IA 2025 – Monde, Maroc, France : comprendre les vraies dynamiques derrière le discours et au-delà des effets d’annonce

Le premier semestre de l’année 2025 marque une nouvelle phase dans la course mondiale à l’intelligence artificielle (IA). L’adoption massive de cette technologie, l’explosion des investissements en infrastructures, l’arrivée d’agents IA autonomes et la montée des enjeux géopolitiques redéfinissent les équilibres de pouvoir, tant économiques que cognitifs.

Mais derrière cette effervescence, un bruit sourd s’intensifie. Un bruit de surface, de commentaires creux et de déclarations tapageuses, où la pensée stratégique cède souvent la place à l’emballement médiatique. Ce phénomène n’est pas propre à une région ; il touche autant le Maroc que la France, et appelle à une véritable gouvernance éclairée de l’IA.

 

Quand l’ignorance fait du bruit

 

Dans mon article publié en mars 2025 dans L’Opinion, intitulé « Le bruit des ignorants entre le Maroc et la France à l’ère du numérique et de l’IA », j’ai dénoncé la montée d’une rhétorique vide, portée par des experts autoproclamés, souvent plus soucieux de leur image que de l’impact réel de l’intelligence artificielle. Leurs interventions, omniprésentes dans les forums, les réseaux sociaux ou les médias, contribuent à une désintellectualisation du débat numérique, réduisant l’IA à une série de mots-clés, d’effets de manche ou de gadgets technologiques.
 
Or, ce vacarme empêche la mise en place de politiques publiques cohérentes, empêche la mobilisation des chercheurs et bloque l’appropriation citoyenne. Il en résulte un écart grandissant entre les stratégies affichées et les transformations profondes qui devraient être menées.

 

Croisement des dynamiques : Monde – Maroc – France

 

À la lumière des grandes tendances internationales relevées dans le rapport BOND Trends – Artificial Intelligence et synthétisées par mon collègue et ami Alain Goudey, Vice Dean de NEOMA Business School, voici une lecture comparée des orientations de l’intelligence artificielle en 2025 selon trois contextes : le monde, le Maroc et la France.

 

Tendance Monde Maroc France

 

Adoption de l’IA Taux d’adoption de 50 % en 3 ans ; IA générative grand public (800 M utilisateurs) Adoption fragmentée et sectorielle (éducation, santé), concentrée dans les villes Adoption large, mais parfois motivée par des effets d’annonce politiques
Investissements (CapEx) 235 milliards $ en 2024 ; projection à 630 Mds $ en 2028 Investissements ciblés (UM6P, technoparks) ; absence de plan CapEx national structuré Plan de 109 Mds € annoncé ; ambition forte mais concrétisation lente
Agents IA autonomes Montée des agents intégrant perception, cognition et action ; révolution en robotique/logistique Projets limités au niveau académique ou démonstratif ; peu d’implémentations réelles Recherche appliquée avancée (CEA, Inria, Naval Group, Orange Labs…)
 
Leadership géopolitique Course USA–Chine–UE ; enjeux normatifs, technologiques et militaires Volonté de leadership africain ; diplomatie numérique émergente (Assises IA, coopération Sud-Sud) Leadership éthique affirmé (avec Inde), mais stratégie fragmentée et rivalités institutionnelles.
 
Transformation du travail 40 % des compétences à renouveler d’ici 2027 selon WEF Formation numérique en progrès, mais fracture territoriale et faible lien formation–emploi Objectif de 100 000 jeunes formés/an ; mise en œuvre territoriale inégale
Niveau du débat public Dominé par figures médiatiques ; dilution de la parole scientifique Présence accrue de pseudo-experts ; faible mobilisation des chercheurs dans l’espace public Suralimentation médiatique ; confusion entre régulation, innovation et populisme technologique.
 
Souveraineté numérique/LLM Montée des modèles souverains (Mistral, LLaMA, GPT localisés) Dépendance aux modèles étrangers ; réflexions en cours sur des LLM arabes/amazighs Modèle français souverain souhaité (Mistral AI, Current AI), mais dépendance partielle persistante.
 
Ce que le Maroc peut apprendre… et enseigner

 

Le Maroc n’a pas à copier les puissances du Nord pour réussir son virage IA. Il peut en tirer des leçons :
* De la France, il peut observer les limites d’une stratégie souvent surcommunicante mais mal opérationnalisée.
* Du monde, il peut apprendre l’importance de l’investissement massif et coordonné dans l’infrastructure, la formation et la recherche.
 
Mais surtout, le Maroc peut proposer une voie singulière, centrée sur :
 

l’éthique culturelle et linguistique, l’intelligence territoriale, l’innovation inclusive, et une coopération Sud–Sud structurante.
 

Pour une gouvernance éclairée de l’IA

 

Il est temps de sortir du bruit. De replacer la pensée, la rigueur scientifique et l’intelligence stratégique au cœur de nos politiques numériques. De faire de l’IA un outil de souveraineté intellectuelle, culturelle et économique.
 
Ce chantier ne peut être piloté ni par des communicants, ni par des influenceurs, mais par une alliance active entre chercheurs, décideurs, innovateurs et citoyens.
 
Ce n’est qu’à cette condition que l’intelligence artificielle cessera d’être un slogan pour devenir un levier réel de développement humain, équitable et souverain.

 

Dr. Az-Eddine Bennani est ingénieur en informatique, titulaire d’un MBA de Chicago, docteur en sciences économiques de la Sorbonne, et expert en management stratégique, gouvernance digitale et intelligence artificielle. Avec plus de 40 ans d’expérience en France, au Maroc et à l’international, il a été ingénieur système, consultant et manager chez Hewlett-Packard en France, en Europe et au MEA, a été professeur-chercheur à La Sorbonne Universités/UTC et à NEOMA Business School, et est actuellement professeur associé à l’Université Al Akhawayn.

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