Gestion des chiens errants : Un virage éthique engagé bien avant le Mondial 2030 [INTÉGRAL]

Les militants internationaux de la protection animale se mobilisent depuis plusieurs mois pour interpeller la FIFA par rapport à la gestion des chiens errants au Maroc.

Depuis fin 2024, plusieurs organisations internationales de protection animale sont en croisade contre le Maroc et pointent ce qu’elles appellent «vilain secret» du Royaume. Il s’agit en l’occurrence du casse-tête de la gestion des populations de chiens errants, que ces organisations accusent d’employer des méthodes inhumaines à travers des campagnes d’éradication qui utilisent le poison et les armes à feu. Si la problématique n’est pas nouvelle, les militants de la protection animale semblent convaincus que l’organisation de la Coupe du Monde de football 2030 est le prétexte qui multipliera les massacres de chiens dont «3 millions seront éradiqués durant les prochaines années». Dans une lettre ouverte diffusée récemment, la célèbre naturaliste et primatologue Jane Goodall interpelle les décideurs de la FIFA sur «les plans du Maroc» pour tuer ces millions de chiens pour «que les fans soient en sécurité» durant le méga événement sportif.
 
Appel aux dons
«Les fans de football, dont beaucoup sont sans doute des amis des animaux, réagiront en appelant au boycott du pays et en faisant pression sur les sponsors pour qu’ils se retirent. Si la FIFA ne fait rien, elle sera reconnue pour sa complicité dans cet horrible acte de barbarie», ajoute la primatologue qui demande à la FIFA de suspendre l’attribution de l’organisation de la Coupe du Monde au Maroc jusqu’à ce que «les massacres cessent». D’autres organisations, comme Network for Animals, ont, dès novembre dernier, publié des appels aux dons assurant que leurs partenaires au Maroc ne relâchent plus les chiens dans les rues par peur des «escadrons de la mort qui parcourent les rues, tuant tous les chiens qu’ils voient». Cette situation entraîne le surpeuplement des refuges pour chiens. «Les fonds s’épuisent, alors qu’il faut davantage de nourriture et de soins médicaux pour s’occuper des chiens supplémentaires jusqu’à ce que le carnage prenne fin. Si nous parvenons à collecter 15.000 dollars, nous pourrons nourrir et soigner 1000 chiens pendant un mois», précise le collectif.  
 
Méthode éthique
Pourtant, la gestion éthique des chiens errants est une orientation que le Maroc a institutionnalisée dès 2019 à travers une convention quadripartite entre le ministère de l’Intérieur, l’Ordre National des Vétérinaires, l’ONSSA et le ministère de la Santé, portant sur la mise en œuvre de la TNR (Trap-Neuter- Release), une solution permettant de mieux contrôler les populations d’animaux errants. Le procédé consiste à capturer les animaux, en euthanasier les plus dangereux, les stériliser et les vacciner avant de les relâcher au même endroit. Une circulaire du ministère de l’Intérieur, datant du 12 octobre 2021, destinée aux Walis des régions et aux gouverneurs des préfectures, a appelé ces derniers à «inciter les communes à activer la mise en œuvre de la méthode TNR», en les sensibilisant sur «l’importance et l’utilité de cette méthode qui constitue une alternative prometteuse à l’abattage des chiens errants par armes à feu ou à leur empoisonnement par la strychnine, et une solution morale et efficace pour lutter contre l’errance de ces animaux».
 
Position de l’Intérieur
La circulaire demande aux autorités territoriales d’interdire «la capture et l’abattage de chiens identifiés par des boucles d’oreilles qui font partie du programme TNR, afin d’éviter tout incident susceptible de porter atteinte à l’image du pays». Le ministère de l’Intérieur demande par la même occasion de «sensibiliser les associations de la protection des animaux qui adoptent le TNR sur la nécessité de coordonner leurs actions avec les autorités locales». Six ans après cet élan, beaucoup de militants nationaux de la protection animale admettent que les efforts ont abouti à des expériences intéressantes, même si la mise à l’échelle au niveau national tarde à venir. En attendant, le devant de la scène est plutôt occupé par des associations créées spécialement pour demander aux autorités d’assainir des rues des chiens errants pour garantir la sécurité des populations.Une situation qui justifie d’améliorer la coordination entre parties prenantes pour une dynamique favorable aussi bien au bien-être animal, la sécurité des populations que l’image du Royaume.
 
Omar ASSIF

Selon vous, est-ce que le Maroc s’est réellement orienté vers la gestion éthique des chiens errants ? Quelle est la situation réelle sur le terrain ?
 

D’après ce qui est régulièrement rapporté sur le terrain, notamment par les touristes, ainsi que les images qui circulent tout aussi régulièrement sur les réseaux sociaux, il n’est pas à ce stade possible de dire que le Maroc a définitivement opté pour la TNR. Cela dit, notre pays s’est engagé et a amorcé une nouvelle orientation pour remédier à cette situation à travers cette approche de gestion éthique des chiens errants. Nous sommes témoins de cette volonté, mais il demeure impératif de mobiliser et de faire contribuer les personnes et les profils qui ont la capacité de mettre en œuvre cette méthode, en bonne et due forme et dans toutes les régions du Maroc. Pour l’instant, ça a commencé dans certaines régions du pays, mais c’est encore insuffisant. Je suis cependant convaincu que les décideurs sont conscients de l’importance de ce chantier et de la mise en œuvre de cette approche, parce qu’elle est la seule à donner de vrais résultats, pour peu que l’on fasse l’effort nécessaire notamment en relâchant les animaux (après soins et stérilisation) là où ils ont été capturés en premier lieu et nulle part ailleurs. 
 

Quels sont, selon vous, les principales causes qui bloquent la mise en œuvre de la TNR au Maroc comme seule solution éthique pour la gestion des chiens errants ?

Théoriquement, il n’existe aucun réel obstacle à la mise en œuvre de la TNR au Maroc. Il faut juste renforcer la volonté collective de réussir ce chantier. Notre pays a pendant très longtemps tenté des solutions radicales qui, en plus de donner une image négative et d’employer des dispositifs qui ne sont pas éthiques, ont montré leur inefficacité. C’est pour cette raison que la décision qui a été prise suite aux Hautes directives et recommandations Royales de Sa Majesté le Roi Mohamed VI, que Dieu L’assiste, en 2019 (convention quadripartite, Intérieur, ONSSA, Ordre des vétérinaires et ministère de la Santé) est très importante parce qu’elle a acté la volonté du pays à privilégier une solution aussi éthique, durable qu’efficace. C’est également une reconnaissance de la TNR comme la seule solution pour régler ce problème. Tout l’enjeu maintenant réside dans l’application sur le terrain.
 

Quel rôle devraient jouer les associations de protection animale au Maroc pour contribuer d’une manière constructive à la mise en œuvre de ce chantier ?

Les associations marocaines de protection animale qui sont connues pour leur sérieux et leur professionnalisme peuvent bien évidemment étroitement et constructivement contribuer avec les autorités pour réussir ce projet. Ces associations ont souvent des bénévoles dans chaque quartier qui ont l’avantage de connaître la localisation et la composition des populations de chiens errants de la zone. Ces bénévoles peuvent par exemple apporter une assistance précieuse aux autorités que ce soit pour la capture et les soins que pour le relâcher et le suivi. Une synergie pareille contribuera également à améliorer l’image des agents sanitaires qui sont habituellement chargés des chiens errants. A noter cependant que la formation et le renforcement de capacité seront déterminants pour la réussite de ce projet collectif.

Reproduction : La stérilisation, seul moyen de contrôler la multiplication des chiens errants
La lutte contre la maltraitance animale au Maroc se décline sous plusieurs formes puisqu’elle concerne aussi bien les animaux domestiques (bétail, équidés, animaux de compagnie) que les animaux sauvages (exemple des macaques et reptiles exploités pour des activités liées au tourisme). Cela dit, une grande part des militants qui œuvre pour la protection animale se concentre sur la lutte contre les abattages de chiens errants. Cette problématique est liée au rythme de reproduction de ces animaux qui, en l’absence d’un cadre réglementaire rigoureux pour leur élevage et leur détention, se retrouvent souvent livrés à eux-mêmes. Selon la fondation Brigitte Bardot, «en un an, un accouplement de chats produit 3 portées de 12 chatons. Un couple de chiens engendre en un an 2 portées de 8 chiots». Plusieurs pays qui avaient recours à des campagnes d’abattage de chiens errants ont constaté que la solution qui donne le meilleur résultat est la TNR qui consiste à capturer les animaux, les stériliser puis de les relâcher.

Mobilisation : La FIFA sommée de réaliser une enquête indépendante
Les lettres ouvertes des organisations internationales de protection animale se multiplient pour dénoncer les pratiques de gestion des chiens errants au Maroc en préparation de la Coupe du Monde de la FIFA 2030. Dernière en date, une lettre adressée, samedi dernier, par l’OIPA (Organisation Internationale pour la Protection des Animaux) à Gianni Infantino, président de la FIFA, et Mattias Grafström, secrétaire général. L’ONG y exprime sa profonde préoccupation face à ce qu’elle qualifie de «campagne brutale d’abattage». «Ces méthodes, profondément inhumaines, causent une immense souffrance aux animaux et violent les principes fondamentaux du bien-être animal», écrit Valentina Bagnato, chargée des relations internationales à l’OIPA. L’organisation demande une condamnation publique des abattages, une enquête indépendante pour évaluer l’impact des méthodes employées, et, surtout, le soutien à des solutions alternatives, notamment la méthode TNR (Trap-Neuter-Return). L’organisation met également en garde contre l’impact de ces scènes violentes, souvent publiques, sur les enfants et les citoyens. «Ces images choquantes ternissent l’image du Maroc et exposent les spectateurs, locaux comme touristes, à une détresse psychologique incompatible avec les valeurs prônées par la FIFA», insiste la lettre. L’ONG ne fait cependant aucune mention des personnes blessées ou tuées par les attaques de chiens errants à l’image du jeune homme décédé il y a quelques jours à Errahma, dans la région de Casablanca.

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