​Genève 2025 : l’échec d’un traité mondial contre la pollution plastique

1. Échec officiel et profondes répercussions géopolitiques

Après dix jours de consultations intensives et de discussions techniques et diplomatiques complexes à Genève, les parties internationales n’ont pas réussi à parvenir à un accord juridiquement contraignant marquant une avancée qualitative dans la lutte contre la pollution plastique croissante à l’échelle mondiale. Cet échec constitue un choc politique et environnemental majeur, notamment avec le retrait des États-Unis, en tant que puissance économique et scientifique centrale, dotée d’un poids négociateur crucial,  à un moment clé des négociations. Ce retrait a donné un puissant élan au bloc opposé à toute restriction de production, dirigé par les pays pétroliers tels que l’Arabie Saoudite, la Russie, l’Iran, et bénéficiant d’un soutien implicite de la Chine.

Ce retrait américain n’était pas une simple décision technique ou temporaire, mais reflète un changement de priorités des grandes puissances, marquant un net recul de l’engagement politique mondial envers la résolution des crises environnementales par le biais de la coopération multilatérale. Cela soulève d’importantes questions sur l’avenir du système écologique multilatéral fondé sur les principes de responsabilité partagée et de solidarité internationale pour la protection de la planète.

Cet échec à Genève a révélé un fossé structurel profond entre les ambitions environnementales globales et les compromis politiques fragmentés et limités, souvent neutralisés  par des intérêts économiques à court terme et la pression des lobbies industriels. Il a également mis en lumière la faiblesse des institutions internationales à imposer une vision environnementale globale face à des alliances géopolitiques complexes, remettant en cause l’avenir de la multilatéralité environnementale dans un contexte de changements climatiques et de dégradation écologique rapides.

2. Chiffres de production et consommation : une crise en expansion sans fin

Le monde connaît aujourd’hui une croissance sans précédent de la production et de la consommation de plastique, avec une production annuelle mondiale dépassant les 460 millions de tonnes, dont environ 40 % sont consacrées à l’emballage, reflétant une forte dépendance aux plastiques à usage court dont le destin est rapidement les déchets. Selon les estimations de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), ce chiffre pourrait atteindre 1,2 milliard de tonnes par an d’ici 2060, soit une augmentation de plus de 160 % par rapport au niveau actuel, traduisant une trajectoire dangereusement ascendante sans progrès tangible dans les politiques mondiales de réduction ou de recyclage.

En parallèle, les taux de recyclage effectif restent inquiétamment bas, ne dépassant globalement pas 10 à 12 %, tandis que la majorité des déchets plastiques finissent en décharges, sont incinérés, ou se dispersent dans les océans, les rivières et les écosystèmes, causant des impacts environnementaux et sanitaires dévastateurs.

D’un point de vue économique, le coût de la pollution plastique constitue un fardeau croissant pour les sociétés, les systèmes de santé et l’environnement. Les études estiment que le poids financier annuel lié aux dommages sanitaires et environnementaux du plastique se situe entre 1,5 et 3 trillions de dollars, incluant les coûts liés à la pollution de l’air et de l’eau, la présence de microplastiques dans la chaîne alimentaire, ainsi que les maladies associées aux perturbateurs endocriniens, troubles respiratoires et inflammations chroniques.

Cette réalité souligne clairement que l’échec à conclure un accord international sur la régulation de la production et consommation de plastique n’est pas seulement un revers diplomatique, mais un grave aveuglement face à une crise financière, sanitaire et écologique croissante, aux conséquences potentiellement catastrophiques pour les générations présentes et futures si elle n’est pas traitée de manière urgente, scientifique et contraignante.

3. Modèle proposé : absence de décisions politiques décisives

Les pays du « haut ambition« , notamment la France, le Canada, la Norvège et la Suisse, ont proposé une vision progressiste d’un traité international global basé sur des piliers juridiques contraignants, incluant des mécanismes innovants de financement international, tels que la création d’un fonds mondial pour soutenir les capacités des pays en développement à opérer une transition vers une économie plastique durable. Ces pays ont également suggéré un plan systématique de réduction progressive de la production, visant à l’interdiction totale des plastiques et additifs toxiques, en particulier ceux liés à des risques sanitaires avérés comme les phtalates et les substances perfluoroalkylées (PFAS).

En revanche, le bloc des pays producteurs de pétrole et pétrochimie, mené par l’Arabie Saoudite, l’Iran, la Russie, et soutenu de manière implicite par la Chine, a défendu une approche conservatrice et limitée, focalisée uniquement sur la gestion des déchets et l’amélioration des infrastructures de collecte, en faisant porter le poids principal sur les individus via le principe de « responsabilité individuelle« . Ce camp a rejeté toute intervention réglementaire dans la production ou toute restriction sur les matières premières issues des combustibles fossiles.

Cette division ne reflète pas seulement des niveaux d’ambition différents, mais un affrontement structurel entre deux modèles économiques opposés : l’un aspirant à une transformation environnementale profonde centrée sur la justice climatique et la santé publique, et l’autre privilégiant des profits à court terme en maintenant la domination des économies fossiles, au détriment de la dégradation de l’écosystème mondial.

Ce blocage reflète un manque de volonté politique courageuse chez certains acteurs, et met en lumière les limites du système multilatéral actuel face aux intérêts industriels et économiques bien ancrés. En l’absence de décisions courageuses et contraignantes, toute proposition reste une simple déclaration d’intentions, insuffisante face à l’ampleur de la menace.
 
 
4. Le Maroc : modèle d’équilibre et de transition écologique durable

Le Maroc s’est distingué lors des négociations à Genève comme l’un des rares exemples réussis conciliant engagement national en faveur de la transition écologique et participation responsable à la vision environnementale globale. Depuis son adhésion aux initiatives internationales environnementales, il s’est affirmé comme un acteur diplomatique modéré, cherchant à construire des ponts entre le Nord et le Sud, ainsi qu’entre ambitions climatiques et justice économique.

Sur le plan interne, l’adoption en 2016 de la loi « Zéro Méga » interdisant les sacs plastiques à usage unique constitue une étape pionnière en Afrique, témoignant d’une transformation institutionnelle et législative profonde. Cette transition a été accompagnée d’efforts multidimensionnels tels que :

 

La mise en œuvre progressive des principes de l’économie circulaire dans les chaînes de production locales, intégrant le recyclage et favorisant la production à faible empreinte carbone. Le soutien aux startups et initiatives communautaires dans le recyclage, notamment dans les quartiers périphériques et les zones semi-urbaines, créant des emplois verts. Le lancement de projets pilotes à Tanger, Casablanca et Rabat, soutenus par le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) et l’Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel (ONUDI), visant à développer des modèles locaux efficaces de tri et valorisation des déchets.

 
Sur le plan régional et international, la position géographique et la diversité politique et culturelle du Maroc en font un lien unique entre l’Afrique, le monde arabe et l’Europe. Cette géopolitique renforce sa capacité à jouer un rôle clé dans la facilitation des accords internationaux, en proposant des solutions pragmatiques tenant compte des disparités économiques sans compromettre les objectifs environnementaux communs.

L’expérience marocaine reflète une vision stratégique graduelle et intégrée de la transition écologique, adaptée aux contextes socio-économiques et privilégiant un changement réalisable plutôt que des ruptures irréalistes. Ainsi, le Maroc constitue un modèle crédible d’un pays du Sud global cherchant à tracer une voie écologique autonome et exemplaire sur la scène internationale.

5. Économie et politique : l’influence industrielle sur le processus décisionnel environnemental

Les grandes multinationales du secteur pétrolier et pétrochimique ont constitué l’un des principaux obstacles à un progrès concret lors des négociations de Genève. Sous prétexte de préserver l’emploi et de stimuler l’innovation industrielle, ces entreprises ont exercé des pressions directes et indirectes intenses sur les délégations nationales, affaiblissant les textes juridiques proposés et vidant leur portée contraignante. Cette justification, bien que présentée comme économique, masque en réalité la défense d’un modèle de production non durable, qui continue à faire supporter à la planète et aux sociétés des coûts exorbitants.

En l’absence de mécanismes de gouvernance environnementale contraignants, l’économie mondiale devient une entité fragile, affichant une croissance superficielle tout en se dégradant de l’intérieur en raison des dommages cumulatifs à la santé publique, à la qualité de vie et aux ressources naturelles. De nombreuses études indépendantes estiment que le coût de la dégradation environnementale liée à la pollution plastique se situe entre 1,5 et 3 trillions de dollars par an, englobant les impacts sanitaires humains, la pollution marine, la dégradation des écosystèmes et la charge économique sur les infrastructures.

En revanche, l’opportunité économique perdue due à l’absence de politiques environnementales ambitieuses est immense. Les analyses économiques récentes montrent que chaque dollar investi dans l’économie circulaire ,  incluant le recyclage, la réduction des déchets et l’amélioration des chaînes d’approvisionnement ,  peut générer un rendement moyen de 3 à 4 dollars en bénéfices nets, grâce à l’innovation, la création d’emplois verts, et la réduction des externalités négatives.

L’échec de Genève est donc aussi un échec politique à mettre en place des régulations et des mécanismes contraignants protégeant l’intérêt collectif face aux logiques de profit à court terme, un échec à inscrire la justice environnementale et sociale au cœur du système économique global.

6. Perspectives et enjeux futurs : un défi à relever collectivement

Face à l’échec à Genève, la nécessité d’une refonte radicale des processus de négociations internationales sur l’environnement devient urgente. L’absence d’un accord contraignant sur le plastique n’est pas une fatalité, mais un signal d’alarme indiquant que les stratégies actuelles doivent être repensées.

Les perspectives d’avenir doivent inclure :

 

La mise en place d’un cadre multilatéral renforcé, intégrant des sanctions effectives en cas de non-respect des engagements, avec un rôle accru des instances judiciaires internationales. Une participation accrue des sociétés civiles, des mouvements écologistes et des jeunes générations, pour exercer une pression démocratique et sociétale forte sur les décideurs. Le développement d’initiatives nationales et régionales innovantes comme leviers de changement, qui pourraient être progressivement intégrées dans un cadre global. L’intégration des nouvelles technologies, notamment dans la gestion intelligente des déchets, la substitution des matériaux fossiles par des alternatives biosourcées, et la promotion des modèles économiques durables.

En conclusion, l’échec de Genève ne doit pas être perçu comme une défaite définitive, mais comme un appel urgent à une mobilisation globale, équilibrée et intégrée, où les impératifs écologiques, économiques et sociaux sont pleinement reconnus et agissent en synergie.

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