Coopération sécuritaire : Les dessous de la traque implacable des “grands malfrats” français au Maroc

De plus en plus de grands criminels français se font arrêter au Maroc au moment où l’Hexagone est ébranlé par une montée sans précédent du crime organisé. Décryptage.

 

Jamais le Maroc n’a offert autant de délinquants “prêts à porter” aux autorités françaises. La traque continue avec un succès retentissant. Qu’ils soient Français de souche, Franco-Marocains ou Franco-Algériens, les criminels ultramédiatisés sous le coup des notices rouges sont de plus en plus nombreux à se faire écrouer au Maroc. Dernier en date. Un certain Badiss Mohamed Amide Bajjou, ce Franco-Marocain de 24 ans a été interpellé, mercredi, à Tanger par la police marocaine.

 

Grâce à des renseignements ultraprécis fournis par la DGST, les éléments de la Brigade nationale de la Police judiciaire ont mis la main sur le suspect, poursuivi depuis des semaines par la police française pour son implication présumée dans une série d’enlèvements dans les milieux de la crypto-monnaie en France. Malgré son jeune âge, ce natif du Chesnay aux Yvelines est soupçonné d’être le cerveau d’un immense réseau d’enlèvement ciblant des détenteurs de crypto-monnaies et leurs proches. Il aurait même commandité des rapts depuis l’étranger. Lui et ses sbires séquestrent leurs victimes ayant fait fortune dans les cryptomonnaies pour demander ensuite une rançon contre leur libération. Ils visaient surtout les plus bavards qui étalaient leurs success stories sur Internet. Les ravisseurs ne s’embarrassent pas de kidnapper leurs cibles en plein jour de façon spectaculaire, comme ce fut le cas lors de la tentative d’enlèvement de David Balland et de sa compagne en janvier dernier. Une séquence qui a défrayé la chronique par sa violence. Au 11ème arrondissement de Paris, des individus cagoulés armés s’en sont pris violemment à l’homme et sa compagne pour les engouffrer de force dans une camionnette. Une scène surréaliste qui a fait le tour des médias et des réseaux sociaux. Tout le monde à l’Hexagone en fut horrifié.

 

Depuis janvier, les rapts et les tentatives d’enlèvements se multiplient à un rythme inquiétant en France. Un phénomène nouveau qui touche particulièrement les milieux de la crypto-monnaie.

 

La police française est quasiment convaincue que Badiss Mohamed Amide Bajjou est derrière ce rapt et serait également lui qui a commandité depuis le Maroc l’agression d’une femme de 56 ans en région parisienne pour réclamer une rançon en cryptomonnaie contre sa libération.

 

Lorsqu’il a été arrêté à Tanger, la police marocaine a découvert à l’issue des perquisitions des armes blanches, y compris des épées et des coutelas, une somme d’argent et des dizaines de téléphones portables et d’appareils de communication. Maintenant, reste à savoir si le suspect sera extradé vers la France sachant qu’il a la double nationalité franco-marocaine.

 

Cette arrestation n’a pas manqué de contenter les autorités françaises. Le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, en a jubilé. « Je remercie sincèrement le Maroc pour cette arrestation qui montre l’excellente coopération judiciaire entre nos deux pays, en particulier contre la criminalité organisée », a-t-il écrit sur X.

 

Le bal des délinquants continue !

 

Le Garde des sceaux se rend bien compte à quel point est vital le concours du Maroc dans la lutte contre le crime organisé, de plus en plus inextricable et internationalisé. On se souvient bien de la fameuse phrase qu’il a prononcée, en mars dernier, lors de sa récente visite à Rabat. “La France serait moins sûre sans le travail du Maroc”, a-t-il reconnu.

 

Cet aveu ne fut pas un hasard, mais un sincère remerciement au travail énorme des autorités marocaines qui se livrent depuis des années à une véritable traque des grands criminels français, dont les complices de Mohammed Amra. Le 14 mai 2024, ce narcotrafiquant était parvenu à s’évader de sa prison en Normandie à l’aide d’un commando cagoulé qui l’a libéré d’un cortège pénitentiaire en plein route, faisant deux morts et trois autres blessés chez les agents pénitentiaires. Le fugitif est finalement arrêté en Roumanie au bout de neuf mois de cabale. En même temps, deux de ses complices ont été interpellés à Marrakech dans le cadre d’un mandat d’arrêt international.

 

Des sources policières citées par “Le Monde” à ce moment avaient fait état d’une “réponse extrêmement rapide, de l’ordre de quelques heures” des autorités marocaines. Il ne s’agit que d’un cas parmi d’autres, dont celui du célèbre cyber-criminel Sébastien Raoult. Cet étudiant français que les autorités marocaines avaient arrêté et extradé, le 25 janvier 2023, vers les Etats-Unis, où il était dans le viseur du FBI. Ce “gig” avait tracassé les autorités américaines après avoir piraté des sites d’entreprises américaines.

 

Rien à voir avec le contexte politique !

 

Contrairement à plusieurs analyses médiatiques, ce succès de la coopération sécuritaire à tous les niveaux n’est pas dû strictement au contexte politique. De nombreux analystes se méprennent lorsqu’ils pensent que la coopération sécuritaire a atteint un tel niveau d’efficacité après la réconciliation franco-marocaine. Force est de rappeler que les liens entre les services de renseignements et les autorités judiciaires transcendent les vicissitudes de la politique et les soubresauts diplomatiques. “Le temps des renseignements n’est absolument pas le temps politique”, lâche une source du ministère de l’Intérieur, rappelant que la coopération a été maintenue même au plus fort de la crise diplomatique entre Rabat et Paris. Notre source, qui a préféré garder l’anonymat, cite l’exemple de l’Imam Iquioussen qui a été rapatrié au Maroc en 2023 au moment où la crise diplomatique battait son plein. Alors, Gérald Darmanin voulait se débarrasser de l’Imam sulfureux à tout prix, en en faisait même une affaire d’Etat. Bien que le Maroc n’eût aucun intérêt à accueillir un individu soupçonné de radicalisation, il a été finalement rapatrié au moment où les contacts diplomatiques étaient quasiment gelés.

 

La seule fois où la coopération judiciaire et l’échange de renseignements furent véritablement rompus était à l’époque du président François Hollande en 2014 à cause d’une maladresse impardonnable de la Justice française à l’ambassade du Royaume à Paris. Le président français s’est excusé formellement de cet incident avant que les choses ne reprennent leur cours normal. Le Maroc avait ensuite aidé la France à déjouer des attentats terroristes et à mettre la fin sur les responsables des attentats de novembre 2015.

 

Paris compte de plus en plus sur le Maroc

 

Aujourd’hui, Paris compte plus que jamais sur le Maroc pour lutter contre le crime transnational. Secouée par une vague de criminalité sans précédent, la France cherche de plus en plus de l’aide de ses partenaires internationaux. La criminalité, que ce soit le narcotrafic ou celui des bandes organisées, a atteint un niveau tel qu’on parle de “mexicanisation de la France” dans les salons parisiens. Les cartels n’ont pas jamais été si nombreux avec des points de deal partout, surtout dans les zones périphériques autour des grandes villes. Dans un tel contexte, Paris compte sur le concours du Royaume pour le démantèlement des réseaux criminels, notamment ceux en lien avec le Maghreb. Ce qui fait l’objet du nouveau partenariat global que le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a annoncé, en avril, à Rabat lors de sa dernière visite au Maroc. Un partenariat étoffé par les accords de coopération judiciaire signés lors de la visite de Gérald Darmanin quelques semaines plus tard.

 

 

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