Après une campagne spectaculaire, Donald Trump a pu tracer victorieusement son chemin vers la Maison Blanche. Son élection ne saurait être perçue comme une surprise, selon David Rigoulet-Roze chercheur associé à l’IRIS et rédacteur en chef de la revue « Orients Stratégiques » qui revient sur les conséquences géopolitiques de l’élection d’un président imprévisible. Entretien.
-Donald Trump est parvenu à battre sa rivale démocrate à l’issue d’une campagne étrangement imprévisible. A votre avis, comment expliquer ce retour triomphal ?
L’élection de Donald Trump est loin d’être une surprise, sinon peut-être dans l’ampleur de sa victoire. Cela fait plus près deux ans qu’il est « en campagne », contrairement à Kamala Harris qui, elle, a effectué une courte campagne après le désistement plus ou moins contraint de Joe Biden. Il a dès le début annoncé la couleur si l’on peut dire – en renvoyant au rouge du parti républicain classique sur lequel il a effectué une OPA politique et modifiant son ADN historique. C’est en réalité un choc pour ce que l’on qualifie souvent d’establishment, lequel a beaucoup de mal à comprendre les choix électoraux disruptifs qui ont mené à sa ré-élection qui signifie que sa première élection n’était pas accidentelle. Quoiqu’on puisse en dire, M. Trump incarne clairement une large partie de l’Amérique notamment celle de ceux que l’on qualifie parfois avec condescendance les rednecks – équivalent toutes choses égales par ailleurs des « petits-blancs » en Europe – et porte la colère de ceux qui se sentent méprisés par l’élite politico-médiatique de Washington. Il est, en quelque sorte, la caisse de résonance de cette colère, même s’il est lui-même un milliardaire de New York. Cela peut paraître paradoxal, mais c’est ainsi. Et plus il était attaqué par ses détracteurs, plus il était soutenu de manière psychologiquement réactionnelle par sa base électorale qui ne lui a jamais fait défaut. Il y a sans doute un contresens sur l’expression politique qu’il incarne dans la mesure où il porte un projet « réactionnaire » au sens propre du terme. C’est ce qui suscite aujourd’hui l’inquiétude de l’establishment américain qui se trouve totalement déstabilisé.
-Quelles seraient les conséquences du retour de Trump sur la politique étrangère américaine ?
Il est clair qu’il y aura un changement majeur par rapport à la politique de l’Administration Biden. Généralement, Trump incarne cette volonté d’une partie importante des Américains de revenir à une forme de protectionnisme sur le pan économique et à une forme d’isolationnisme sur le plan politique. Économiquement, il y a une tentation palpable pour une hausse spectaculaire des droits de douane. Cela acte la fin de la grande séquence de la mondialisation économique de la seconde partie du XXème siècle. Plus largement, le slogan America First traduit une aspiration à se retirer des affaires du monde. D’où le choix de Trump de se présenter comme un candidat opposé aux guerres dans lesquelles les Etats-Unis se sont trouvés entraînés par le passé. Il l’a démontré en planifiant notamment le retrait unilatéral d’Afghanistan…. Toutefois, les Etats-Unis pourraient être rattrapés par l’Histoire dans la mesure où ils demeurent la première puissance au monde avec les responsabilités que cela implique. En ce qui concerne l’Europe en tout cas dont il n’a pas été fait mention durant la campagne – par aucun des deux candidats du reste -, cette ré-élection aura des conséquences importantes. Les Européens peuvent s’inquiéter en termes géopolitiques parce qu’il est fort probable que Trump cesse son soutien à l’Ukraine dont il a assuré péremptoirement qu’il pourrait « régler le conflit en 24 heures » et qu’il entend en termes économiques imposer des droits de douane prohibitifs sur certains produits européens.
-Qu’en est-il du Proche Orient, Trump peut forcer le retour à la paix ?
C’est là qu’on touche aux contradictions potentielles du président réélu. Il est pour soustraire les Etats-Unis à tout engagement militaire indu, tout en demeurant le plus fervent soutien du gouvernement de Benjamin Netanyahou et en en validant un discours intransigeant face à l’Iran qu’il a plusieurs fois menacé militairement. Donald Trump n’a, en tout état de cause tout de même, pas de doctrine stratégique claire. Il y a un caractère imprévisible, sinon erratique, du personnage qui, en tant qu’ancien homme d’affaires, est d’abord et avant tout dans une logique transactionnelle. C’est qui induit une forme d’illisibilité potentielle quant à sa posture.
-Donald Trump fut l’artisan des accords d’Abraham que son successeur a tenté en vain d’élargir. Maintenant qu’il est de retour à la Maison Blanche, peut-il y parvenir ?
N’oublions pas qu’il avait pour objectif dès le début de sceller un accord de normalisation avec l’Arabie Saoudite. Il veut y arriver pour montrer que c’est lui qui règle les problèmes contrairement aux Administrations démocrates. Mais, il y a loin de la coupe aux lèvres. L’Arabie saoudite ne peut pas faire fi de ce qu’il se passe à Gaza. Mohammed ben Salman suit MBS ne peut pas fermer les yeux sur la problématique nationale palestinienne car il y a l’héritage du « plan Abdallah » de mars 2002 prévoyant une normalisation en échange de la création d’un Etat palestinien et que l’Arabie Saoudite en tant que royaume des deux Lieux saints pour la Oummah ne peut être indifférente à la question de Jérusalem-Est. Aujourd’hui, si les accords d’Abraham font quasiment l’unanimité au sein de la classe politique américaine, la guerre à Gaza et au Liban demeure une source de tensions pour les pays signataires qui espèrent que les hostilités s’arrêtent le plus rapidement possible. Or, pour l’instant, rien ne dit que Trump sera amené à faire pression en ce sens sur Benjamin Netanyahu dans la mesure où la guerre en cours a désormais sa propre logique.
-En ce qui concerne le Maroc qui est parmi les pays signataires des accords d’Abraham et dont Trump a reconnu la souveraineté sur le Sahara. Pensez-vous que son retour puisse mener vers la fin du conflit ?
De toute façon, Donald Trump avait, dans le cadre de la dynamique des accords d’Abraham, déjà reconnu la « Marocanité » du Sahara pendant son premier mandat. Et plusieurs pays ont depuis emboîté le pas ensuite aux Etats-Unis, dont la France en 2024 avec la lettre du président Emmanuel Macron en date du 27 juillet 2024 dans laquelle il est considéré que « le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine ». Sur le fond, la décision américaine a acté une demande récurrente du Maroc et n’a d’ailleurs pas été remise en cause par Joe Biden. A ce jour, il y a deux membres permanents du Conseil de Sécurité qui reconnaissent officiellement la souveraineté marocaine sur le Sahara espagnol. Par conséquent, l’enjeu ne se situe plus réellement sur un plan géopolitique, même si demeure posée la question d’une formalisation « juridico-politique » adéquate dans le cadre de la problématique de l’autonomie validée dans le cadre de cette souveraineté marocaine et en conformité avec les principes de la Charte des Nations Unies.