Enquête Exclusive: le réseau du PKK à Tindouf

Le 7 janvier 2025, des chants de « Rojava libre » ont résonné dans les camps hyper-militarisés de Tindouf, un bastion du Polisario en Algérie, alors que les drapeaux des Forces démocratiques syriennes (FDS) et du YPJ étaient hissés haut lors du « Sommet de la solidarité 2025 ».

Organisé du 4 au 7 janvier au siège de l’Union nationale des femmes sahraouies, le sommet a mis en vedette Benjamin Ladraa, un militant algérien-suédois-palestinien connu pour ses coups d’éclat médiatiques, et Kerem Schamberger, un militant anarchiste-communiste allemand ayant des liens étroits avec le mouvement Rojava/YPJ dans le nord-est de la Syrie. M. Schamberger a fait une déclaration de soutien au YPJ, par la suite des parlementaires étrangers ont ensuite été filmés en train de tenir et de ranger des drapeaux du Rojava et du YPJ tout en scandant « Free, Free Rojava » (libre, libre Rojava). Ces images, diffusées par les médias kurdes et suivies d’un communiqué de presse du YPJ remerciant le mouvement du Polisario pour sa solidarité, ont été amplifiées par les médias marocains et suscité l’indignation en Turquie. En réponse, l’ambassade d’Algérie à Ankara a publié un démenti soigneusement formulé, affirmant qu’aucune délégation kurde n’était présente et rejetant les revendications comme étant « imaginaires et factices« . Bien que techniquement exacte, cette déclaration cache une opération hybride calculée : un réseau coordonné de groupes communistes, anarchistes et éco-socialistes européens pour leur majorité amplifiant la cause du PKK par le biais des plateformes contrôlées par l’État algérien. Avec l’octroi de visas à des militants de premier plan comme Schamberger, dont le rôle a été publiquement annoncé, et l’accès institutionnel ouvert accordé à Ladraa, la surveillance et le soutien tacite de l’Algérie étaient évidents. Cette enquête montre comment, sous l’œil attentif des autorités algériennes, le message du PKK a été stratégiquement projeté au cœur du Sahara occidental, aggravant les tensions avec la Turquie et la Syrie.

Le voyage du message du PKK depuis Tindouf a commencé à des milliers de kilomètres de là, dans la ville suédoise de Göteborg, loin des sables brûlants du Sahara. En décembre 2019, Solidarity Rising  a été fondée en tant qu’organisation à but non lucratif axée sur les causes mondiales. Enregistrée sous le numéro de registre suédois 802527-7537, elle opère depuis la Suède, avec son fondateur, Benjamin Ladraa, le protagoniste central qui a donné une plateforme au message du PKK depuis Tindouf.

Né le 25 novembre 1992 de parents juifs (selon ses propres déclarations ), Ladraa possède les nationalités algérienne, suédoise et palestinienne. Il pratique l’activisme performatif, c’est-à-dire l’utilisation d’actes symboliques visant à attirer l’attention et à obtenir la reconnaissance du public, plutôt qu’à produire des résultats tangibles et mesurables et un impact significatif.

Exemples de photos d’activisme performatif qui utilisent souvent des tactiques polarisantes pour amplifier leurs causes : Rachid Nekkaz se filmant en train de payer des amendes pour des femmes portant des burqas, en même temps que le moment où il a été physiquement agressé  ; une manifestation sur le tapis rouge de Cannes mettant en scène une femme portant une robe sur le thème de l’Ukraine couverte de faux sang ; une rare manifestation contre la maternité de substitution ; une militante FEMEN ciblant Poutine et Angela Merkel ; et des militants de Just Stop Oil jetant de la soupe sur les Tournesols de Van Gogh afin d’attirer l’attention sur les problèmes d’environnement .

  Parmi les exemples d’individus qui s’engagent dans ce style en Algérie, on peut citer Rachid Nekkaz, dont le style d’activisme comprend l’organisation de campagnes sur les médias sociaux, l’organisation de manifestations tape-à-l’œil ou la participation à des voyages « activistes » très médiatisés. Benjamin Ledraa, en 2018, a marché de la Suède à la Palestine, afin d’attirer l’attention des médias et de mettre en lumière des problèmes sans s’engager dans une action soutenue sur le terrain. Au cours de cette marche, Ladraa a été arrêté et s’est vu refuser l’entrée par l’agence de renseignement israélienne Aman, ce qu’il a mis à profit pour accroître sa visibilité médiatique. Son acte de marche et d’arrestation a été célébré comme une déclaration politique, mais ses conséquences dans le monde réel ont été minimes. Le personnage public que Benjamin a cultivé grâce à ces méthodes a attiré davantage l’attention et s’est vu accorder la citoyenneté palestinienne honoraire par Mahmoud Abbas, ce qui a conféré un sentiment de légitimité et de profondeur à son activisme performatif.

Benjamin Ladraa a des liens avérés avec la flottille pour Gaza et des organisations pro-Hamas. Il est cité dans un rapport israélien sur le contre-terrorisme et le renseignement comme un militant pro-palestinien marginal. Malgré ces affiliations et ses antécédents, Ladraa se présente publiquement comme un « activiste humanitaire suédois », mettant soigneusement à profit sa maîtrise de l’anglais pour promouvoir ce discours. Au cours de notre enquête, nous avons découvert que Benjamin Ladraa omet délibérément de mentionner son héritage algérien, son ascendance juive et sa langue arabe dans son personnage public et ses efforts de marketing. Au contraire, il met soigneusement l’accent sur son identité suédoise. Cette omission stratégique lui permet de présenter son activisme comme faisant partie d’un mouvement humanitaire mondial plus large, tout en se distançant des associations idéologiques spécifiques qui pourraient compliquer son récit.

Benjamin Ladraa, qui s’est vu refuser l’entrée en Palestine par les autorités israéliennes. Il a partagé son expérience sur Instagram, expliquant que les gardes-frontières israéliens lui ont donné deux raisons pour refuser l’entrée : des préoccupations concernant son activisme et son projet potentiel de se rendre à Nabi Saleh pour une manifestation.

L’événement de Tindouf, que Benjamin Ladraa a organisé avec sa compagne Sanna Ghotbi, par l’intermédiaire de son ONG suédoise Solidarity Rising, a été publiquement annoncé comme le Sommet de la Solidarité 2025, annoncé le 11 octobre 2024. Bien qu’il ait été qualifié de « sommet », terme habituellement réservé aux rassemblements à grande échelle et de haut niveau de dirigeants politiques, de diplomates et d’organisations internationales réunissant des milliers de participants, l’événement était en fait une conférence plus modeste, avec seulement une poignée de participants, n’excédant pas une centaine de personnes. Elle a attiré des militants qui s’identifient comme anarchistes, marxistes, communistes, éco-socialistes et zapatistes de pays tels que l’Allemagne, la Suède, la Lituanie, la Colombie, le Japon, les États-Unis et d’autres encore. Les orateurs ont été annoncés à l’avance et les participants ont dû s’inscrire pour assister à l’événement, en comprenant clairement ses objectifs idéologiques. Tous les participants ont dû demander un visa algérien et sont arrivés à l’aéroport de Tindouf, ce qui souligne la coordination logistique du rassemblement.

 
 

Le « sommet » a eu lieu à l’Union nationale des femmes sahraouies (UNMS), la branche féminine du Front Polisario, et les participants ont séjourné dans les camps de Boujdour, près de Tindouf.

 

Benjamin Ladraa et sa compagne Sanna Ghotbi, promoteurs du Sommet de la Solidarité 2025 qui s’est tenu à Tindouf du 4 au 7 janvier 2025.

Benjamin Ladraa et sa compagne Sanna Ghotbi sont arrivés en Algérie plus d’un mois avant le début du Sommet de la Solidarité 2025, qui s’est tenu du 4 au 7 janvier 2025. Pendant cette période, ils ont pu accéder librement à des institutions clés et à des personnalités influentes. Ils ont tenu des conférences à l’Institut des relations internationales de l’Université d’Alger 3, et ont été reçus par de hauts responsables algériens, y compris des walis, des élus et des membres de la société civile à Alger, Mostaganem, Oran et Tlemcen. En outre, ils ont été interviewés par la télévision et la radio publiques algériennes, ainsi que par des médias privés. Parallèlement, ils ont passé du temps à Tindouf, où ils ont coordonné la logistique et les opérations du sommet, s’assurant que tout était en place pour l’événement.

 

Benjamin Ladraa et Sanna Ghotbi ont bénéficié d’un accès libre aux institutions et aux personnalités clés dans plusieurs villes d’Algérie. Ils se sont entretenus avec des hauts fonctionnaires et ont été interviewés par les médias publics et privés en amont du Sommet de la solidarité 2025.
 

Benjamin Ladraa et Sanna Ghotbi se sont embarqués dans un tour international à vélo visant à « sensibiliser au Sahara Occidental ». Tout au long de leur voyage, ils se sont arrêtés dans plusieurs pays, dont la France, l’Italie, la République tchèque, la Grèce, la Corée du Sud, le Japon et la Thaïlande, où ils ont donné des exposés et organisé des conférences sur la situation au Sahara occidental. Leur site web, Solidarity Rising, attire la plupart des visiteurs de Corée du Sud, des États-Unis, de France et de la République tchèque, mais il n’y a pas de visiteurs d’Algérie.
 

En Europe, ils ont attiré une attention significative, étant accueillis par des élus d’Espagne, d’Italie, de Grèce et de Suède. En France, ils ont interagi avec la diaspora algérienne, notamment à Lyon, comme l’ont rapporté l’agence de presse duPolisario  et El Moudjahid, rencontrant Nasser Khabat, un associé de Karim Zeribi et président du Mouvement Dynamiquedes Algériens de France (MOUDAF), un groupe diasporique pro-Tebboune. Khabat est également lié au réseau de guerrehybride dirigé par l’Algérie opérant en France, mené par Chemseddine Hafiz, connu pour orchestrer des campagnes d’influence visant à façonner l’opinion publique et le discours politique dans le pays.

 
 

Sur une photo, Benjamin Ladraa et sa compagne Sanna Ghotbi sont en compagnie du président du Moudaf, Nasser Khabat, et de Rima Hassan. Sur une autre, ils sont rejoints par l’élue communiste franco-algérienne de Vénissieux Lyon, Sophia Brikh, aux côtés d’individus jouant le rôle d’agents d’influence algériens en France.
 

Greta Thunberg et d’autres activistes étaient présents. Cependant, aucun agent opérationnel du PKK en tant que tel n’était présent. Il n’y avait pas de ressortissants kurdes du nord-est de la Syrie, de l’Irak ou de la Turquie, ni de membres de leur diaspora, qui soient directement affiliés au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) ou à ses ailes militaires, telles que le YPG ou le YPJ, ou qui occupent des postes de direction au sein de ces organisations. À souligner encore une fois: AUCUN agent opérationnel du PKK du nord-est de la Syrie, de l’Irak ou de la Turquie n’était présent.
 

Mais une personne, l’orateur qui a délivré le message du PKK depuis Tindouf, s’est distinguée. Kerem Schamberger, étroitement lié à Benjamin Ladraa et intervenant lors de l’événement, est un Allemand qui s’identifie ouvertement comme communiste et est impliqué dans divers mouvements anarchistes et néo-marxistes. M. Schamberger est un ardent défenseur de l’indépendance du Rojava (la région du nord-est de la Syrie contrôlée par les Kurdes) et un fervent partisan des causes du YPG et du YPJ. Il participe régulièrement à leurs événements, défend publiquement leurs mouvements et promeut l’idée de l’autodétermination et de l’autonomie kurdes. C’est un militant politique profondément ancré dans les réseaux de la gauche européenne qui défendent la libération kurde, et ses relations soulèvent des questions sur l’influence idéologique plus large qui a joué lors de l’événement de Tindouf.

Benjamin Ladraa et sa petite amie Sanna Ghotbi photographiés aux côtés de Kerem Schamberger à Tindouf, en Algérie, en janvier 2025.
 

Kerem Schamberger a été l’un des deux porte-parole officiels du DKP à Munich à partir de 2010. À ce titre, il était chargé de représenter le parti publiquement, d’organiser des événements et de promouvoir le programme marxiste-léniniste du DKP dans la région. Défenseur passionné de la théorie et de la pratique marxistes, M. Schamberger s’est fortement impliqué dans la promotion des positions du parti sur l’anticapitalisme, la critique des médias et la solidarité avec les syndicats de travailleurs, tout en utilisant l’antifascisme et la justice sociale comme bannières. Son association publique avec le DKP a fait l’objet d’un examen minutieux, en particulier dans sa carrière universitaire et professionnelle.
 

Pour la compréhension de nos lecteurs : le DKP est un parti politique marxiste-léniniste allemand, fondé en 1968 pour succéder au parti communiste allemand (KPD), qui avait été interdit. Le DKP adhère aux principes du marxisme-léninisme, prône l’abolition du capitalisme et soutient le droit à la propriété, comme la terre et le logement. Le parti entretient des liens étroits avec les syndicats, les mouvements pacifistes et d’autres organisations de gauche, et critique l’OTAN, l’Union européenne et les politiques néolibérales. Pendant la guerre froide, le DKP s’est aligné sur l’Union soviétique. Aujourd’hui, il est critiqué pour ses liens étroits avec la Russie et son alignement sur les politiques de Poutine. Considéré comme un parti marginal dans la politique allemande moderne, le DKP a une influence électorale limitée, mais continue d’exercer un impact idéologique important au sein des cercles de gauche et universitaires.

À gauche, Kerem Schamberger tient un drapeau du DKP (Parti communiste allemand) lors d’une manifestation pro-kurde à Paris. À droite, Benjamin Ladraa et Sanna Ghotbi sont accueillis en France par le Parti communiste français.

Kerem Schamberger a également été ouvert et public sur son activisme pro-YPG et YPJ, ainsi que sur ses efforts pour promouvoir l’indépendance de la région de Rojava (région kurde du nord-est de la Syrie, pas de la Turquie). La distinction ici est cruciale pour nos lecteurs, et nous soulignons son importance : alors que le mouvement turc PKK est classé comme une organisation terroriste par les États-Unis, l’UE et la Turquie, les YPG et YPJ ne le sont pas, et en fait, ont été des alliés militaires des États-Unis et de l’OTAN dans la lutte contre ISIS en Syrie. Cela a entraîné des tensions entre la Turquie et l’Occident, notamment lorsque Erdogan a opposé son veto aux candidatures de la Suède et de la Finlande à l’adhésion à l’OTAN en 2022, arguant qu’elles protégeaient les militants des YPG et des YPJ sur leur sol.

Kerem Schamberger a aidé à organiser des événements pro-YPG et YPJ en Allemagne et y a participé. L’un de ces événements, qui s’est tenu le 28 septembre 2024 à Cologne, était intitulé « Persécution des membres de l’opposition en exil et rôle de l’UE » (Die Verfolgung Der Oppositionellen Im Exil Und Die Rolle Der Eu) et était organisé par l’association Stimmen der Solidarität – Mahnwache Köln e.V. L’idée de l’événement a émergé du groupe de solidarité « Freiheit für Adil Demirci » en 2019. L’association se présente comme une organisation de défense des droits de l’homme basée à Cologne, dont les membres s’engagent à titre bénévole.

Le Festival der Solidarität (Festival de la solidarité), organisé par l’association Stimmen der Solidarität – Mahnwache Köln e.V., basée à Cologne, a eu lieu les 27 et 28 septembre au Bürgerzentrum Ehrenfeld à Cologne. L’événement visait à sensibiliser le public aux violations des droits de l’homme et au sort des prisonniers politiques en Turquie et en Iran. Le deuxième jour, le festival s’est concentré sur des sujets tels que la disparition de membres de l’opposition, la persécution politique et les meurtres politiques en Turquie, avec deux tables rondes animées par Lale Akgün et Kazim Gündoğan, deux hommes politiques de Cologne.

Kerem Schamberger, de l’organisation de défense des droits de l’homme Medico, a souligné les projets du gouvernement allemand d’augmenter l’expulsion des demandeurs d’asile turcs, en particulier ceux des régions kurdes, dans le cadre d’accords visant à renvoyer 500 personnes en Turquie chaque mois.

Depuis le troisième festival, le maire de Cologne, Henriette Reker, soutient l’événement, qui a également attiré des représentants du Bundestag et du Landtag, dont Gönül Eglence, membre du parti vert, et Cansu Özdemir, membre du parti de gauche. Le festival reçoit le soutien de diverses organisations et fondations, dont la ville de Cologne, le centre socioculturel NRW et la fondation Rosa-Luxemburg.

 

Brochure de l’événement « Festival de la solidarité » avec le panel « Persécution des membres de l’opposition en exil et le rôle de l’UE », qui a eu lieu le 28 septembre 2024 à 18:00 à Cologne, Allemagne.

 

Kerem Schamberger (à gauche) participant à une table ronde au Festival der Solidarität le 28 septembre 2024, aux côtés de Lale Akgün, Hayko Bağdat, et Süleyman Demirtaş, lors de la deuxième journée du festival à Cologne.
Un autre exemple est le déploiement d’une bannière sur la porte de Brandebourg à Berlin, l’un des symboles les plus emblématiques d’Allemagne et d’Europe, qu’il a activement promu.

Le 16 décembre 2024, Kerem Schamberger a tweeté  pour soutenir une manifestation à la Porte de Brandebourg à Berlin, la qualifiant de « bonne action pour attirer l’attention sur la menace qui pèse sur le Rojava ». La manifestation soulignait l’opposition aux attaques turques contre le Rojava et demandait un soutien à une Syrie démocratique.

Kerem a 15 ans d’amitié avec Najla Mohammed Lamin, intervenante à la conférence, et celle qui a coordonné avec eux la visite et l’explication des camps du Polisario, et de leur fonctionnement.

Kerem Schamberger et Najla Mohammed Lamin, membre de la branche féminine du Front Polisario et activiste, se connaissent depuis plus de 15 ans.
 

Sur la base de ses nombreuses déclarations publiques, de ses activités documentées et de ses affiliations, il devient évident que Kerem Schamberger, qui s’identifie comme communiste et participe à des campagnes marxistes et anarchistes, défend publiquement l’indépendance du Rojava et les causes des YPG et des YPJ. Avant le sommet, Kerem Schamberger figurait dans le programme du site officiel du sommet en tant qu’orateur sous le titre « Kerem Schamberger à propos du Rojava », indiquant clairement son implication directe dans la promotion de la cause du Rojava lors du sommet qui s’est tenu à Tindouf, en Algérie.

Cette capture d’écran du site web de Solidarity Rising montre Kerem Schamberger inscrit comme orateur au Sommet de la Solidarité 2025 à Tindouf, en Algérie, discutant du « Rojava ». Le site web du sommet mentionne que l’obtention des visas est coordonnée par les représentants du Polisario, ce qui indique que le gouvernement algérien est au courant de la participation de M. Schamberger et du thème de son discours.
 

Alors que Kerem Schamberger était clairement mentionné sur le site officiel du sommet en tant qu’intervenant sur le Rojava, le site indiquait également que l’obtention d’un visa devait être coordonnée par le « représentant du Polisario le plus proche » qui, à son tour, coordonnait directement avec le gouvernement algérien pour « s’assurer que vous obteniez un visa pour les camps sans aucun problème ». Il est donc clair et incontestable que les canaux diplomatiques et les services de renseignement algériens étaient parfaitement au courant de la présence et de l’identité de Kerem Schamberger. Le consul algérien et l’attaché de renseignement algérien du « Bureau de sécurité », qui examinent les demandes de visa, connaissaient son identité, sa présence à l’événement et le sujet de son discours : Le Rojava, c’est-à-dire l’Administration autonome du nord et de l’est de la Syrie (AANES). Cette région fonctionne comme une entité autonome de facto dans le nord-est de la Syrie, gouvernée par les Forces démocratiques syriennes (FDS), une coalition de milices de gauche et de groupes rebelles soutenue par les États-Unis, dont le YPG et le YPJ.
 

Lors de l’événement à Tindouf, Kerem a lu une déclaration au nom du commandement général du YPJ. La branche des femmes soldats des FDS a ensuite publié une déclaration sur son site web : « Nous saluons tout particulièrement le Front Polisario, qui poursuit sa lutte contre l’occupation marocaine […] Tout comme dans le nord-est de la Syrie, où notre peuple est confronté aux attaques de l’État turc, les Sahraouis du Maroc et de nombreuses autres communautés sont confrontés à des politiques coloniales similaires. Nous sommes engagés dans une lutte commune contre la même mentalité autoritaire. L’unité des mouvements de libération des femmes et des peuples est ce qui finira par démanteler le trône du pouvoir […] Nous appelons au renforcement de ces efforts de libération pour atteindre nos objectifs communs de liberté et de démocratie« .

La déclaration a été publiée sur le site web du YPJ (pour la lire, cliquez ici pour l’anglais , et ici pour l’arabe ), exprimant la solidarité avec le Front Polisario et soulignant la lutte commune pour la liberté et la démocratie contre les forces coloniales et autoritaires. Le message souligne l’unité des mouvements de libération des femmes et des peuples dans le démantèlement des pouvoirs oppressifs.
 

Kerem Schamberger a tweeté , « Solidarité avec Rojava depuis les camps de la résistance sahraouie au Sahara occidental #YPJ #YPG #Polisario », accompagné d’une photo de lui-même prononçant une déclaration au nom du commandement général du YPJ. Dans sa déclaration, il a exprimé sa solidarité avec le Front Polisario, soulignant leur lutte commune pour la liberté et la démocratie contre les régimes autoritaires. Les drapeaux du Rojava et du YPJ sont visibles sur le sol dans les camps du Polisario à Tindouf. Il a également tweeté , « Une image de solidarité avec le Rojava du Sahara occidental ! Contre les attaques turco-djihadistes sur l’auto-administration démocratique du Nord et de l’Est de la Syrie ! Solidarité avec les Unités de défense des femmes et du peuple YPG/YPJ et les Forces démocratiques syriennes SDF. » En outre, Kerem a fait remarquer , « Le Maroc a probablement été assez contrarié par la visite de solidarité de Greta Thunberg au Sahara occidental. » Il a ensuite partagé une photo de lui-même lors d’une conférence en Allemagne, avec en toile de fond le camp de Tindouf, et a exprimé sa gratitude , en disant, « Merci Import Export que nous avons été en mesure de parler à tant de gens hier sur la situation actuelle à Rojava et les pourparlers qui pourraient commencer en Turquie entre l’État turc, Abdullah Öcalan, et le mouvement de liberté kurde. »
 

 

Plus tard, après la conférence, on voit une vidéo où tout le monde chante « Free Free Palestine » « Free Free Palestine » « Free Free Rojava » « Free Free Rojava ».

 

Les autorités algériennes sont largement reconnues pour leur contrôle rigoureux de la liberté d’expression dans le nord du pays, une tendance qui est exponentiellement plus sévère dans la région fortement militarisée de Tindouf. La vidéo ci-dessus, dans laquelle on entend clairement les chants « Free Free Palestine » et « Free Free Rojava », montre l’application sélective de la censure par les autorités algériennes. Si ces chants avaient plutôt exprimé un soutien au mouvement MAK, comme « Libre Libre Kabylie », ou appelé à une démocratie accrue et à la fin du régime militaire avec des slogans tels que « Mukhābārāt Irhābīyah, Taskūt al-Māfīā al-‘Askarīyah. » (La police secrète terroriste et la mafia militaire doit tomber), il est évident que les personnes responsables de l’enregistrement et de la diffusion de la vidéo n’auraient pas été autorisées à le faire librement.

Cette disparité manifeste dans l’application de la loi démontre que le régime militaire algérien a non seulement vu et entendu la vidéo, mais qu’il a consciemment choisi d’en permettre la diffusion, révélant ainsi une approche délibérée et sélective de la censure qui met à mal toute affirmation d’ignorance ou de neutralité dans cette affaire.

Une chose plus curieuse s’est également produite. C’est une pratique bien documentée que les autorités algériennes surveillent de près les diplomates en Algérie, exigeant d’eux qu’ils obtiennent une autorisation préalable par les voies diplomatiques officielles, souvent sous la forme d’une note verbale soumise au ministère algérien des affaires étrangères. Cette procédure, dont l’approbation prend souvent des jours, voire des semaines, est ostensiblement justifiée comme une mesure visant à assurer la protection des diplomates. Cependant, l’objectif réel est largement compris comme étant la surveillance de leurs mouvements et le contrôle de leurs interactions avec les citoyens algériens, comme l’a rapporté Antoine de Maximy en mars 2024 lors de sa visite dans le sud algérien. Cette pratique est encore plus rigoureuse dans les zones sensibles comme Tindouf.

Des élus étrangers de Suède, des États-Unis et d’autres pays ont participé à l’événement.

Ce qui fait sourciller, c’est la présence de parlementaires suédois et américains et d’un orateur de l’événement, Stellan Vinthagen, qui sont documentés, comme en témoignent la vidéo ci-dessous et les photographies, tenant puis pliant des drapeaux du Rojava et du YPJ. Ces membres, qui ont dû obtenir des visas algériens et ont été escortés par les autorités algériennes jusqu’aux camps du Polisario à Tindouf, ont été clairement escortés et surveillés. Ils ont activement brandi des drapeaux des FDS et du YPJ tout en scandant « Free Free Rojava ». Malgré la nature très sensible de ces actes, les autorités algériennes ont permis aux personnes impliquées de poursuivre leur route sans incident ni interférence, ce qui remet encore plus en question leurs affirmations de neutralité et d’application cohérente de leur souveraineté territoriale.

 
 

Les fonctionnaires étrangers montrés sur les images ont ensuite été observés en train de tenir et de plier les drapeaux, ce qui indique leur participation ou leur acceptation du message symbolique véhiculé par les drapeaux.
 

 

Remettons donc les pendules à l’heure : Benjamin Ladraa, un citoyen algérien-suédois-palestinien de 33 ans, a bénéficié d’un accès illimité aux représentants du Polisario dans toute l’Europe et d’une grande visibilité dans les médias algériens. Au cours du mois et demi qui a précédé l’événement, il a été accueilli par les autorités algériennes et s’est rendu à Alger, Mostaganem, Oran, Tlemcen et Tindouf. Le sommet lui-même a vu la participation du premier ministre du Polisario, du ministre de la défense et de Brahim Ghali. Le proche associé de Ladraa, Kerem Schamberger, un défenseur public du Rojava, était explicitement mentionné sur le site web du sommet comme intervenant sur le sujet et a dû obtenir un visa grâce à une coordination avec les représentants du Polisario et les autorités algériennes. Les autorités algériennes et celles du Polisario l’ont vu et entendu lire la déclaration des femmes du Polisario soutenant le mouvement des femmes du Rojava, YPJ, et ont vu et entendu la vidéo avec les chants « Free Free Rojava » « Free Free Rojava » avec les drapeaux du SDF et de YPJ, et ils ont laissé faire, alors qu’ils sont connus pour leur censure et leur répression de la parole.

Benjamin Ladraa, Sanna Ghotbi, Kerem Schamberger, ainsi que des participants et des élus étrangers, ont atterri à l’aéroport de Tindouf et ont été escortés et surveillés par des militaires, comme on peut le voir sur les photos. Ils ont également rencontré la direction militaire du Polisario, y compris Brahim Ghali.

 

Ces faits mettent directement en cause la connaissance qu’avaient les autorités algériennes des personnes impliquées, des sujets abordés lors de l’événement et des messages qu’elles défendaient publiquement. La seule autre explication est que les autorités algériennes n’étaient pas au courant ou n’ont pas vu, ce qui n’est pas possible puisque toutes les informations et ce qui s’est passé étaient manifestes et publics.
 

Contrairement aux affirmations de M. Amar Belani selon lesquelles « ces allégations sont imaginaires et sans fondement », les faits que nous avons énumérés sont documentés et publics, et restent donc incontestables et non « imaginaires ».

 

Kerem Schamberger a répondu  au tweet et à la déclaration de l’ambassade algérienne à Ankara sur X, critiquant l’utilisation de la solidarité avec Rojava et l’autonomie kurde par l’État occupant du Maroc pour faire pression sur les relations algéro-turques et escalader les tensions étatiques. Cela s’est produit après la déclaration algérienne, qui a affirmé qu’ »aucune délégation kurde n’a visité l’Algérie » et a rejeté de telles allégations comme étant « imaginaires et sans fondement. » Comme vous pouvez le voir sur la photo, Kerem fait une déclaration en faveur du Rojava et du YPJ, avec leurs drapeaux au sol dans les camps du Polisario à Tindouf.
 

Amar Belani et l’ambassade d’Algérie à Ankara ont affirmé qu’ »aucune délégation kurde ne s’est rendue en Algérie », ce qui est techniquement vrai puisqu’aucune délégation ou combattant kurde officiel n’était présent à Tindouf. Cependant, ce qui s’est passé en réalité est bien pire : Les autorités algériennes ont sciemment (ou non) fourni une plateforme pour la promotion publique du Rojava, une entité gouvernée par les milices kurdes soutenues par les États-Unis, facilitant ainsi la défense d’une cause à laquelle elles prétendent s’opposer.
 

La déclaration d’Amara Belani selon laquelle « les relations fortes et stratégiques qui lient l’Algérie à la Turquie ne peuvent être affectées par aucune confusion ou ambiguïté inamicale » et qui « ne s’ingère pas dans les affaires intérieures des pays, et c’est une position idéologique de notre politique étrangère » est erronée, car autoriser le message de soutien au Rojava depuis les camps de Tindouf, repris par les médias kurdes, est en fait une menace directe, non pas sur la souveraineté turque, mais sur l’intégrité territoriale syrienne.
 

Une fois que les photos et la vidéo ont été prises et rendues publiques, elles ont été relayées par ANF, l’agence de presse du PKK, et YPJ (les femmes combattantes du PKK), et leurs mandataires : « Comité d’urgence pour le Rojava » et « Commune internationale ». Plus tard, le média allemand BR2 a écrit un article et une émission de radio BR, ainsi que la télévision kurde émettant depuis la Norvège en ont parlé dans leurs bulletins d’information. Le relais par les médias kurdes, allemands, turcs, a ensuite été repris par les médias marocains qui ont décrit de manière inexacte la présence d’une délégation du PKK, ce qui est faux. Le fait est qu’il y avait des militants anarchistes, marxistes, communistes, zapatistes, éco-socialistes et des nostalgiques des causes anarchistes-révolutionnaires, et qu’au moins trois d’entre eux étaient ouvertement pro-PKK et pro-YJP. La distinction est importante à mentionner.
 

Après que la presse marocaine a amplifié les faits déformés, le régime algérien a tout nié par le biais de la déclaration d’Amar Belani afin d’éviter de provoquer la Turquie, de limiter les dégâts et d’éviter une crise plus grave.
 

La question pertinente est de savoir pourquoi le régime militaire algérien s’engage à favoriser un environnement qui amplifie les voix des militants marxistes-léninistes, anarchistes et communistes qui prônent les révolutions ethniques et le séparatisme du Rojava ? Une démarche très dangereuse et volatile ?
 

La réponse semble être un avertissement à deux pays : premièrement, à l’alignement pro-marocain croissant dans la politique étrangère turque ; et deuxièmement, comme une réponse à la position de plus en plus anti-Polisario et pro-marocaine qui émerge au sein du nouveau leadership syrien.
 

Un avertissement à la Turquie :

L’Algérie, tout en maintenant des liens économiques avec la Turquie dans des secteurs tels que la construction et l’énergie, semble signaler à Erdogan qui veut purger les YPG/YPJ dès que possible, que si la Turquie s’aligne trop étroitement sur le Maroc ou sape les intérêts algériens au Maghreb, en particulier en ce qui concerne la Libye ou le Sahara occidental, l’Algérie a la capacité de mettre en lumière ou d’accueillir des activistes kurdes, ce qui pourrait compliquer l’agenda domestique et diplomatique de la Turquie. Il s’agit bien entendu d’un acte de provocation visant à attirer l’attention de la Turquie et à évaluer sa réaction. Pour atténuer les réactions potentielles, l’Algérie publie ensuite des déclarations officielles, telles que des déclarations de son ambassade affirmant sa condamnation du terrorisme et son respect de l’intégrité territoriale. Cette double approche, qui consiste à permettre un événement litigieux tout en le désavouant publiquement, fonctionne comme une tactique de pression calibrée. Le régime militaire d’Alger, qualifié d’ »État voyou », démontre effectivement sa capacité à exercer une irritation diplomatique à l’égard de la Turquie, tout en maintenant un déni plausible et en gérant les tensions par les voies officielles.
 

L’autre avertissement à la Syrie, actuellement dans une position de transition fragile

Hayat Tahrir al-Sham (HTS) est actuellement à la recherche d’un équilibre dans une période fragile marquée par des changements d’alliances et des pressions extérieures, notamment de la part de la Turquie, son principal soutien dans le renversement de l’ancien président syrien Bashar al-Assad. Alors que la Turquie pousse les HTS à démanteler et à purger les Unités de protection du peuple kurde (YPG) et les Unités de protection des femmes (YPJ), les HTS affirment en même temps avoir eu des discussions fructueuses avec les Forces démocratiques syriennes (FDS) soutenues par les États-Unis, dont l’épine dorsale est précisément les YPG et les YPJ. Les FDS ont récemment déclaré qu’elles ne voulaient pas se détacher de l’intégrité territoriale syrienne. Les YPJ, le lendemain, ont maintenu qu’elles refusaient de déposer les armes à ce stade, même si la Turquie les considère comme des organisations terroristes et cherche à les détruire. L’UE, en revanche, ne reconnaît ni les YPG ni les YPJ comme des terroristes. L’Italie a appelé à donner l’autonomie aux Kurdes, tandis que les États-Unis et la France envoient des forces pour les protéger, car ils étaient des alliés contre ISIS, et risquent d’être écrasés et purgés par la Turquie.
 

Pendant ce temps, l’Algérie, qui nourrit une hostilité existentielle et viscérale à l’égard du Maroc et, par extension, de la France pour avoir soutenu le plan d’autonomie du Maroc, a publiquement qualifié l’actuel HTS de groupe terroriste et a soutenu Bachar el-Assad. Des fuites de renseignements ont révélé le rôle actif de Mohamed Mediene et de Chafik Mesbah du DRS algérien dans la fourniture d’une assistance technique, de services de conseil et de formation, qui ont contribué aux crimes de guerre commis en Syrie par Bachar al-Assad. Après la chute d’Assad, l’Algérie a tenté de soudoyer les nouveaux dirigeants pour qu’ils récupèrent les renseignements algériens divulgués et exfiltrent les milices algériennes et du Polisario, mais ces efforts ont été rejetés.

Le Maroc, qui a soutenu les révolutionnaires contre Bachar el-Assad et rompu ses relations diplomatiques avec la Syrie en 2012 après avoir assisté aux massacres, intensifie aujourd’hui ses activités diplomatiques. Rabat s’engage progressivement dans des efforts secrets pour persuader HTS de retirer sa reconnaissance du Polisario, sapant ainsi la position de l’Algérie au Sahara occidental, que la Syrie reconnaît depuis 1980.
 

Les chants « Free, Free Rojava » pendant le Sommet de la Solidarité 2025 peuvent être interprétés comme un signal calculé orchestré par Mohamed Mediene, Chafik Mesbah, et Mahrez Djeribi pour avertir stratégiquement Hay’at Tahrir al-Sham, qui pourrait envisager de retirer son soutien au Front Polisario dans un contexte de réchauffement des relations avec le Maroc. Le Front Polisario a récemment subi des pertes diplomatiques importantes, notamment le retrait de sa reconnaissance par l’Équateur et le Ghana à la fin de l’année 2024, et il est confronté à des défis supplémentaires avec l’investiture prévue de Donald Trump et la résurgence attendue de la diplomatie de droite, anti-Polisario et anti-régime militaire algérien de Marco Rubio. Ces tendances pourraient conduire à la désignation potentielle du Front Polisario comme organisation terroriste, ce qui a déjà été fait par le membre du Congrès de la République Joe Wilson le 15 janvier 2025.
 

La décision du régime militaire algérien d’impliquer Greta Thunberg dans le sommet témoigne d’un effort pour aligner la question sur les récits politiques de gauche et d’alt-gauche, intensifiant la polarisation idéologique et renforçant davantage sa position sur la question.
 

( Lemediterraneen24.com )

 

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