Le séquençage inédit de l’ADN d’un Égyptien de l’Ancien Empire révèle qu’il portait dans ses gènes une ascendance majoritairement apparentée aux populations néolithiques du Maroc.
Le Maroc ancien est à nouveau au cœur d’une découverte majeure sur l’Histoire ancienne de l’Afrique du Nord. Pour la première fois, une équipe de généticiens a pu séquencer le génome complet d’un homme de l’Ancien Empire égyptien, enterré il y a plus de 4500 ans près de Béni Hasan, au Sud du Caire. Ce squelette révèle une parenté inattendue : «La majeure partie de son génome est mieux représentée par l’ascendance nord-africaine néolithique, parmi les sources disponibles à ce jour», indiquent les auteurs dans la prestigieuse revue scientifique «
Nature ». Autrement dit, cet homme partageait des ancêtres communs avec les populations néolithiques du Maroc, vieilles de plus de 6000 ans, qui ont laissé leurs traces de l’Atlantique au Sahara. Le corps a été découvert dans une jarre funéraire, pratique qui aurait favorisé une conservation rare de l’ADN : «Le corps a été inhumé dans une jarre en céramique à l’intérieur d’une tombe taillée dans la roche, ce qui a probablement contribué à la préservation de l’ADN», notent-ils.
« L’homme de Nuwayrat »
Le contexte de cette découverte est tout aussi révélateur. L’homme de Nuwayrat vivait à l’époque des grandes pyramides, entre 2855 et 2570 avant notre ère, quelques siècles après l’unification de la Haute et de la Basse-Égypte. Jusqu’ici, l’idée dominante voulait que la population de l’Égypte dynastique soit presque exclusivement issue du Nil et de ses alentours, avec peu d’influences extérieures. Mais l’analyse génétique change la donne. «Nos résultats indiquent que les contacts entre l’Égypte et le Croissant fertile oriental ne se limitaient pas aux objets ou aux idées, mais incluaient aussi la migration humaine», écrivent les auteurs. En d’autres termes, l’Égypte n’a pas seulement importé du bétail ou des graines venues de Mésopotamie : elle a aussi accueilli des groupes humains venus de très loin, qui se sont métissés avec les habitants du Nil. Pour établir ces liens, l’équipe a travaillé sur une technique délicate : extraire et comparer l’ADN vieux de plusieurs millénaires à des génomes anciens et modernes.
Entre Est et Ouest
Grâce à une méthode dite de séquençage à faible couverture, ils ont pu lire suffisamment de fragments pour dresser un portrait précis. «La séquence a une couverture du génome de 2×, ce qui est suffisant pour détecter des ascendances complexes malgré la dégradation naturelle», expliquent-ils. En combinant ces données avec une base de plus de 4.000 individus (anciens comme contemporains), les chercheurs ont pu remonter la piste de cet héritage partagé. La surprise vient de la part mésopotamienne : environ 20% de l’ADN du squelette provient du Croissant fertile oriental, cœur des premières civilisations agricoles de l’humanité. «Aucun modèle à source unique ne convenait, le modèle à deux sources qui fonctionnait combinait 77,6% d’ascendance du Maroc néolithique moyen et 22,4% de la Mésopotamie néolithique», détaille l’étude. Ces résultats apportent un nouvel éclairage sur le rôle du Maroc néolithique dans la trame migratoire préhistorique. Loin d’être isolé, le Maghreb faisait partie d’un vaste réseau de déplacements et d’échanges qui reliaient l’Afrique du Nord à l’ancien Orient.
Migrations et métissages
«Tous les modèles acceptés montrent la présence d’une ascendance liée au Maroc néolithique moyen dans le génome de Nuwayrat», rappellent les auteurs. Bien avant les routes caravanières transsahariennes, des mouvements de population ont façonné un socle génétique commun, reliant les rives de l’Atlantique aux rives du Nil. Ces flux rejoignent les découvertes archéologiques qui avaient déjà révélé des ressemblances dans la poterie, les outils ou les pratiques agricoles entre le Maghreb et l’Égypte, mais jamais jusqu’à présent l’ADN n’avait apporté de preuve aussi directe d’un métissage ancien. Au-delà du simple échange commercial ou technologique, ce fragment de génome met en lumière une circulation réelle de familles et de communautés entières à travers le désert. «Nos résultats ouvrent la possibilité que la transmission culturelle s’accompagnait aussi de migrations et de métissages», conclut l’équipe. Pour aller plus loin, les chercheurs appellent désormais à multiplier les prélèvements sur d’autres sites nord-africains.
3 questions à Abdelouahed Ben-Ncer, paléoanthropologue : « Les résultats mis en avant par cet article scientifique sont encourageants »
Que vous inspire cette découverte qui relie l’Égypte de l’Ancien Empire au Maroc néolithique ?
– Je vois deux aspects. D’abord, les résultats mis en avant par cet article scientifique sont encourageants : l’ADN ancien se conserve très mal, surtout dans des régions chaudes comme l’Afrique du Nord. Or, grâce aux avancées technologiques, on parvient aujourd’hui à extraire de l’ADN même dans des conditions qui, autrefois, rendaient cela quasi impossible. C’est un progrès important. Ensuite, sur le lien suggéré avec le Maroc néolithique, j’émettrais une réserve car l’étude ne porte que sur un seul individu. Pour confirmer un lien solide entre populations, il faudrait multiplier les échantillons et disposer d’un corpus statistiquement représentatif.
Comment cela s’articule-t-il avec ce que l’on sait déjà des populations néolithiques du Maroc ?
– Ce résultat va dans le sens d’analyses génétiques antérieures, sur des sites comme la grotte Baroud près de Benslimane, mais aussi Skhirat-Rouazi, qui montraient déjà des liens avec la péninsule ibérique et surtout les Natoufiens (culture archéologique attestée au Levant entre 14.500 et 11.500 avant le présent, NDLR). On sait qu’il y a eu un apport ibérique vers le Nord du Maroc et une influence natoufienne dans les techniques et le savoir-faire, notamment pour la céramique. Tout cela prouve qu’il y a eu circulation de populations, échanges culturels et flux génétiques au Néolithique, voire avant. Cette nouvelle étude s’inscrit donc dans cette dynamique : elle confirme qu’il y a bien eu des contacts anciens, mais il reste à multiplier les analyses pour valider ces connexions sur une base statistique plus large. L’essentiel est de trouver des restes humains intacts, car certaines pratiques comme la momification abîment l’ADN et compliquent son exploitation.
Où en est le Maroc sur le chantier de l’ADN très ancien ?
– L’essentiel, c’est la formation. À la Faculté des Sciences de Rabat, le département de biologie est par exemple très actif et nous n’avons rien à envier à l’étranger sur ce plan. Ensuite, il ne faut pas hésiter à collaborer avec des laboratoires spécialisés à l’international. Souvent, faire analyser des échantillons dans un centre reconnu coûte moins cher et donne des résultats fiables que l’on peut exploiter scientifiquement. Aujourd’hui, on partage de plus en plus les moyens : autrefois, on mutualisait pour la datation des sites ; maintenant, on peut le faire pour la biologie moléculaire. Cette mutualisation permet des économies, mais surtout un échange d’expertise et une circulation des compétences. L’objectif, au final, c’est d’obtenir des résultats solides, portés par des équipes impliquées localement. Cela donne plus de poids aux publications et accroît leur impact scientifique.
Séquençage : Comment l’ADN relie le Maroc néolithique à l’Égypte ancienne
Pour comprendre d’où venait vraiment l’homme de Nuwayrat, les chercheurs ont comparé son ADN à des milliers de génomes anciens. «Aucun modèle simple ne convenait», expliquent-ils. C’est grâce à la méthode «qpAdm» que le scénario s’est précisé à travers la mise à contribution de cette méthode en tant qu’outil statistique utilisé pour étudier l’ascendance des populations en modélisant leur histoire de mélange génétique entre différentes populations sources. La conclusion étant qu’environ 78% de l’héritage génétique de l’homme de Nuwayrat vient du Maroc néolithique moyen, le reste de la Mésopotamie et du Levant de l’âge du bronze, l’infographie ci-contre montre comment ces sources s’équilibrent. «Les modèles retenus révèlent une double origine claire», notent-ils. La carte replace chaque population sur la carte du monde ancien. L’ADN de cet Égyptien se lit ainsi comme un pont entre l’Afrique du Nord et le Croissant fertile. «Notre analyse indique que ces migrations ont laissé une trace durable dans le génome égyptien», conclut l’équipe.
Préhistoire : Le Maroc néolithique, maillon discret de la grande Histoire africaine
Bien avant que l’homme de Nuwayrat ne révèle ses secrets d’ADN, les archéologues savaient déjà que le Maroc néolithique avait joué un rôle clé dans l’Histoire de l’Afrique du Nord. À partir du 6ème millénaire avant notre ère, de petites communautés sédentaires s’installent sur les côtes atlantiques et dans l’intérieur des terres. On leur attribue l’introduction de l’agriculture, de l’élevage et des premières formes de poterie. Des sites comme Taforalt, Skhirat-Rouazi ou KafTaht el-Ghar ont livré des sépultures, des outils et quelques indices sur leur mode de vie, mais leur histoire reste fragmentaire. Ces populations vivaient à l’écart des grandes civilisations du Croissant fertile, mais rien n’indique qu’elles étaient coupées du reste du continent. Certaines théories suggèrent que des routes de passage existaient déjà à travers l’Atlas et le Sahara, reliant l’Atlantique à la vallée du Nil. Le climat plus humide de l’époque aurait permis à des groupes de circuler plus facilement, emportant avec eux des techniques, des plantes et des animaux domestiqués. La découverte récente d’un génome égyptien portant cette signature nord-africaine donne corps à ces hypothèses, mais ne suffit pas à tout démontrer. Car, malgré des décennies de recherches, le Maroc néolithique reste encore mal connu : les fouilles sont rares, les sites souvent partiellement fouillés, et la conservation des restes humains reste un défi majeur. L’ADN ancien est rarement bien préservé à cause des sols acides et des fluctuations climatiques.