De nombreux décrocheurs, issus de différents niveaux scolaires, ont réussi à regagner leurs classes cette année, après plusieurs années d’absence. Une démarche qui ne fait, toutefois, pas l’unanimité chez les enseignants, lesquels pointent du doigt le manque de préparation pédagogique et psychologique de cette catégorie d’élèves. Détails.
Alors que le phénomène du décrochage scolaire ne cesse de prendre des proportions inquiétantes, le ministère de l’Éducation nationale s’efforce de faciliter la réintégration des jeunes ayant quitté l’école dans les classes aux côtés de leurs pairs. Un chantier de plus en plus pressant au vu des engagements de la feuille de route 2022-2026 pour une école publique de qualité pour tous, laquelle vise à réduire de moitié le décrochage scolaire d’ici moins de deux ans.
En effet, le ministère de tutelle a adressé une correspondance aux directeurs des établissements d’enseignement secondaire, les appelant à simplifier les procédures de réinscription, au titre de l’année scolaire 2025-2026. Les Conseils de classe ont été tenus au sein des écoles pour examiner les demandes des décrocheurs souhaitant reprendre leurs études, y compris celles d’élèves ayant déjà sollicité une réintégration les années précédentes.
Pour réussir cette opération, visant à lutter contre le décrochage scolaire, un âge limite a été fixé selon les niveaux scolaires. Ainsi, 17 ans ont été fixés pour l’admission des élèves en 1ère année du collège, 18 ans pour la 2ème, 19 ans pour la 3ème, 20 ans pour le tronc commun, 21 ans pour la 1ère année du baccalauréat et 22 ans pour la 2ère année. Ces jeunes s’ajoutent à une autre catégorie d’autres jeunes passés à travers toutes les mailles des dispositifs d’aide, intégrés, pour leur part, dans les écoles de la deuxième chance. Un dispositif par le biais duquel le Maroc cherche des solutions pour ses NEET, les jeunes ni à l’école, ni en emploi, ni en formation.
Réintégrer les décrocheurs mais à quel prix ?
Après l’achèvement de cette opération, de nombreux jeunes ont réussi à rejoindre les bancs de l’école après plusieurs années d’absence, profitant ainsi d’une seconde chance pour construire leur avenir et échapper à ce lot de « jeunesse perdue ». Une initiative saluée par le corps pédagogique, mais qui ne fait pas l’unanimité parmi les enseignants, lesquels pointent du doigt le bousculement du climat d’apprentissage dans les classes.
« Nous nous sommes retrouvés avec des classes chargées, rendant la tâche difficile aux enseignants appelés désormais à maximiser leurs efforts pour toucher tous les membres de la classe, notamment ceux ayant oublié les réflexes scolaires, mais aussi à jouer d’autres rôles », souligne un enseignant d’un lycée à Taza. Les enseignants tentent de faire de leur mieux, ajoute-t-il, pour adapter leur approche d’enseignement à chacune des catégories d’élèves, notamment les anciens abandons.
De plus, les enseignants font face à des classes aux profils très différents, réunissant parfois dans une même salle des enfants de 12 ans et de jeunes de 21 ans. Cela est loin d’être sans conséquences pour les enseignants. « Ces élèves, affichant généralement un comportement difficile à gérer en classe, la raison même qui les a parfois poussés en dehors de l’école, affectent le comportement des nouveaux élèves », ajoute une autre enseignante, qui insiste sur la présence de comportements inadaptés chez certains nouveaux admis.
Même son de cloche auprès de Mohamed Guedira, professeur universitaire, expert en politiques éducatives et en ingénierie des compétences, qui critique d’ailleurs l’approche de réintégration des décrocheurs adoptée par le ministère. « Nous saluons la bonne volonté politique de réintégrer cette catégorie de jeunes à l’école, mais nous regrettons que cela ait été fait sans préparation, ni des enseignants, ni des décrocheurs eux-mêmes », s’inquiète notre interlocuteur, qui soulève la création de nouveaux problèmes pour les classes.
Selon lui, il aurait fallu accorder aux écoles une période de deux à trois mois d’évaluation pédagogique, puis de préparation psychologique de ces jeunes avant de procéder à une réintégration définitive. « Si les choses sont faites autrement, la bonne volonté tombera face à la réalité et risque d’affecter l’efficacité de la réintégration, puis le déroulement des cours », regrette-t-il.
Maintenant que les choses sont faites ainsi, il a appelé à l’activation des cellules d’écoute et d’accompagnement psychologique dans les écoles. Celles-ci doivent jouer leur rôle dans la prévention, la détection et la prise en charge des difficultés psychologiques, sociales ou comportementales des élèves, afin de réussir leur réintégration au sein de l’école sans compromettre les conditions d’apprentissage de leurs camarades.