Id Yennayer : Le vrai “Bonané” des Marocains !

​Le 14 janvier, le Maroc célèbre le Nouvel An amazigh. L’occasion de revenir sur les traditions de cette journée festive, tout en évaluant l’état d’avancement du chantier d’officialisation de l’Amazigh.

Il y a un an, le Maroc célébrait officiellement pour la première fois le jour du Nouvel An amazigh, également connu sous le nom de Id Yennayer. Un événement à forte dimension symbolique qui marque le début d’une nouvelle année selon le calendrier agraire berbère, basé sur le cycle des saisons. «Cette célébration est un moyen de mettre en valeur et de préserver l’identité culturelle amazighe, de promouvoir la langue berbère (ou tamazight) et de rendre hommage aux traditions ancestrales», nous souffle Mohamed Almou, activiste dans la défense des droits humains et avocat au Barreau de Rabat, tout en précisant que depuis cinq ans, il prend un jour de repos le 14 janvier pour célébrer cette journée avec sa famille. Symbole du lien d’appartenance identitaire, cette occasion réunit les Amazighs du monde entier, qui se parent de leurs plus beaux habits et préparent un dîner de communion, qui diffère d’une région à l’autre. «Nous avons depuis toujours célébré Yennayer, mais depuis son officialisation, il revêt un caractère particulier», nous déclare Hanane, quarantenaire aux origines berbères, plus précisément de Goulmima dans la région de Drâa-Tafilalet.
 
«Pour nous, c’est l’occasion de se retrouver en famille et entre amis pour célébrer notre culture et notre identité. On mange, on danse, on rigole, c’est notre façon d’être», dit-elle en souriant. La nourriture cuisinée est généralement bouillie, cuite à la vapeur ou levée, car la tradition veut des festins convenables aux soirées hivernales. « »Id Yennayer » marque le début de la nouvelle année agricole (Hagouza), notre tradition se perpétue aujourd’hui grâce à des festivités qui mettent à l’honneur les coutumes de notre région», ajoute Hanane.
 
Rituels et fierté
 
A quelques kilomètres de la ville natale de notre interlocutrice, se trouve Agadir, capitale des Amazighs du Monde, où la brise de Yennayer se fait également ressentir mais avec un goût particulier. La Commune urbaine de la ville a élaboré un programme riche et varié en animations et activités pour la célébration qui se poursuivra jusqu’au 17 du mois courant. Le programme des festivités lancées le 10 janvier couvre 12 lieux dans la ville, notamment les places publiques, les jardins et la promenade d’Anza et d’Agadir pour offrir aux habitants de la capitale du Souss et à ses visiteurs de l’animation dans la ville. S‘inscrivant dans cette même dynamique, le mythique souk de Bab El Had est décoré de guirlandes et de lanternes traditionnelles, sur fond d’une musique berbère qui résonne dans tout le marché. Les gens se pressent dans les allées du souk. Ils sont venus pour acheter ce qui leur faut pour fêter le Nouvel An. Fruits et légumes frais, viandes et épices, le marché est bien approvisionné et n’attend que l’engouement des clients.
 
«La célébration s’incarne dans un ensemble de rituels dont le plus important est la préparation de plats traditionnels célèbres comme « Tagwlla » et « Ourkimen », ou le Couscous aux 7 légumes», nous confie Ahmed Assid, Président de l’Observatoire amazigh des droits et libertés, ajoutant que «la symbolique de cette célébration est de cuire en même temps toutes les céréales et tous les légumes que la terre produit, dans l’espoir d’une bonne année agricole».
 

Au-delà des festivités

 
Mais au-delà du caractère festif de Yennayer, cet événement est également l’occasion pour certains d’évaluer le chantier relatif à l’activation du caractère officiel de la langue amazighe au Maroc. Dans ce sens, le gouvernement qui a débloqué, en 2024, 300 millions de DH pour la promotion de la langue amazighe, compte lever cette enveloppe à 1 milliard de dirhams durant l’année courante. Afin d’ancrer ladite langue dans le quotidien des Marocains, 200 millions de dirhams seront alloués au renforcement de l’usage de l’amazigh dans les institutions publiques. Dans ce sens, l’Etat a procédé au recrutement de 464 agents d’accueil, répartis dans différentes administrations, et la production de 3000 panneaux de signalisation en amazigh pour cinq administrations pilotes. Par ailleurs, des commissions consultatives (nationales et régionales) ont été mises en place pour renforcer la gouvernance du Fonds. Et bien évidemment, le secteur de l’Education était le premier volet à promouvoir. L’année dernière, l’ex-ministre de tutelle, Chakib Benmoussa, déclarait que la langue amazighe était enseignée dans 31% des établissements de l’enseignement primaire. Un chiffre peu honorable selon les activistes du secteur, notamment la Coordination nationale des professeurs de langue amazighe, l’organisation Tamaynut et l’organisation Voix de la femme amazighe, qui estiment que l’état actuel reflète un certain «désengagement» par rapport aux dispositions constitutionnelles et aux recommandations internationales.
 
Afin d’atteindre un taux de 50% lors de l’année scolaire 2025-2026, le ministère a œuvré au recrutement d’enseignants de la langue amazighe. De plus, une première promotion d’inspecteurs pédagogiques d’enseignement primaire – spécialité langue amazighe – a été formée, pour répondre à la demande, sans oublier les plateformes numériques mises en place pour accélérer le processus d’apprentissage. Mais si le gouvernement aspire à généraliser la langue à horizon 2030, Lahcen Amokrane, ex-secrétaire général de la Confédération des associations des enseignant(e)s de l’Amazigh au Maroc, chercheur en langue et culture amazighes, affirme qu’il faut «déployer de vrais efforts et encadrer l’opération avec des textes et des notes bien précis et clairs, expliquer aux parents et aux élèves l’intérêt de cette langue et de sa culture, et ne pas confondre l’idéologique avec le pédagogique».
 
Sur le volet culturel, le ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication s’emploie à intégrer la composante culturelle amazighe dans ses différentes interventions, en organisant des festivals artistiques et patrimoniaux à caractère amazigh, et en célébrant le Nouvel An amazigh à travers un ensemble de manifestations culturelles, outre l’adoption de la langue amazighe dans les publicités et les activités relatives auxdites manifestations. Des efforts louables, mais qui restent toujours loin des attentes d’une population amazighe attachée à ses racines.
 

Trois questions à Mohamed Almou : « La célébration Nouvel An amazigh concerne tout le peuple marocain »
Quelle est la dimension symbolique de la célébration officielle du Nouvel An amazigh ?

– Cela fait cinq ans que je fête le Nouvel An amazigh et je prends un jour de repos pour sensibiliser les gens et insister sur son importance comme jour férié. Maintenant, grâce à la décision Royale, ce jour est institué comme jour férié, mettant en valeur l’identité amazighe. Ce caractère officiel permet également de promouvoir la langue berbère (ou tamazight) et de rendre hommage aux traditions de nos ancêtres. De par son caractère ancestral, cette célébration ne se limite pas à une communauté ou un groupe ethnique spécifique, elle concerne tout le peuple marocain.
 

Comment évaluez-vous l’état d’avancement du chantier d’officialisation de la langue amazighe au Maroc ?

– Malheureusement, depuis son officialisation, la langue amazighe n’a pas connu des initiatives sérieuses. Il y a un grand retard dans l’intégration de la langue amazighe dans plusieurs composantes de la vie publique, notamment dans le système éducatif. Or, l’enseignement est la clé pour sensibiliser le public sur l’importance de cet héritage, dont il faut être fier. Il est désormais impératif de l’intégrer dans l’approche pédagogique, avant de se pencher sur les moyens techniques et financiers. L’idée serait également de renforcer la présence visuelle de l’amazighe en l’utilisant dans les documents officiels, les supports de communications, les grandes activités culturelles. C’est comme ça qu’on pourrait garantir son ancrage au sein de la société.
 

Estimez-vous donc qu’il faut plus d’initiatives en matière de communication ?

– Oui, car le secteur de l’information et de la communication a connu une évolution marquée par une augmentation de l’utilisation de l’amazigh, mais des obstacles persistent pour en faire une langue couramment utilisée dans les médias de masse. Les médias publics n’ont pas respecté les cahiers de charges qui précisent le budget destiné à la langue amazighe. Il faut mettre en place des mécanismes pour garantir le respect de ces cahiers des charges. 
 

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