Échos des souks des Doukkala, après l’annulation du rituel de l’Aïd Al Adha

Dans les vastes plaines des Doukkala-Abda, région réputée pour ses traditions agricoles et son élevage ovin, l’annonce de l’annulation du rituel du sacrifice de l’Aïd al-Adha a provoqué des réactions contrastées. Alors que les citoyens modestes saluent une décision qui allège leur fardeau financier, les éleveurs de bétail, eux, se retrouvent au fond d’une situation économique difficile.Reportage.

Au cœur du Souk Had Oulad Frej, l’un des plus grands marchés de bétail de la région, l’ambiance est à la morosité. D’habitude, à l’approche de l’Aïd, les allées grouillent de monde. Les éleveurs, venus des douars environnants, présentent fièrement leurs moutons, tandis que les acheteurs négocient avec ardeur pour trouver la bête idéale. Cette année, cependant, le marché est désert. Les étals sont vides, et les rares éleveurs présents arpentent les allées, le visage marqué par l’inquiétude.

« Avant, un mouton se vendait entre 3 500 et 4 000 dirhams. Aujourd’hui, je suis prêt à le céder à 1 500 dirhams, mais même à ce prix, les acheteurs se font rares », confie Ahmed, un éleveur de la région d’Oulad Frej. Comme lui, des dizaines d’autres éleveurs errent dans le souk, désemparés. La décision royale de renoncer au rituel du sacrifice, bien que saluée pour son aspect social, a porté un coup dur à leur activité.

Pour les citoyens modestes, en revanche, cette annonce est une bouffée d’oxygène. Dans les quartiers populaires de Sidi Bennour, El Jadida, Safi et d’autres localités de la région, les familles voient cette décision comme un soulagement bienvenu. « Acheter un mouton pour l’Aïd était devenu un luxe que nous ne pouvions plus nous permettre. Cette année, nous allons pouvoir souffler un peu », explique Fatima, une mère de famille de Sidi Bennour. Pour des millions de Marocains, l’économie réalisée représente une somme substantielle, souvent équivalente à un mois de salaire, voire plus.

Face à cette à ce sentiment de satisfaction et de soulagement des citoyens, se cache une réalité plus sombre : celle des éleveurs de bétail ovin, qui dépendent largement de cette période pour écouler leur production et générer des revenus. « Nous avons tout misé sur cette période. Avec la sécheresse et la hausse des prix des aliments pour bétail, nous comptions sur l’Aïd pour compenser nos pertes. Aujourd’hui, nous sommes ruinés », déplore Brahim, un éleveur de la région de Jemaat Shaim.

La sécheresse persistante a réduit les pâturages et augmenté les coûts de l’alimentation animale, plongeant les éleveurs dans une situation déjà précaire. Résultat : après annulation du rituel de l’Aïd les prix des moutons ont chuté de manière spectaculaire, passant de 4 000 dirhams à moins de 2 000 dirhams dans certains cas. Cette baisse des prix, combinée à une demande quasi inexistante, met en péril la survie de nombreux éleveurs.

« Je suis prêt à vendre mes moutons à perte, mais même à ce prix, personne n’achète. Comment vais-je nourrir ma famille et payer mes dettes ? », s’interroge Ahmed, un éleveur de la commune de Laaounate. Pour lui, comme pour beaucoup d’autres, l’élevage est bien plus qu’une activité économique : c’est un mode de vie, une tradition transmise de génération en génération.

Face à cette situation, les éleveurs lancent un appel désespéré aux autorités. Ils réclament un soutien financier urgent pour les aider à surmonter cette crise et préserver leur activité. « Nous ne demandons pas la charité, mais un peu de soutien pour continuer à exercer notre métier. Sinon, c’est toute la filière ovine qui risque de s’effondrer », insiste Brahim.

Certains suggèrent des mesures concrètes, comme des subventions pour l’achat d’aliments pour bétail, des prêts à taux zéro ou des programmes d’aide spécifiques pour les petits éleveurs. « Nous avons besoin d’aide pour acheter des aliments pour notre bétail et pour compenser nos pertes. Sinon, beaucoup d’entre nous seront obligés d’abandonner l’élevage », alerte Mohamed, un éleveur de la région de Safi.

La décision royale, bien que saluée pour son aspect social, met en lumière les défis structurels auxquels fait face la filière ovine au Maroc. Elle souligne la nécessité de trouver un équilibre entre la protection du pouvoir d’achat des citoyens et le soutien aux éleveurs, qui jouent un rôle essentiel dans l’économie rurale.

Dans les Doukkala-Abda, comme dans d’autres régions du Maroc, cette décision a deux visages. D’un côté, elle apporte un soulagement bienvenu aux citoyens, leur permettant de faire face à la flambée des prix et de préserver leur pouvoir d’achat. De l’autre, elle plonge les éleveurs de bétail ovin dans une situation dramatique, mettant en péril leur activité et leur mode de vie.

Alors que les éleveurs attendent des mesures de soutien, les citoyens, eux, respirent un peu mieux. Dans les ruelles des souks et les quartiers populaires, cette décision reste un sujet de discussion animé. Mais une chose est sûre : dans les Doukkala-Abda, comme ailleurs, l’équilibre entre tradition, économie et réalité sociale reste un défi complexe à relever.
 

Mohamed LOKHNATI

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