqlaliens, par cette initiative, affirme son ambition de devenir un acteur central du plaidoyer, de l’expertise et de l’action en faveur d’un nouveau pacte national pour l’eau, à même de garantir la sécurité et la souveraineté hydrique pour les générations futures.

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