Gestion fiscale : Benchmark, analyse d’impact, audit… le modèle marocain est-il efficace ?

Avec un score de 55,7 sur 100 dans l’Indice mondial de transparence des dépenses fiscales (GTETI), le Maroc se hisse au 28ème rang sur 105 pays évalués, selon le rapport national sur les dépenses fiscales publié par l’Institut allemand de développement et de durabilité (IDOS) et le Conseil sur les politiques économiques (CEP).

 

Depuis 2006, le Maroc s’est engagé dans un processus de reporting annuel sur les dépenses fiscales (tax expenditures – TEs), ces mesures dérogatoires qui réduisent l’assiette ou le montant des impôts dus afin de soutenir des objectifs économiques ou sociaux. Si des avancées notables ont été enregistrées en termes de transparence et de suivi budgétaire, de nombreux défis persistent, tant sur le plan technique qu’en termes de gouvernance politique.

 

Le Maroc affiche, selon le rapport, un score de 55,7/100 dans le GTETI, le plaçant au 28ème rang sur 105 pays évalués. Les rapports officiels présentent une ventilation détaillée des mesures par type de taxe, secteur bénéficiaire et objectif affiché. Toutefois, le manque de lisibilité pour le grand public, l’absence d’évaluations socio-économiques approfondies et la difficulté d’accéder à des données consolidées limitent la portée effective de ces rapports.

 

En 2023, les dépenses fiscales représentaient 2,4 % du PIB, contre 2,9 % en 2022, traduisant une volonté politique de rationalisation. La réforme de la TVA, entamée en 2024, a contribué, selon la même source, à réduire significativement le coût de ces mesures, qui reste cependant concentré sur quelques grands dispositifs, notamment en matière de TVA et d’impôt sur le revenu.

 

Les limites structurelles de l’évaluation

 

Le principal déficit reste l’évaluation de l’impact réel des dépenses fiscales. La Cour des Comptes souligne régulièrement l’absence d’études ex ante et ex post mesurant les effets socio-économiques des mesures. Le rapport indique que les choix fiscaux sont souvent arrêtés sans comparaison avec des alternatives budgétaires comme les subventions directes. De plus, aucune instance indépendante n’est spécifiquement dédiée à l’analyse des dépenses fiscales. Le travail se limite à des exercices internes réalisés par la Direction Générale des Impôts (DGI), souvent dans un objectif de reporting comptable et budgétaire, sans approfondissement des enjeux d’efficacité ou d’équité.

 

La dimension politique pèse pour sa part sur la dynamique des dépenses fiscales au Maroc, selon IDOS. D’un côté, les pressions des lobbies sectoriels et des groupes d’intérêt représentés au Parlement influencent l’introduction ou le maintien de certaines niches fiscales. Le secteur immobilier, l’agroalimentaire ou encore les assurances ont ainsi longtemps bénéficié de dispositifs dérogatoires massifs.

 

De l’autre, les grandes orientations fiscales du pays résultent fréquemment d’arbitrages macroéconomiques dictés par la nécessité de préserver les équilibres budgétaires. Les récentes suppressions de dépenses fiscales n’émanent pas d’évaluations d’impact mais plutôt de directives globales issues de la loi-cadre sur la réforme fiscale de 2021 et des recommandations des institutions financières internationales telles que le FMI et la Banque Mondiale. Le chercheur d’IDOS donne l’exemple de la suppression des avantages fiscaux en faveur des promoteurs immobiliers pour le logement social, remplacés depuis 2024 par des aides directes aux ménages. Cette transition marque un tournant vers plus de ciblage et d’efficacité budgétaire, mais elle reste motivée avant tout par des objectifs de réduction du déficit public.

 

Vers une réforme fondée sur l’analyse d’impact ?

 

Avant de parler solutions, le rapport rappelle que le Maroc a profondément revu sa manière de définir et de mesurer ses dépenses fiscales, notamment à travers le concept de benchmark, un système de référence qui permet de distinguer ce qui relève de la politique fiscale « normale » et ce qui constitue une dérogation budgétairement coûteuse. Derrière ce mot technique, c’est toute la cartographie des niches fiscales qui a été redessinée.

 

Jusqu’en 2018, le Royaume recensait ses dépenses fiscales de façon assez large. Exonérations sur des produits de première nécessité, réductions de taux applicables à certains secteurs, aménagements fiscaux structurels… tout ou presque était comptabilisé. Résultat : plus de 400 mesures étaient alors identifiées comme des dépenses fiscales.

 

Mais la réforme intervenue il y a six ans a changé la donne, dans le sens où seules les mesures considérées comme révisables ou supprimables entrent dans le périmètre officiel des dépenses fiscales. Les dispositifs jugés essentiels à l’équilibre social ou économique du pays, comme l’exonération de TVA sur le pain ou les tarifs préférentiels sur les services bancaires, sont désormais classés comme de la politique fiscale « de droit commun » et sortent des radars du reporting.

 

Concrètement, ce resserrement du benchmark a entraîné une baisse mécanique du nombre de dispositifs recensés, passé de 418 à 291 mesures dès la première année. Une cure d’amaigrissement qui s’est accompagnée d’une diminution apparente du coût global des dépenses fiscales (environ -18 % en valeur dès 2018).

 

« Le benchmark marocain s’appuie désormais sur des règles spécifiques à chaque grand impôt », note le rapport. Sans prendre en considération la dernière révision fiscale, ce dernier précise que pour l’impôt sur le revenu, par exemple, le système de référence inclut un seuil d’exonération de 30.000 dirhams annuels et un barème progressif allant de 10 % à 38 %. Pour l’impôt sur les sociétés, il repose sur une échelle de taux allant de 20 % à 35 %, avec un taux particulier de 40 % pour les établissements financiers. Côté TVA, le taux standard de 20 % fait figure de norme, les taux réduits de 10 % et 14 % étant désormais scrutés de près pour évaluer s’ils relèvent encore de la dépense fiscale ou d’un choix de politique publique.

 

Cette réforme du benchmark, saluée par des institutions comme le Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE), a aussi permis au Maroc de mieux se positionner dans les comparaisons internationales, en se rapprochant des méthodologies recommandées par le FMI ou la Banque Mondiale. Mais certains économistes dénoncent cependant une réduction artificielle de la réalité budgétaire, arguant que le retrait de certaines mesures du périmètre des dépenses fiscales donne l’illusion d’une baisse alors qu’aucune suppression effective n’a eu lieu.

 

Cela dit, le rapport souligne que la rationalisation des dépenses fiscales au Maroc s’inscrit désormais dans une trajectoire plus globale de réforme du système fiscal. La loi-cadre de 2021 pose les bases d’un système « équitable, efficient et équilibré », mais sa mise en œuvre dépendra de la capacité des autorités à renforcer l’évaluation ex ante et ex post des mesures fiscales.

La mise en place d’un cadre institutionnel d’évaluation indépendant, associé à une meilleure concertation avec les parties prenantes, apparaît comme un levier essentiel pour garantir que les futures dépenses fiscales soient fondées sur des preuves solides de leur efficacité et de leur équité. Mais cela n’empêche que le Royaume devrait sortir d’une logique d’arbitrages politiques à court terme pour entrer dans une logique de gestion fondée sur les résultats et l’évaluation d’impact.

 

 

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