Dans cet entretien, l’acteur tunisien Adam Bessa revient sur son rôle dans le film « Mé el Aïn » (Who Do I Belong To ?), explorant les tensions émotionnelles d’un personnage tiraillé entre loyauté familiale et devoir moral. Entre immersion dans la vie d’un village tunisien et collaboration avec la réalisatrice Meryam Joobeur, le comédien fait une performance marquante dans une production qui invite à la libre interprétation.
La préparation pour incarner Bilal, ce garde forestier issu d’une petite ville tunisienne, a été profondément ancrée dans l’immersion. Le tournage s’est déroulé à Louka, un lieu qui reflète parfaitement l’authenticité et la dureté de la vie quotidienne que traverse mon personnage. Être sur place m’a permis de m’imprégner de l’atmosphère unique de ce village (observer les habitants, partager leurs routines, et jouer aux cartes avec eux) m’a aidé à mieux comprendre leur quotidien. Cela m’a permis aussi de tisser un lien réel avec l’environnement du personnage et de saisir ses enjeux personnels.
Travailler avec Meryam Joobeur a été central dans ce processus. Ses observations et sa sensibilité envers les dilemmes moraux et familiaux de Bilal ont nourri notre collaboration. Nos longues discussions, souvent informelles, et parfois lors de marches dans les environs, nous ont permis de plonger au cœur de ses luttes intérieures.
Bilal est un personnage chargé d’une mission morale complexe : protéger ceux qu’il aime, tout en faisant face aux répercussions des choix de ses proches. Ces défis, bien que tragiques, sont profondément humains. Ce travail de recherche et d’échange avec Meryam m’a permis de retranscrire à l’écran la complexité et la vulnérabilité de Bilal.
Comment Meryam Joobeur vous a-t-elle aidé à explorer et à transmettre les tensions émotionnelles complexes de Bilal ?
Meryam Joobeur a été une guide précieuse dans mon exploration du personnage de Bilal. Elle m’a expliqué les dynamiques familiales cruciales : Bilal, orphelin de mère, a été élevé par sa belle-mère et considère ses demi-frères comme ses meilleurs amis d’enfance. Ce lien profond rend leur histoire d’autant plus déchirante lorsque ces derniers reviennent de Syrie après avoir rejoint Daesh.
La lutte intérieure de Bilal est au centre du récit. En Tunisie, la loi condamne ceux qui reviennent de ces conflits à de lourdes peines de prison. Bilal se retrouve donc face à un choix impossible : dénoncer ses frères et respecter son devoir moral ou les protéger par loyauté et amour fraternel. Il choisit finalement de les protéger, ce qui le plonge dans une spirale de culpabilité et de conflit intérieur.
En parallèle, Bilal essaie de préserver Rayane, un jeune garçon vulnérable qu’il considère comme un frère. Il joue un rôle de mentor et de protecteur pour lui, tout en portant seuls les fardeaux familiaux. Sa quête d’une certaine stabilité pour Rayane contraste avec sa propre incapacité à trouver refuge et paix intérieure.
Grâce à Meryam, ces tensions émotionnelles ont été explorées en profondeur. Elle m’a encouragé à m’immerger dans les dilemmes de Bilal, à comprendre ses choix et à incarner son humanité. Chaque scène est empreinte de cette dualité : un homme fort, mais brisé par des responsabilités écrasantes et des loyautés conflictuelles.
Y a-t-il une scène en particulier qui vous a profondément marqué pendant le tournage ?
Oui, ce sont surtout les scènes avec Rayane qui m’ont marqué, en particulier celle où il grandit. On est dans cette petite caravane, ou plutôt sous cette tente, près de l’eau. C’est là qu’il me demande : « Est-ce que c’est mal si j’aime encore mes frères, même s’ils sont des terroristes ? ». Cette scène m’a touché profondément. Elle est d’une intensité émotionnelle rare, avec une belle sensibilité dans l’écriture et l’interprétation. Je la trouvais simplement magnifique.
Après avoir terminé ce film et l’avoir visionné, avez-vous ressenti un changement dans votre perception des liens familiaux et de l’identité ?
Pas vraiment en ce qui me concerne, mais je pense que ce film est une œuvre artistique qui a le potentiel de marquer les spectateurs. Il explore ces thèmes avec une profondeur unique, et je suis convaincu qu’il laissera une empreinte durable, justement parce qu’il est singulier dans son genre.
Comment avez-vous trouvé l’équilibre entre la retenue et l’intensité dans les moments les plus émotionnels ?
Cet équilibre est venu assez naturellement. Bilal est un personnage qui garde ses émotions en lui, donc il ne laisse pas transparaître ses sentiments de manière évidente. C’était surtout une question de suivre le rythme de Meryam, la réalisatrice. Elle a su donner le temps nécessaire pour que l’intensité émerge subtilement, sans forcer les choses. C’était une collaboration vraiment exceptionnelle, et ça s’est fait de manière fluide et instinctive.
On peut donc dire que vous cassez les codes traditionnels en laissant une grande place à l’interprétation individuelle. Était-ce une décision consciente dès le départ ?
Et vraiment, « Marhaba » à tous ceux qui choisiront de le voir : ceux qui aimeront, ceux qui n’aimeront pas, ceux qui comprendront ou non. Il n’y a pas de pression, juste une invitation à vivre une expérience unique. Alors, allez le voir, je pense que cela en vaut vraiment la peine.
La disparition soudaine de deux frères, partis rejoindre un conflit en arrière-plan, fait émerger Reem, l’épouse de Mehdi, interprétée avec intensité. Son niqab et ses yeux bleus magnétisent autant qu’ils inquiètent, faisant d’elle une énigme et une force motrice au cœur du récit. Reem incarne un héritage de douleur et de résilience, révélant des vérités inaccessibles par les mots.
Joobeur construit une atmosphère onirique où la réalité glisse vers le mythe. Le village oscille entre fascination et crainte face à Reem, tandis que Bilal, un garde forestier, joué par Adam Bessa, tente de démêler les événements étranges qui perturbent la communauté.
Le film transcende son contexte pour évoquer des thématiques universelles : oppression, mémoire collective et résistance silencieuse. Reem symbolise les femmes réduites au silence dans des sociétés patriarcales, incarnant une révolte contre l’injustice.
Porté par une photographie captivante et une narration riche en non-dits, « Who Do I Belong To ? » exige du spectateur une ouverture à l’abstraction, offrant une expérience visuelle et émotionnelle profondément évocatrice.