Interview avec Dr Allan Pampa : «Le Maroc doit renforcer la vaccination contre l’hépatite à la naissance»

Le Dr Allan Pampa, Consultant en santé publique et Vice-président exécutif de Roche Diagnostics Afrique, alerte sur les dangers des hépatites B et C. À l’occasion de la Journée mondiale contre cette maladie, célébrée le 28 juillet, il insiste sur l’urgence d’une stratégie nationale de dépistage au Maroc.

À l’occasion de cette Journée mondiale contre l’hépatite, pouvez-vous, d’abord, nous donner une idée sur la dangerosité de cette maladie et ses symptômes, souvent tardifs ?

Hépatites B et C sont des maladies souvent silencieuses, pouvant évoluer pendant des années sans symptômes visibles. Lorsqu’ils apparaissent, souvent à un stade avancé, les signes sont graves : jaunisse, fatigue intense, douleurs abdominales, complications telles que : cirrhose ou cancer du foie. Cette progression silencieuse fait de l’hépatite un fléau majeur en Afrique, y compris au Maroc, où la sensibilisation reste insuffisante. Il est urgent de mieux faire connaître ces maladies pour sauver des vies.
 

Quels sont les bénéfices d’un dépistage précoce ?

Le dépistage précoce sauve des vies. Pour les patients, il permet une prise en charge rapide avant que les dommages au foie ne deviennent irréversibles. Pour les systèmes de santé, cela réduit les coûts liés aux soins lourds et aux greffes. Sur le continent africain, des campagnes, comme celle menée en Égypte, ont prouvé que le dépistage massif, associé à un traitement accessible, peut inverser la tendance et offrir un avenir plus sain à des millions de personnes. Le Maroc a une opportunité historique d’intégrer ces bonnes pratiques dans son système, en tirant parti de l’expérience africaine.

  Quelles sont les conséquences d’un dépistage tardif ?

Sur le plan médical, un diagnostic tardif signifie souvent des complications graves et un pronostic plus sombre. Socialement, la stigmatisation liée à l’hépatite, très présente dans plusieurs pays africains, notamment dans certaines communautés au Maroc, empêche de nombreuses personnes de se faire dépister. Cette peur du rejet freine la lutte contre la maladie. Briser ce silence, promouvoir la tolérance et l’information sont des étapes clés pour inverser la dynamique.
 

Quelles sont les catégories jugées à risque ?

L’hépatite ne touche pas uniquement des groupes à risques spécifiques. La transmission mère-enfant, les pratiques médicales non sécurisées, le partage de rasoirs sont autant de vecteurs qui concernent tout un chacun. Ainsi, la population marocaine, à l’image du reste de l’Afrique, doit intégrer que tout le monde est potentiellement exposé, et que le dépistage universel, notamment chez les femmes enceintes et les jeunes, est indispensable.
 

Quels sont les facteurs qui peuvent contribuer à déclencher une épidémie ?

La faible sensibilisation, la persistance des idées reçues, l’insuffisance des campagnes de dépistage et le manque de coordination dans le système de santé favorisent la propagation du virus. Pourtant, de nombreux pays africains disposent déjà d’équipements moléculaires utilisés pour le VIH, la tuberculose ou la Covid-19, qui peuvent être mobilisés pour l’hépatite. Au Maroc, comme ailleurs en Afrique, le potentiel est là : il faut simplement une volonté politique et des partenariats publics-privés solides pour maximiser ces ressources.
 

Quel est le risque que la maladie devienne chronique ?

Absolument. Les hépatites B et C peuvent devenir chroniques lorsqu’elles ne sont pas détectées ni traitées à temps. Cette chronicité provoque une inflammation permanente du foie, entraînant cirrhose et cancer. La chronicité est particulièrement fréquente lorsque la transmission se fait dès la naissance ou dans l’enfance. Le Maroc, à l’instar des autres pays africains, doit renforcer la vaccination à la naissance et le dépistage précoce pour casser cette chaîne de transmission.
 

Depuis la Covid-19, les gens sont très méfiants vis-à-vis des campagnes de vaccination et de dépistage. Comment peuton assurer le succès d’une campagne nationale à grande échelle aujourd’hui ?

Pour regagner la confiance du public, il faut miser sur la transparence, l’éducation et l’engagement communautaire. L’expérience africaine, notamment la campagne « 100 Million Healthy Lives » en Égypte, montre que l’adhésion sociale et politique est cruciale : un leadership fort, un accès facilité aux tests et traitements, et des partenariats entre gouvernements, secteur privé et société civile. Au Maroc, cette approche intégrée, combinée à une communication adaptée aux spécificités culturelles locales et à la mobilisation des acteurs de santé de proximité, pourra garantir le succès d’une campagne nationale d’envergure.
 
Recueillis par
Anass MACHLOUKH

Hépatites B et C : Le danger silencieux et l’urgence du dépistage
Le Maroc, comme de nombreux pays, a célébré, le 28 juillet dernier, la Journée mondiale contre l’hépatite afin de sensibiliser la population à l’importance du dépistage et de la prévention.

Cette journée rappelle que chacun mérite de connaître son statut hépatique et de se faire dépister, car l’hépatite est la deuxième cause infectieuse de mortalité dans le monde après la tuberculose.

Le Royaume a déjà connu deux épidémies simultanées d’hépatite, il y a seulement sept ans, soulignant la nécessité de rester vigilant. L’hépatite peut être traitée lorsqu’elle est détectée à temps, et certaines souches, notamment l’hépatite B, peuvent être évitées grâce à la vaccination.

L’hépatite est une inflammation du foie pouvant être causée par des virus ou d’autres facteurs non infectieux. Il existe cinq virus principaux : A, B, C, D et E. Les virus B et C sont particulièrement préoccupants car ils peuvent entraîner des infections chroniques touchant des centaines de millions de personnes dans le monde. Ces infections sont responsables de la majorité des cas de cirrhose, de cancer du foie et de décès liés à l’hépatite, et 354 millions de personnes vivent actuellement avec l’hépatite B ou C sans avoir accès au dépistage ni au traitement.

Au Maroc, les hépatites B et C sont qualifiées de « tueurs silencieux » car elles peuvent évoluer sans symptômes pendant plusieurs années, parfois des décennies.

Le CDC recommande un dépistage au moins une fois dans la vie pour ces virus, mais au Maroc, le dépistage reste volontaire et souvent négligé. Une étude menée par Roche a montré que 60 % de Marocains interrogés sont peu enclins à se faire dépister. 

L’absence de dépistage et de traitement précoces entraîne des complications graves nécessitant des soins lourds, des hospitalisations prolongées, voire des greffes de foie, inaccessibles à la majorité des familles marocaines en raison de leur coût.

Un test de dépistage coûte entre 100 et 150 MAD, alors que le traitement des stades avancés peut coûter des dizaines de milliers de dirhams par patient et par an, mettant en péril la soutenabilité du système de santé.

Les principaux freins au dépistage incluent un manque de sensibilisation du grand public, la fausse croyance que seule une population « à risque » est concernée, la méconnaissance des modes de transmission (matériel médical non stérilisé, rasoirs partagés, transmission mère-enfant) et la stigmatisation entourant la maladie, particulièrement l’hépatite C. 

La stigmatisation peut conduire des personnes suspectant une infection à éviter de se faire dépister par peur du jugement ou de la discrimination au sein de leur famille ou de leur communauté.

Le pays dispose déjà d’un Plan Stratégique National contre l’hépatite, mais l’intégration du dépistage dans tous les niveaux de soins et l’accès équitable aux outils diagnostiques restent des défis majeurs, en particulier dans les zones rurales.

L’utilisation de l’infrastructure existante (comme les équipements utilisés pour le suivi de la charge virale du VIH) pourrait permettre un dépistage multi-maladies (hépatites B et C, VIH, tuberculose, HPV), réduisant ainsi les coûts et améliorant l’accès dans les zones reculées.

L’exemple de l’Égypte démontre que la mobilisation d’un partenariat public-privé et un programme de dépistage massif peuvent conduire à des résultats spectaculaires, allant jusqu’à l’éradication de l’hépatite C (reconnaissance OMS « Gold Tier »). L’appel à l’action au Maroc est clair : se faire dépister est un geste simple, confidentiel et vital. Connaître son statut protège non seulement sa santé, mais aussi sa famille, sa communauté et contribue au développement national.

 

A. M.

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