Hébergements touristiques : Des étoiles pour tous, mais pas à n’importe quel prix [INTÉGRAL]

Le nouveau classement hôtelier unifie les règles du jeu pour tous les établissements. Mais il soulève aussi des questions sur la capacité des petites structures à suivre.

Alors que l’été approche à grands pas, la dynamique du tourisme marocain ne faiblit pas. Le pays s’apprête à vivre une nouvelle saison de forte affluence, poursuivant une tendance haussière amorcée après la crise sanitaire. Avec près de 17,4 millions de visiteurs enregistrés en 2024, le Maroc a franchi un seuil symbolique, s’imposant comme première destination touristique du continent. Une performance saluée par les professionnels du secteur, qui mettent en avant la diversité de l’offre, la sécurité des visiteurs, et les efforts d’amélioration continue. C’est dans ce contexte que le ministère du Tourisme, de l’Artisanat et de l’Économie Sociale et Solidaire vient d’annoncer un tournant réglementaire majeur : la publication de cinq arrêtés au Bulletin Officiel, venant compléter le dispositif de la loi 80-14. Ce nouveau cadre vise à mieux structurer l’hébergement touristique, à travers un système de classement harmonisé, des outils modernisés d’audit, et un élargissement de l’offre encadrée. 
 
Période de transition
Le nouveau système de classement en étoiles, désormais étendu à tous les types d’hébergements touristiques, marque une avancée vers une lecture plus claire de l’offre pour les voyageurs. Riads, maisons d’hôtes, kasbahs ou résidences touristiques seront intégrés dans une grille harmonisée avec les standards internationaux. «C’est une évolution logique qui permet au client de mieux s’y retrouver, surtout à l’international», explique un gestionnaire d’hôtel à Rabat. Pour les professionnels, l’enjeu est désormais de se mettre à niveau sans perdre ce qui fait la singularité de leur établissement. La période de transition de 24 mois prévue par les autorités est globalement bien accueillie. «Cette période permettra aux opérateurs de prendre le temps nécessaire pour adapter leurs prestations, renforcer la formation des équipes et intégrer les nouveaux critères. Cela dit, certains hébergements devront investir plus que d’autres pour ne pas perdre en gamme», souligne le professionnel.
 
Standards internationaux
Autre innovation : la qualité de service prend une place centrale dans le nouveau dispositif, avec l’introduction de «visites mystères» menées par des auditeurs spécialisés. Ces évaluations, construites sur la base d’une grille pouvant aller jusqu’à 800 critères, ont été élaborées avec l’appui de l’Organisation mondiale du tourisme. Elles viseront à évaluer toutes les dimensions du séjour, de l’accueil à la propreté, en passant par les services annexes. La classification ne sera plus permanente, mais révisée tous les 5 à 7 ans. Pour certains professionnels, cette évolution est une opportunité de valoriser les efforts fournis au quotidien. «C’est un outil utile pour aligner notre offre sur les meilleures pratiques internationales, mais là encore beaucoup d’acteurs du secteur appréhendent déjà les évaluations surtout avec un nombre aussi conséquent de critères différents», poursuit la même source, pointant par ailleurs la nécessité d’un accompagnement pour les petites structures, notamment en matière de formation de leurs équipes.
 
Nouvelles opportunités
En parallèle de cette montée en gamme, les autorités souhaitent encourager l’innovation dans les formes d’hébergement. Le nouveau concept des Résidences Immobilières Adossées (RIA), adossées à des hôtels 5 étoiles ou de luxe, s’inscrit dans cette logique. Il s’agit de villas vendues à des particuliers, tout en restant sous gestion hôtelière, pour répondre à une clientèle en quête d’expérience privative. Mais l’ambition du ministère va plus loin : encadrer aussi les segments encore peu structurés, comme les bivouacs, l’hébergement chez l’habitant ou les formes alternatives (cabanes, conteneurs, etc.). Des arrêtés spécifiques sont en préparation. Leur objectif : garantir un cadre de qualité et de sécurité, tout en facilitant l’intégration progressive de ces acteurs dans l’économie formelle. Un équilibre à trouver, selon les professionnels : «Ce cadre pourrait structurer le secteur et créer de nouvelles opportunités, à condition qu’il reste souple, réaliste et adapté aux différentes réalités du terrain», conclut notre interlocuteur.
 
Omar ASSIF
 

3 questions à Nidal Lahlou, vice-président de la FNIH : « Il fallait harmoniser nos critères avec ceux de nos partenaires et concurrents »
Quel regard portez-vous sur la réforme du classement hôtelier récemment annoncée et quelle en est, selon vous, la principale valeur ajoutée pour le secteur ?

 
La réforme était attendue depuis plus de dix ans. Même après son adoption, les décrets ont mis du temps à paraître. L’appréciation de la qualité de l’hébergement a évolué, et le Maroc est appelé à être challengé par d’autres destinations. Il fallait harmoniser nos critères avec ceux de nos partenaires et concurrents. Les nouveaux textes couvrent tous les types d’hébergements et normalisent à la fois les aspects techniques (hygiène, sécurité, mobilité…) et la qualité de service. Le classement ne sera plus figé, mais révisable selon la qualité des prestations. Cette réforme, perfectible, était surtout nécessaire au vu des ambitions du Maroc de se positionner parmi les premières destinations mondiales.
 

Pensez-vous que l’ensemble des établissements, y compris les plus petits ou les plus atypiques, auront les moyens de s’adapter aux nouvelles exigences du dispositif ?

 
-Ces nouvelles normes de classement ont fait l’objet de nombreuses discussions entre les professionnels de l’hébergement et les autorités gouvernementales, notamment le ministère de l’Intérieur et celui du Tourisme. Ces discussions ont été caractérisées par la transparence des discours, le partage des idées et des objectifs. C’est ainsi qu’elles ne s’appliqueront qu’aux établissements trois étoiles et plus, qu’une période d’incubation de deux ans est prévue, et que certaines dérogations, notamment au niveau technique, pourront être accordées aux établissements dont la création est antérieure à la nouvelle loi. Je reste convaincu que nous saurons dépasser les difficultés qui pourraient se présenter lors de la mise en œuvre de cette réforme. En tout cas, nous restons à l’écoute, et nous sommes convaincus que l’administration le sera aussi, pour améliorer et accompagner cette réforme ambitieuse.
 

Cette réforme suffit-elle, selon vous, à créer les conditions nécessaires pour accueillir un événement comme la Coupe du Monde 2030, ou d’autres leviers doivent-ils être mobilisés en parallèle ?

Cette réforme a été initiée plusieurs années avant que le Maroc ne soit désigné comme pays organisateur de la Coupe du Monde. Cependant, il me semble évident qu’elle contribuera à la réussite de l’événement. Elle contribuera donc à consolider les aspects qualitatifs et techniques de l’offre d’hébergement. Cependant, nous considérons aujourd’hui qu’il serait utile de penser à des mesures d’accompagnement à ce sujet, afin de faciliter les mises à niveau que les établissements d’hébergement auront à faire. Sans bien sûr oublier l’investissement et l’augmentation de la capacité litière du Maroc, ou encore la connectivité aérienne, ferroviaire, routière… La Coupe du Monde est un objectif, mais aussi un accélérateur, qui permettra au Maroc de se positionner parmi les premières destinations touristiques mondiales et comme pays émergent prometteur.

Critère de classement : Derrière les étoiles, une logique internationale exigeante
Le nouveau classement hôtelier marocain a pour ambition de s’aligner sur des référentiels déjà en vigueur dans plusieurs régions du monde. Les systèmes de classification 4 et 5 étoiles reposent généralement sur trois piliers : des infrastructures modernes (superficie minimale, aménagement des chambres, sanitaires privés, espaces de travail), des prestations de service (conciergerie, restauration, spa, personnel formé et multilingue), et des audits de contrôle menés à intervalles réguliers. En Europe, le système Hotelstars Union impose jusqu’à 800 exigences, révisées tous les cinq à six ans. Aux États-Unis, des organismes comme Forbes Travel Guide ou l’AAA utilisent également des inspections anonymes, parfois basées à 70% sur la qualité d’expérience perçue. Ce type de classification repose autant sur la conformité aux normes que sur l’appréciation globale du séjour. C’est à ce niveau que le Maroc entend se positionner, en adaptant son offre aux critères reconnus par le marché international.

Coupe du Monde 2030 : Comment le Maroc manœuvre pour éviter un tourisme sans lendemain
Alors que le Maroc se prépare à coorganiser la Coupe du Monde 2030, les ambitions touristiques s’affichent haut et fort. Le pays investit dans l’infrastructure, revoit ses standards de qualité, et projette de se hisser durablement parmi les destinations les plus compétitives du continent. Mais les grands événements mondiaux n’entraînent pas toujours les retombées attendues. Une étude récente, publiée dans Tourism Economics, s’est penchée sur 18 cas de compétitions sportives internationales organisées entre 1995 et 2019. Son constat est sans appel : dans la plupart des pays hôtes, l’organisation d’un événement d’envergure n’a pas engendré de hausse significative du tourisme international. Seuls quatre événements sur dix-huit ont généré un vrai surcroît d’arrivées. Dans les autres cas, les flux touristiques ont été simplement déplacés dans le temps : les visiteurs sont venus pendant l’événement, mais au détriment de ceux qui seraient venus à une autre période de l’année. Résultat : une fréquentation concentrée mais pas nécessairement supérieure à celle d’une année classique. C’est dans ce contexte que s’inscrit la réforme du classement hôtelier au Maroc. En renforçant les standards de qualité, en clarifiant l’offre et en encadrant les formes d’hébergement émergentes, elle cherche à poser les bases d’une attractivité pérenne. Car au-delà de l’effet vitrine de 2030, ce sont la constance, la fiabilité et l’expérience vécue qui fidélisent les clientèles et inscrivent un pays dans la durée.

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