Criminalité financière : Classé 75ème mondial, le Maroc doit apurer son écosystème économique

​Classé 75ème sur 177 nations, selon l’indice SECI, le Royaume se situe dans la catégorie des “Vigilant Players” en matière de criminalité économique, statut révélateur d’un engagement réel, mais encore insuffisant.

Dans son rapport Global Financial and Economic Crime Outlook 2025, le cabinet Secretariat a livré une évaluation sans précédent de la vulnérabilité des pays face à la criminalité économique et financière. Le classement SECI (Secretariat Economic Crime Index) y joue un rôle central, et le Maroc y occupe la 75ème position sur 177 pays, avec un score de 2,14. Ce chiffre le place dans la catégorie des « Vigilant Players », c’est-à-dire des États engagés mais encore perfectibles dans leur lutte contre les crimes financiers.
 
Cet indice composite, qui va de 0 (risque minimal) à 4 (risque maximal), évalue l’exposition d’un pays aux risques liés au blanchiment d’argent, à la corruption et à la criminalité organisée. Il s’appuie sur des données croisées provenant du Basel AML Index, du Corruption Perceptions Index et de l’Organized Crime Index. Grâce à cette méthodologie, le SECI offre une vision unifiée et cohérente des risques économiques et financiers pesant sur chaque nation.
 
Le Maroc, avec un score situé entre 1,54 et 2,18, fait partie des Vigilant Players, un groupe de pays qui se distinguent par leur volonté de renforcer leurs systèmes de contrôle tout en restant confrontés à des lacunes structurelles. Ces pays sont en mouvement, adaptant progressivement leurs cadres réglementaires aux standards internationaux, mais devant encore combler certaines failles, notamment en matière de surveillance, de transparence et de coordination institutionnelle.
 
Plus de modernisation, plus de performance
 
Cette position souligne que le Royaume n’est pas parmi les plus exposés, mais qu’il n’est pas encore dans le peloton de tête. Il fait face à des défis importants, en particulier dans la modernisation des mécanismes de contrôle, la consolidation de l’autorité de ses organes de supervision et l’adaptation aux menaces émergentes comme la cyberfraude, la manipulation des cryptomonnaies ou encore les escroqueries par Intelligence Artificielle.
 
En cela, le Maroc n’est pas seul. Des pays comme l’Italie, la Roumanie, la Tunisie ou les Émirats Arabes Unis partagent cette catégorie. Tous sont confrontés au dilemme de maintenir une croissance économique ouverte sans devenir vulnérables aux flux financiers illicites. Le classement du Royaume reflète des efforts louables dans la lutte contre le blanchiment et la corruption, mais met aussi en lumière des zones de fragilité. La surveillance en temps réel des transactions, le partage des données à l’international, ou encore l’intégration de technologies réglementaires (RegTech) sont autant de chantiers encore à renforcer.
 
Le rapport n’émet pas de recommandations spécifiques à chaque pays, mais identifie des leviers d’action applicables aux membres de cette catégorie intermédiaire. Le Maroc peut s’en inspirer pour accélérer sa transition vers un modèle plus transparent et plus résilient.
 
RegTech, RTTM et encore…
 
Parmi ces leviers, le premier consiste à adopter des solutions RegTech pour automatiser la conformité réglementaire. Cela passe par l’utilisation de plateformes basées sur l’IA pour faciliter les processus de vérification des clients (KYC), de lutte anti-blanchiment (AML) et de reporting financier. Une telle approche permettrait de réduire les erreurs humaines et d’améliorer la détection précoce d’activités suspectes.
Le renforcement de la surveillance en temps réel des transactions (RTTM) est aussi une piste incontournable.  Grâce à des technologies d’analyse avancée, les institutions financières marocaines pourraient détecter des anomalies au moment même où elles se produisent, évitant ainsi que des fonds illicites ne se fondent dans le système légal.
 
Le Maroc gagnerait également à développer ses mécanismes de partage d’informations financières au niveau international, en collaborant plus étroitement avec les unités de renseignement financier (FIUs) étrangères, et en se conformant aux directives du GAFI. Ce dernier a d’ailleurs décidé, en 2023, à l’unanimité de ses membres, la sortie du Royaume du processus de surveillance renforcée, connu sous l’appellation «Liste grise», après évaluation de la conformité du dispositif national avec les normes internationales relatives à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, et ce, depuis l’adoption par le GAFI, en février 2021, du plan d’action spécifique au Royaume du Maroc. Ce réseau de coopération est essentiel pour pister les circuits transnationaux du blanchiment, insiste le rapport.
 
Au-delà de la tech !
 
Mais la technologie seule ne suffit pas. Le rapport insiste aussi sur la nécessité d’améliorer la gouvernance interne, en instaurant des mécanismes clairs de reddition de comptes, en protégeant les lanceurs d’alerte et en effectuant des audits réguliers des processus internes. Une organisation bien gouvernée est moins perméable aux risques de fraude ou de malversations internes.
 
Face à l’émergence des actifs numériques, le Maroc se doit par ailleurs de renforcer l’encadrement réglementaire des cryptomonnaies et plateformes DeFi, qui deviennent des terrains privilégiés pour le blanchiment moderne. Des investissements dans des outils d’analyse blockchain permettraient de tracer ces flux autrement invisibles. En novembre dernier, Abdellatif Jouahri, Wali de Bank Al-Maghrib, a annoncé que la banque centrale travaillait à l’élaboration d’un cadre juridique destiné à encadrer l’utilisation des cryptomonnaies. Il a précisé qu’un projet de loi régissant les cryptoactifs était en cours d’adoption. Cette initiative marque un tournant par rapport à la position adoptée depuis 2017, année durant laquelle le Maroc avait interdit les transactions en monnaies virtuelles. À l’époque, les autorités financières mettaient en garde contre les risques liés à ces actifs, notamment l’absence de protection des consommateurs, la forte volatilité des cours et leur possible usage à des fins illicites.
 
Pour accompagner tous ces changements, il est essentiel de renforcer les capacités humaines. Former les enquêteurs, juges, procureurs et agents de conformité aux standards internationaux, aux outils numériques et aux pratiques d’enquête financière devient un enjeu national de premier plan.
 
Le rapport propose en outre d’intégrer les critères ESG (Environnement, Social, Gouvernance) dans les politiques de lutte contre la criminalité économique. En effet, certaines violations des droits humains ou atteintes à l’environnement cachent des montages frauduleux ou des circuits de financement illégal. Associer audits ESG et dispositifs de conformité financière permettrait de détecter plus en amont ces formes de criminalité déguisée.
 
En s’appuyant sur ces recommandations, le Maroc pourrait passer d’une posture vigilante à un rôle de leader. Il rejoindrait ainsi le cercle restreint des Transparent Titans, ces pays dont la transparence et la gouvernance exemplaires font figure de modèle dans la lutte contre les crimes économiques.
 
 

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