Gazoduc Afrique-Atlantique : L’énergie comme moteur d’une vision Atlantique intégrée

Symbole fort d’une Afrique unie et tournée vers l’avenir, le gazoduc Afrique-Atlantique, ambitionne de relier l’Afrique et l’Europe. Ce projet stratégique s’inscrit dans la dynamique de l’Initiative Royale pour l’Atlantique, visant à faire de l’océan un vecteur d’intégration régionale, de souveraineté énergétique et de coopération Sud-Sud durable.

L e gazoduc Afrique-Atlantique, également connu sous le nom de gazoduc Nigeria-Maroc, constitue l’un des projets énergétiques les plus ambitieux jamais conçus sur le continent africain. Lancée officiellement en 2016 lors d’une visite d’État de Sa Majesté le Roi Mohammed VI à Abuja, l’initiative traduit une volonté politique forte de structurer un axe énergétique Sud-Sud, tout en renforçant la sécurité énergétique du continent et en contribuant à l’approvisionnement du marché européen. L’enjeu est de taille : transporter, sur près de 6 000 à 6 900 kilomètres, du gaz naturel nigérian vers treize pays ouest-africains avant de rejoindre le réseau gazier marocain et, de là, les marchés européens via le Gazoduc Maghreb-Europe (GME).

Le projet a été conçu comme une réponse aux multiples défis auxquels fait face l’Afrique de l’Ouest : un déficit énergétique chronique, une faible industrialisation, et une dépendance massive au bois de chauffe pour les usages domestiques. En connectant directement les gisements gaziers géants du Nigeria, pays qui détient les premières réserves prouvées du continent (5 900 milliards de m³), aux pays voisins et au Maroc, le gazoduc Afrique-Atlantique doit permettre de sécuriser l’accès à une énergie propre et relativement bon marché pour plus de 400 millions de personnes.

Concrètement, le tracé passe par le Bénin, le Togo, le Ghana, la Côte d’Ivoire, le Libéria, la Sierra Leone, la Guinée, la Guinée-Bissau, la Gambie, le Sénégal, la Mauritanie et enfin le Maroc. Il prévoit également des embranchements vers le Mali, le Burkina Faso et le Niger, permettant à ces pays enclavés de bénéficier indirectement du réseau. La capacité projetée est de 30 milliards de mètres cubes par an, soit trois fois celle du GME. Ce gazoduc est aussi conçu comme une infrastructure flexible, capable de transporter à l’avenir de l’hydrogène vert ou de l’ammoniac, en phase avec les ambitions climatiques de la région.

Depuis 2020, le projet a connu une forte accélération institutionnelle. L’Office National des Hydrocarbures et des Mines (ONHYM) et la Nigerian National Petroleum Company (NNPC) ont lancé les premières études de faisabilité, suivies par les études d’ingénierie préliminaires. En 2022, une première série de mémorandums d’entente (MoU) a été signée avec les pays partenaires. Puis, en décembre 2024, la CEDEAO a validé officiellement le projet lors de son 66e sommet, en adoptant les premiers accords intergouvernementaux (IGA), préparant ainsi le terrain à une coordination régionale effective.
 

Avancées techniques
Le 13 juillet 2025, Rabat a accueilli les réunions conjointes des comités technique et de pilotage du projet. Lors de cette rencontre, les avancées techniques ont été saluées, notamment la finalisation des études FEED (Front-End Engineering Design) pour le tronçon nord (Maroc–Mauritanie–Sénégal). Ces études ont permis de déterminer les points d’atterrissement (landfalls) du pipeline, sur la base d’analyses océanographiques menées dès février 2025 à l’aide du navire scientifique « Al Hassan Al-Marrakchi », piloté par l’Institut national de recherche halieutique (INRH). Les études concernant le tronçon sud, reliant le Nigeria au Ghana, sont toujours en cours, avec une finalisation prévue d’ici fin 2025.

La gouvernance du projet repose sur une structure tripartite. Une société-holding regroupe trois Special Purpose Vehicles (SPV), chacune responsable d’un segment du gazoduc. Ce modèle garantit une répartition claire des responsabilités, facilite la levée de fonds et assure la coordination avec les différentes agences nationales de régulation. Le coût initialement estimé à 25 milliards de dollars a été revu à la baisse : selon Amina Benkhadra, directrice générale de l’ONHYM, le budget avoisinerait désormais 20 milliards de dollars, notamment grâce à la simplification du tracé côtier et à l’optimisation du phasage. La mise en œuvre du gazoduc se fera en trois phases. La première (2025–2029) concerne le tronçon nord, qui permettra une mise en service partielle et une connexion rapide au GME. La deuxième phase (2025–2030) portera sur le segment sud, depuis le Nigeria jusqu’à la Côte d’Ivoire. Enfin, la troisième phase (2035–2040) complétera le corridor sur toute sa longueur. L’objectif est de lancer les premiers flux de gaz entre 2029 et 2030, à condition que la décision finale d’investissement (FID) soit prise dès l’automne 2025, à la suite de la signature officielle des accords intergouvernementaux. En parallèle, plusieurs projets gaziers nationaux viennent renforcer la pertinence de ce corridor. En avril 2025, le champ o shore Grand Tortue Ahmeyim (GTA), situé à la frontière maritime entre la Mauritanie et le Sénégal, a entamé sa première phase de production. Il en sera de même pour BirAllah (Mauritanie) et pour les projets nigérians comme Brass LNG. Le Maroc, de son côté, accélère le développement de ses infrastructures internes (gazoducs Nador–Kénitra–Mohammedia–Jorf Lasfar–Dakhla) ainsi que l’aménagement de terminaux GNL et de champs gaziers comme Tendrara et Anchois.
 

Dimension géopolitique
Au-delà des aspects techniques, le gazoduc Afrique-Atlantique s’inscrit dans une ambition géopolitique affirmée. Il constitue l’un des piliers de l’Initiative Atlantique portée par le Maroc, visant à construire un espace d’intégration entre les pays d’Afrique de l’Ouest, du Centre et du Nord. À travers cette infrastructure, le Royaume se positionne comme un hub énergétique crédible, capable de renforcer la sécurité d’approvisionnement de l’Europe tout en accompagnant la transformation économique du continent. Cette dynamique n’est pas sans susciter des réactions. L’Algérie, qui défend son propre projet de gazoduc transsaharien (TSGP) reliant le Nigeria à l’Europe via le Niger, voit dans le projet atlantique une concurrence directe. Toutefois, les enjeux sécuritaires dans la région sahélienne (instabilité au Niger, au Mali et au Burkina Faso) rendent cette alternative de moins en moins crédible. À l’inverse, le tracé côtier du gazoduc Nigeria-Maroc bénéficie d’un environnement maritime plus stable et d’un portage diplomatique régional solide. Le soutien des institutions financières internationales (Banque mondiale, BAD, IRENA, BEI) est conditionné à des études d’impact environnemental et social rigoureuses, actuellement en cours. À terme, le projet pourrait aussi jouer un rôle dans le développement de l’hydrogène vert en Afrique, en s’appuyant sur les importantes ressources solaires du Sahara pour produire et transporter de nouvelles molécules à forte valeur ajoutée.

Le gazoduc Afrique-Atlantique ne se résume donc pas à une infrastructure de transport. Il représente une colonne vertébrale de l’intégration énergétique africaine, un levier de développement pour les économies ouest-africaines, et un outil diplomatique majeur pour renforcer la coopération euro-africaine dans un contexte de transition énergétique mondiale. Si les engagements sont tenus et les délais respectés, il pourrait redessiner, d’ici la fin de la décennie, la carte énergétique du continent.

Gisements nationaux : Tendrara entre en production
Le gisement de Tendrara, situé dans la région de l’Oriental au Maroc, entre dans une phase décisive avec la construction d’une unité de liquéfaction du gaz, dont la mise en service est prévue avant la fin de 2025. Transféré en juin 2024 de la société britannique Sound Energy à Mana Energy, filiale du groupe marocain Managem, le projet a maintenu sa dynamique sans interruption. 

Ce changement de main a permis de revoir les modalités contractuelles avec l’entreprise Italfluid, chargée de la conception et de la mise en œuvre de l’unité. Le contrat initial en mode leasing a été converti en contrat EPC (ingénierie, approvisionnement et construction) d’un montant total de 25 millions de dollars, dont 18 millions liés à l’avancement des travaux et 7 millions versés à leur achèvement.

L’unité de liquéfaction, qui traitera le gaz extrait des puits TE-10 et TE-5, jouera un rôle central dans la transformation du gaz en GNL (gaz naturel liquéfié), destiné à être stocké puis transporté par camion jusqu’aux clients finaux. Les opérations de raccordement des puits et d’installation du réseau de collecte sont, elles, programmées pour le troisième trimestre 2025. 

Ce jalon est crucial pour assurer un démarrage rapide et e cace de la production. Grâce à cette nouvelle configuration, Mana Energy renforce son contrôle sur l’ensemble du processus industriel et améliore la rentabilité du projet. Le lancement de la production de GNL à Tendrara marquera une avancée stratégique pour la souveraineté énergétique du Maroc, en valorisant une ressource locale jusque-là sous-exploitée et en diversifiant les sources d’approvisionnement du marché intérieur.

Tronçon Nador-Dakhla : Un premier investissement de 6 milliards de dollars
Le Maroc lancera à la n du mois de juillet 2025 les travaux du premier tronçon du gazoduc Nigéria-Maroc, entre Nador et Dakhla. Ce segment de plus de 1 600 km, d’un coût estimé à 6 milliards de dollars, marque le démarrage concret d’un projet stratégique de plus de 25 milliards de dollars visant à relier le Nigeria au Maroc en traversant onze pays d’Afrique de l’Ouest. 

À terme, le gazoduc permettra d’acheminer jusqu’à 30 milliards de pieds cubes de gaz par jour, aussi bien vers le marché marocain et ouest-africain que vers l’Europe, via le gazoduc Maghreb-Europe. La ministre de la Transition énergétique, Leïla Benali, a confirmé cette étape décisive, soulignant que des investisseurs privés et des fonds d’infrastructure ont manifesté leur intérêt, attirés par une rentabilité estimée entre 10 et 12 %. 

Cette première phase intègrera également les réseaux gaziers de la Mauritanie et du Sénégal. Le projet s’inscrit dans la stratégie marocaine de diversification énergétique et de souveraineté, et illustre la volonté du Royaume de devenir un hub énergétique régional. Il constitue aussi une alternative géopolitique au projet concurrent de gazoduc transsaharien porté par l’Algérie.

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