Dans un contexte de sécheresse aiguë, l’Institut Marocain d’Intelligence Stratégique (IMIS) a présenté, lundi à Rabat, son rapport sur l’eau et le climat, en présence du ministre de l’Équipement et de l’Eau, Nizar Baraka. Un document d’analyse qui dresse un état des lieux approfondi de la situation hydrique, tant à l’échelle nationale qu’internationale, tout en formulant une série de recommandations concrètes pour faire face à une crise devenue structurelle.
Mais selon un rapport de l’Institut Marocain d’Intelligence Stratégique (IMIS), présenté lundi à Rabat, cette crise n’est pas uniquement le fruit d’un climat en transition. Elle serait également le résultat d’une trajectoire de développement marquée par une logique d’extension continue de l’offre – à travers barrages, forages et transferts d’eau – et par une orientation agro-exportatrice intensivement consommatrice en eau. Si l’agriculture représente plus de 80% des volumes prélevés, la modernisation technique, loin d’alléger la pression, a été accompagnée par une expansion des superficies irriguées et par l’introduction de cultures à forte valeur ajoutée mais également très hydrivores. Les gains d’efficacité permis par le goutte-à-goutte ont ainsi été absorbés par l’accroissement des besoins.
Fossé abyssal entre les régions !
Le rapport de l’IMIS met également en lumière une inégalité territoriale marquée dans la répartition des ressources. Près de 70 % de l’eau mobilisable se concentrent dans seulement 15 % du territoire national, principalement au Nord du pays. À l’inverse, les bassins atlantiques méridionaux et sahariens accumulent des déficits chroniques. Cette asymétrie illustre les disparités structurelles qui affectent la distribution des précipitations, les écoulements de surface et les potentiels en eau souterraine. Elle complique ainsi la planification hydrique, tant à l’échelle nationale qu’au niveau des territoires. Et si le rapport salue les efforts engagés à travers la stratégie hydrique du Royaume, il insiste toutefois sur la nécessité d’un tournant structurel. Selon l’IMIS, une gouvernance de l’eau plus efficace et plus résiliente suppose de clarifier les compétences, de renforcer les moyens techniques et financiers, et surtout d’assurer une articulation fluide entre tous les échelons : central, régional et local. C’est à ce prix que pourra se consolider la restructuration du secteur, condition sine qua non pour affronter durablement le défi de l’eau au Maroc.
Il s’agit tout d’abord de refondre le Conseil Supérieur de l’Eau et du Climat en Conseil National de l’Eau et du Climat (CNEC) doté d’un pouvoir réglementaire. Depuis plus de deux décennies, l’organe chargé de coordonner la politique hydrique n’a ni siégé ni publié de diagnostic national, souligne le rapport, notant qu’en le transformant en Conseil national paritaire, incluant les représentants du secteur privé, des collectivités et de la communauté scientifique, le Maroc doterait enfin sa stratégie de la tour de contrôle qui lui fait défaut. Le rapport recommande aussi de passer des hectares irrigués à la valeur créée par mètre cube dans les plans agricoles. Car si les deux stratégies «Plan Maroc Vert» et «Génération Green» ont permis de doubler la valeur ajoutée agricole et de tripler les exportations, elles reposent encore sur un modèle consommateur de 86% des ressources hydriques mobilisées. Il est donc temps de substituer à la logique d’expansion une logique de productivité volumétrique, où chaque bassin verra son plafond volumétrique fixé par arrêté, tandis que l’octroi des subventions sera conditionné à un bilan hydrique certifié.
Vers plus de sobriété hydrique
L’IMIS insiste en outre sur l’accélération du dessalement et de la réutilisation des eaux usées pour atteindre, à l’horizon 2030, un milliard de mètres cubes d’eau non conventionnelle, financée par des obligations vertes et des partenariats public-privé. Ces projets, à fort enjeu stratégique, devraient être soutenus par des mécanismes innovants de financement, combinant obligations vertes et partenariats public-privé, afin d’assurer leur viabilité économique et leur pérennité opérationnelle. Mais cette transition ne peut se limiter à l’infrastructure. Elle doit s’accompagner d’une reprogrammation profonde des incitations agricoles. L’IMIS recommande ainsi d’indexer les aides non plus sur la superficie cultivée, mais sur la valeur ajoutée par mètre cube d’eau utilisé. Une telle réforme permettrait de réorienter les pratiques agricoles vers des cultures sobres en eau et mieux adaptées aux réalités climatiques locales ? à l’instar des légumineuses, olivier en pluvial, arganier, cactus… Autant de filières porteuses, à la fois résilientes et économiquement prometteuses.
En matière de régulation, les experts plaident pour une montée en puissance de la « police de l’eau ». Celle-ci devrait élargir son champ d’action à la gendarmerie, et s’appuyer sur un système national de télésurveillance des forages, capable de détecter en temps réel les prélèvements illicites ou excessifs. Parallèlement, la mise en place de contrats de nappe associant usagers, agences de bassin et collectivités territoriales permettrait d’instaurer une gouvernance partagée autour de ressources souterraines menacées. Ces contrats devraient définir des quotas de prélèvement, des calendriers de recharge, ainsi que des sanctions automatiques en cas de non-respect des engagements. A cela s’ajoute l’intégration de l’empreinte eau comme critère déterminant dans toute décision d’investissement public ou privé. Cela implique qu’aucun projet industriel, touristique ou agricole ne puisse voir le jour sans avoir démontré sa compatibilité avec la contrainte hydrique locale. C’est une condition essentielle pour internaliser le coût environnemental de l’eau et aligner le développement sur les capacités réelles des territoires.
Le rapport souligne l’impératif d’ancrer durablement une culture de la sobriété hydrique dans les mentalités, à travers l’éducation, la sensibilisation et la formation professionnelle. L’eau ne peut plus être considérée comme une ressource abondante et gratuite. Elle devient un bien stratégique, rare, et devant être géré collectivement avec rigueur et responsabilité. L’IMIS appelle, in fine, à créer un observatoire académique «Nexus eau-énergie-agriculture-écosystèmes » pour consolider la recherche interdisciplinaire, mutualiser les bases de données et former la nouvelle génération d’ingénieurs hydrologues et d’économistes de l’eau.