La CNSS a été visée par une cyberattaque qui a entraîné la fuite massive de données sensibles. Près de deux millions d’employés sont concernés. Cet incident met en lumière des failles dans la sécurité informatique de nos institutions publiques, et l’urgence de les mettre à niveau.
Les hackers à l’origine de l’opération ont, par la suite, diffusé massivement les données exfiltrées sur des canaux spécialisés de Telegram. Il s’agit de fichiers au format CSV (un type de fichier tableur utilisé pour stocker de grandes quantités de données sous forme de lignes, avec des champs séparés par des virgules), contenant les détails de 499.881 entreprises, les informations personnelles de 1,99 million d’employés, ainsi que plus de 53.574 fichiers PDF révélant les salaires.
Les données exposées comprennent notamment les noms complets, les adresses e-mail, les numéros de carte d’identité nationale (CIN), les coordonnées bancaires et d’autres informations sensibles. À l’heure où nous écrivons ces lignes, ni le ministère dirigé par Younes Sekkouri, ni la CNSS, ni les institutions spécialisées dans la sécurité informatique (CNDP, DGSSI, DGSN…) ne se sont encore exprimé sur cet incident.
S’il est encore trop tôt pour identifier avec précision les failles ayant conduit à une telle compromission des systèmes, ou pour pointer les responsabilités, une première lecture du déroulement de l’opération de piratage permet toutefois de dégager certains angles morts en matière de cyber-sécurité et de gouvernance des données sensibles.
“Pour l’instant, deux pistes se présentent. Il se peut qu’il y ait eu une attaque directe sur la plateforme de la CNSS, à travers des failles ou des mécanismes donnant accès aux bases de données. Pour ce qui est de la deuxième hypothèse, il est aussi possible que les hackers soient passés par une faille chez une partie tierce”, analyse Badr Bellaj, expert informatique, spécialisé en blockchain et cryptomonnaie.
Un responsable au sein d’une grande entreprise de cyber-sécurité au Maroc estime que cette attaque a mis en lumière de nombreuses lacunes dans la manière dont la CNSS gère ses données. “Les données auraient dû être sécurisées : elles n’auraient jamais dû être stockées en clair, mais chiffrées. De plus, au moment de l’attaque, aucune alerte n’a été déclenchée, ni sur l’intrusion elle-même, ni sur la fuite massive de données au moment où elles se produisaient”.
Si ce type d’attaques peut causer des dégâts importants pour les institutions concernées comme pour les citoyens dont les données sont exposées, il n’a pourtant rien de surprenant, tant ce genre d’intrusions devient monnaie courante, qu’il s’agisse d’organismes publics ou d’entreprises privées. Qu’il s’agisse du piratage du Pentagone en 2015 ou des attaques visant les systèmes hospitaliers en France, aucune institution n’est véritablement à l’abri de telles intrusions.
Alors que la majorité de ces attaques poursuivent des objectifs pécuniaires, en s’appuyant sur le chantage aux données pour extorquer de l’argent aux entreprises ciblées, le cas de la CNSS semble relever d’une tout autre logique : celle d’une opération menée par un pays hostile, dans le cadre d’une guerre de cinquième génération (un type de conflit hybride mêlant désinformation, cyberguerre et atteinte aux infrastructures stratégiques), d’où l’urgence de renforcer la résilience numérique des institutions publiques.
Au Maroc, la cyber-sécurité reste un chantier ouvert, comme en témoigne l’adoption, en 2020, de la loi n° 05-20 relative à la cyber-sécurité, et, plus récemment, celle du décret n° 2-24-921 encadrant le recours aux prestataires de services Cloud, approuvé en Conseil des ministres sous la présidence de Sa Majesté le Roi Mohammed VI.
“Une grande partie des marchés publics ouverts récemment concerne l’urbanisation des systèmes d’information des institutions publiques”, nous confie une source du secteur. L’urbanisation, qui vise à structurer et rationaliser les architectures informatiques, constitue aujourd’hui un levier essentiel pour améliorer la sécurité des systèmes, garantir la cohérence des flux de données et renforcer la résilience face aux cyber-menaces.
Cependant, le chemin reste long pour bâtir des systèmes informatiques véritablement résilients et capables de faire face à toute épreuve. “Plusieurs défis persistent. D’une part, le manque de ressources et d’investissements, avec des budgets encore limités dans certaines administrations, freine la mise en place de dispositifs de protection efficaces. D’autre part, la répartition inégale des compétences fait que certaines institutions bénéficient d’une expertise pointue en cyber-sécurité, tandis que d’autres peinent à recruter des professionnels qualifiés”, regrette Meriem Yacoubi, fondatrice du cabinet de consulting Disrupt spécialisé en transformation digitale & cyber-sécurité.
Dans cette équation entre aussi en jeu le “facteur humain”, c’est-à-dire l’ensemble des pratiques imprudentes des utilisateurs qui laissent des brèches béantes aux attaques informatiques. “Les employés ne sont souvent pas sensibilisés aux questions de cyber-sécurité. Ils ouvrent des e-mails suspects, utilisent des mots de passe faibles, ou encore accèdent à des sauvegardes non sécurisées. À cela s’ajoute le fait que beaucoup de systèmes sont mal configurés, que les privilèges sont trop larges, et que les serveurs ne sont pas mis à jour régulièrement. C’est une porte ouverte aux attaques”, donne comme exemple Taoufiq Rahmani, senior Data Scientist et Data Engineer à IBM.
Enfin, même si les institutions publiques ont l’obligation de mener des audits réguliers sur leur système informatique, la qualité de ces audits n’est pas toujours au rendez-vous. “En optant pour l’offre la moins-disante, ces institutions prennent le risque de sacrifier la qualité du service rendu. Le consultant retenu peut très bien soumettre un rapport concluant à l’absence de failles, mais qui est réellement en mesure de challenger ses résultats ?”, nous confie un responsable dans une grande entreprise de cyber-sécurité au Maroc.
Est-ce possible que les hackers aient passé par un tiers pour accéder à la base de données de la CNSS ?
Comment se prémunir contre ce genre d’attaques dans le futur ?
Le ministère de tutelle a tenté de rassurer le grand public, mais il y a eu, pourtant, une fuite énorme de données salariales. Faut-il craindre des conséquences graves ?
Faut-il revoir en profondeur les systèmes de cybersécurité dans les administrations publiques ?