Pour favoriser le développement d’une Economie Bleue intégrée et durable, le gouvernement a créé en 2023 une commission interministérielle chargée de piloter la feuille de route nationale. Si le projet a déjà été amorcé, il peine toutefois à atteindre sa pleine vitesse de croisière.
«L’Economie Bleue n’est pas un luxe écologique, mais une nécessité stratégique». C’est ainsi que SM le Roi Mohammed VI a exprimé l’importance du secteur au Sommet «L’Afrique pour l’Océan», qui s’est tenu le mois dernier à Nice. Dans cette perspective, le Maroc plaide pour une relecture stratégique du rôle maritime africain, fondée sur trois piliers : le développement d’une croissance bleue, le renforcement de la coopération Sud-Sud et de l’intégration régionale autour des espaces océaniques, ainsi que la consolidation de l’effectivité maritime grâce aux synergies atlantiques.
Les contours de la stratégie nationale en la matière se dessinent pourtant depuis la signature, en 2022, du fameux accord de prêt d’un montant de 350 millions de dollars entre le Royaume et la Banque Mondiale pour le programme pour les résultats de l’Economie Bleue (PPR EB). En mars 2024, les signataires ont achevé la quatrième mission de supervision de ce programme, menée du 26 février au 8 mars, afin de faire le point sur les progrès réalisés, tant en matière de projets portés par les différentes parties prenantes que d’actions relevant de son champ d’intervention.
Les résultats sont déjà tangibles, du fait que les secteurs liés à l’Economie Bleue contribuent désormais à hauteur de 3,8% du PIB en valeur ajoutée et de 4,6% en termes d’emplois. Toutefois, l’absence de convergence et d’intégration entre les approches sectorielles risque de freiner cette dynamique. Elle peut en effet entraîner une utilisation inefficiente des ressources et, dans certains cas, générer des conflits entre les différents usagers des espaces maritimes, fonciers et des ressources naturelles.
Saisir chaque opportunité…
Le manque de coordination réduit également les possibilités d’investissement, ce qui compromet le potentiel de création d’emplois, particulièrement pour les femmes et les jeunes, ainsi que le développement des affaires pour des groupes tels que les pêcheurs artisanaux. Par ailleurs, le rapport sur le Nouveau Modèle de Développement avait épinglé le non-respect des dispositions de la Loi 81-12 relative au littoral et au domaine public maritime, lequel affecte la sécurité du littoral, tout en insistant sur la saisie des opportunités offertes par le potentiel maritime, dans «les secteurs économiques traditionnels tels que la pêche, le tourisme et les activités portuaires», mais également dans de «nouveaux secteurs à fort potentiel (aquaculture, algoculture, bioproduits marins, construction navale ou encore énergies marines renouvelables…)». Le même rapport insiste sur la mobilisation pleine et entière du potentiel de l’Economie Bleue qui requiert l’accélération de la mise en œuvre des schémas de développement des neuf régions littorales du Maroc. Des recommandations qui trouvent échos auprès du Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE) qui, dans son rapport annuel 2023, appelle à «exploiter pleinement» le potentiel du secteur.
La gouvernance prime
Cette gouvernance de l’Economie Bleue devrait être soutenue par un mécanisme national robuste, responsable de la co-conception et du suivi de la mise en œuvre de la stratégie nationale de l’Economie Bleue. Lors d’un dialogue de haut niveau organisé par le Département des Pêches maritimes, les participants ont insisté sur le fait que «ce mécanisme devrait être soutenu au niveau territorial par le déploiement de clusters maritimes côtiers régionaux. Le déploiement de deux clusters maritimes pilotes dans la région de Tanger-Tétouan-Al Hoceima devrait contribuer à cet objectif». De même, les participants se sont accordés sur le fait que «l’alliance des clusters méditerranéens est une opportunité pour les régions côtières du Maroc de partager leurs expériences et de créer des connexions de mise en réseau et de partage de connaissances entre pairs».
Le ministère des Finances, qui joue un rôle pivot dans cette vision, a souligné l’importance de cartographier les financements bleus existants ainsi que leurs critères d’éligibilité. L’objectif est de mettre ces informations à la disposition des institutions publiques et privées, ainsi que des autorités locales, afin de faciliter l’accès aux ressources financières et d’optimiser leur utilisation. Parallèlement, le développement de la recherche et de l’innovation apparaît comme un levier essentiel. La création d’un cluster national transversal, dédié aux enjeux de la connaissance scientifique du capital maritime et marin ainsi qu’aux technologies vertes appliquées à l’économie bleue, constitue une étape stratégique. C’est dire l’importance d’une feuille de route claire pour faire de l’Economie Bleue un moteur durable de croissance et de prospérité et en l’inscrivant dans une dynamique collective capable de la mener à bon port.
Souhail AMRABI
3 questions à Abderrahim Ksiri – Abderrahim Ksiri, président de l’Association des Enseignants des Sciences de la Vie et de la Terre du Maroc (AESVT Maroc), répond à nos questions : « Il faut revoir complètement le modèle de gestion de la pêche »
Quel est l’impact des activités humaines sur la durabilité des ressources halieutiques ?
Les instruments et les moyens utilisés en pêche limitent le stock des poissons et le potentiel des différentes ressources halieutiques. En même temps, la taille des espèces pêchées n’a pas cessé d’être plus petite et dépend plus de l’informel. Au Maroc, durant la période du repos biologique, les pêcheurs réduisent de manière significative leur activité. On a maintenant des périodes de repos biologiques de plus en plus longues, mais aussi des quantités de plus en plus limitées. Néanmoins, la politique d’exploitation en continu des richesses maritimes sans la capacité d’avoir un système performant impacte les ressources et l’avenir du secteur. Pour preuve, dernièrement, les pêcheurs et les acteurs de l’industrie des sardines ont demandé à l’État de faire décréter une période de repos biologique pour cette espèce car ils ont remarqué une réduction des stocks durant la période où les sardines sont supposées être en quantité significative. Tout le monde sent la difficulté et c’est d’ailleurs le même scénario qui arrive aux algues.
L’activité humaine est-elle le seul facteur qui explique la diminution des ressources maritimes ?
Les activités humaines ont un impact très complexe, que ce soit sur le réchauffement climatique ou la désoxygénation des océans. Il faut revoir complètement le modèle de gestion de la pêche et se mettre à niveau des normes européennes. Avec cela, on pourra préserver les richesses maritimes, mais aussi donner la possibilité aux pêcheurs d’avoir plus d’emplois.
Quels sont, selon vous, les principaux défis que le secteur maritime doit relever pour assurer sa pérennité ?
La situation actuelle des écosystèmes n’est pas satisfaisante. Il faut absolument revoir le modèle et s’inscrire dans les normes internationales, c’est en effet la seule manière de préserver les ressources et de sauver l’emploi et l’industrie. De plus, il faut aussi ne plus compter uniquement sur la reproduction de manière naturelle. Il faut renforcer les activités d’aquaculture. Cette dernière doit être développée, car les objectifs du Maroc en cette matière sont encore trop bas et la quantité produite est inférieure à la norme internationale. Il faut être plus concurrentiel et revoir le modèle d’exploitation.
Crédit maritime : Le pas à faire en urgence !
Dans son rapport annuel, le CESE appelait à améliorer la gouvernance du secteur et à développer des compétences locales. Aussi foisonnant que l’enjeu qu’il traite sur une bonne partie de ses pages, le rapport s’avère cependant comme une porte d’entrée vers un sujet bien plus complexe qui dépend de plusieurs facteurs exogènes, structurels, réglementaires et multisectoriels. Des dimensions qui ont été prospectées lors de la présentation officielle du CESE, qui a permis d’expliquer l’approche méthodologique et la substance du rapport, tout en évoquant des sujets connexes additionnels qui influent sur le secteur naval national. C’est le cas, par exemple, des enjeux liés au financement des porteurs de projets. «J’ai depuis plusieurs décennies plaidé pour la création d’un crédit maritime à l’image d’un crédit agricole. L’idée serait de demander à chaque banque de réserver 1 à 5% de ses dépôts pour encourager l’investissement d’acteurs locaux. La Caisse Centrale de Garantie pourrait également s’impliquer pour soutenir cette dynamique», estime Hassan Sentissi, pionnier de l’industrie navale au Maroc.
Souveraineté maritime : Le grand pari du pavillon national
Dans un contexte où près de 90% des échanges mondiaux transitent par voie maritime, le contrôle des routes maritimes devient un enjeu stratégique majeur. Le Maroc, situé à la croisée de l’Atlantique et de la Méditerranée, bénéficie d’une position géographique privilégiée pour tirer parti de ces flux internationaux. Avec des infrastructures de premier plan comme Tanger Med, le plus grand port de la Méditerranée, et de nouveaux projets tels que Nador West et Dakhla Atlantique, le Royaume se positionne au cœur des grands axes commerciaux mondiaux. Dans ce cadre, le développement d’un pavillon national s’impose comme un levier essentiel pour renforcer la souveraineté maritime. Il ne s’agit pas seulement de sécuriser les routes commerciales et de protéger les ressources maritimes, mais aussi de consolider la position du Maroc sur la scène internationale. La vision Royale soutient cette ambition en insistant sur la nécessité d’inscrire le pays dans les dynamiques globales tout en préservant ses intérêts stratégiques. L’établissement d’un pavillon marocain favoriserait également l’autonomie économique, en posant les bases d’un écosystème maritime capable de développer une flotte sous pavillon national. Cela permettrait au Maroc de limiter sa dépendance aux infrastructures étrangères, tout en promouvant une industrie maritime compétitive et durable, conforme aux standards internationaux. Dans un monde en pleine mutation, cette stratégie maritime intégrée apparaît comme une priorité nationale, indispensable pour assurer le développement économique et la souveraineté du Royaume.