Interview avec Dr Asmaa Zriouel : « Les compléments alimentaires ne remplacent jamais une nutrition saine pendant le Ramadan »

Le mois de Ramadan voit les réseaux sociaux saturés de préceptes nutritionnels et de publicités alléchantes pour des produits prétendant transformer le quotidien des jeûneurs. La Dr Asmaa Zriouel, diététicienne clinicienne, décortique ces tendances et prodigue des conseils avisés.

Pendant le Ramadan, le corps subit des ajustements suite à la restriction alimentaire. Quels changements cela provoque-t-il sur notre organisme, selon vous ?

Le jeûne durant le Ramadan entraîne des ajustements fascinants dans le corps, qui sont des mécanismes d’adaptation ingénieux. Plutôt que de provoquer des effets négatifs, cette période de privation permet au corps de s’ajuster et de fonctionner de manière optimale. Le métabolisme ralentit, les niveaux d’énergie sont régulés, et le corps devient plus efficient dans l’utilisation des ressources. L’organisme se tourne alors vers ses réserves pour maintenir un fonctionnement optimal, assurant ainsi la vitalité de tous ses organes. En ce qui concerne la restriction hydrique, le corps fait preuve d’une grande sagesse en préservant l’humidité : il limite l’excrétion, que ce soit à travers l’urine ou la sueur, pour assurer son équilibre et garantir un fonctionnement harmonieux, même dans des conditions de privation.
 

Le sport peut-il être pratiqué pendant le Ramadan sans nuire à la santé ou à la gestion du poids ?

La pratique du sport pendant le Ramadan n’est généralement pas risquée pour les personnes déjà habituées à l’exercice physique. Toutefois, pour celles qui ne pratiquent pas régulièrement, il est déconseillé de commencer une activité sportive durant ce mois. Il serait préférable de débuter après le Ramadan. Pour les sportifs réguliers, il est possible de maintenir l’activité, mais il est important d’éviter les heures de jeûne. L’idéal est de s’entraîner après la rupture du jeûne, en attendant au moins deux heures, ou avant l’aube, ce qui peut être bénéfique pour la santé.

Enfin, pour ceux qui ne peuvent pas faire de sport après le coucher du soleil, une activité physique légère à modérée, d’environ 30 minutes, juste avant la rupture du jeûne, est une excellente option. Après l’exercice, il est essentiel de rompre le jeûne dans les 30 minutes qui suivent pour permettre au corps de récupérer sans trop de fatigue, d’autant plus qu’en fin de journée, le corps est déjà sollicité par les effets du jeûne.
 

Quelles sont les situations qui justifient une exemption du jeûne ?
 

Pour les patients exemptés du jeûne, c’est généralement le médecin traitant qui est le mieux placé pour donner un avis précis, car il connaît parfaitement la situation de chaque malade. Ce dernier est donc le plus apte à prendre des décisions éclairées. Cependant, il existe certains cas où le jeûne est déconseillé, comme pour les femmes allaitantes, notamment celles qui nourrissent exclusivement leur bébé et qui remarquent une baisse du flux lacté au cours de la journée.

D’autres exemples incluent certains types de diabète mal équilibrés, ainsi que des conditions médicales où la restriction alimentaire pourrait poser problème. Il est donc essentiel que chaque patient consulte son médecin traitant, et non n’importe quel professionnel, pour obtenir un avis personnalisé. Cette consultation doit idéalement avoir lieu bien avant le début du Ramadan, afin de prendre une décision éclairée.
 

Les compléments alimentaires consommés après le jeûne suscitent souvent des débats. Sont-ils tous vraiment nuisibles pour la santé ?

En ce qui concerne les compléments alimentaires, tout dépend du type de complément dont il s’agit. La vraie question est de savoir s’il existe un besoin réel de ces compléments ou s’ils sont simplement pris à titre préventif. Par exemple, certains compléments comme le fer ou la vitamine D sont essentiels si on suit un traitement pour des carences, comme celles liées au fer ou à la vitamine D.

Si vous avez déjà commencé à prendre ces compléments pour compenser ces carences, il est tout à fait possible de continuer. Cependant, cela ne concerne que les cas où le besoin est véritablement avéré, pas simplement à titre préventif. Il est important de rappeler que les compléments alimentaires ne doivent jamais remplacer une alimentation équilibrée, qui seule peut couvrir l’ensemble de nos besoins nutritionnels.
 

Avec la récente baisse des prix de la viande rouge, est-il plus sage de l’inclure souvent dans notre alimentation ou de se tourner davantage vers le poisson ?

La consommation de viande rouge, de poisson, ainsi que d’autres sources de protéines comme le poulet ou les œufs, doit suivre certaines recommandations. Par exemple, il est conseillé de manger de la viande rouge une à deux fois par semaine, selon l’âge et la condition physiologique de la personne, comme pour les femmes souffrant d’anémie. En ce qui concerne les poissons et le poulet, ils doivent être consommés aussi deux à trois fois par semaine. Donc, il est important de répartir équitablement les sources de protéines tout au long de la semaine, de manière raisonnable.

Ces recommandations ne dépendent pas directement de la disponibilité des aliments, mais en tant que nutritionnistes, nous cherchons des alternatives lorsque certaines protéines sont inaccessibles. Plus il y a de choix alimentaire, plus cela est bénéfique pour la santé et aide à éviter la monotonie alimentaire. Varier les sources permet d’obtenir un plus large éventail de nutriments essentiels.
 

De plus en plus d’influenceurs se permettent de donner des conseils nutritionnels pendant le Ramadan, souvent sans expertise. Quels sont, selon vous, les risques liés à ces régimes ?

Les influenceurs qui donnent des conseils nutritionnels pendant le Ramadan doivent toujours préciser que ce sont des expériences personnelles et qu’elles ne conviennent pas à tout le monde. Les followers doivent aussi comprendre qu’un influenceur n’est pas un médecin ni un nutritionniste, et que ses conseils sont simplement des avis personnels.

Les risques de suivre ces conseils sont nombreux. Par exemple, des personnes peuvent arrêter leur traitement à l’insuline simplement parce qu’un influenceur a dit qu’il l’avait fait avec succès, ce qui peut avoir des conséquences graves. D’autres peuvent renoncer à des traitements conventionnels, comme pour le cancer, en pensant qu’un changement de régime ou de mode de vie suffit pour guérir.

Certains régimes de Ramadan proposés par des influenceurs, comme le keto ou le jeûne intermittent, peuvent entraîner des carences, des calculs rénaux, des troubles digestifs et des pertes de poids rapides, causant des pathologies. Les vrais nutritionnistes doivent corriger ces fausses informations et éviter de suivre les tendances pour la popularité. Il est essentiel de se méfier des charlatans non qualifiés qui relaient des conseils non vérifiés.

 

Face à la désinformation nutritionnelle sur les réseaux sociaux, quelles stratégies pourraient être mises en place pour informer et sensibiliser le public ?

Face à la désinformation nutritionnelle, il est crucial d’intervenir à plusieurs niveaux. Premièrement, il est nécessaire de protéger et de clarifier le cadre des diététiciens et nutritionnistes, car ce cadre est encore flou et mal défini au Maroc. Deuxièmement, il est essentiel de sensibiliser la population à l’importance de vérifier les informations qu’elle reçoit, notamment sur les réseaux sociaux et autres plateformes.
 
Il faut s’assurer que les conseils proviennent de professionnels qualifiés, et non de simples opportunistes cherchant à vendre des compléments alimentaires. Il est aussi important d’expliquer que les compléments alimentaires ne sont pas des médicaments et ne guérissent pas les maladies, contrairement à ce qui est souvent suggéré. Enfin, les vrais diététiciens et nutritionnistes doivent prendre l’initiative de corriger les fausses informations qui circulent sur les réseaux sociaux et ne pas succomber à la pression de suivre les tendances pour augmenter leur visibilité. Sinon, nous nous éloignons de notre rôle professionnel.
 

Entre les divergences de conseils des nutritionnistes, comment savoir qui a raison quand il s’agit d’alimentation ?​

Il est essentiel de s’assurer que l’on consulte un véritable nutritionniste, avec une formation et un parcours professionnel reconnus dans le domaine de la nutrition. Ce qui différencie les approches, ce sont souvent les références utilisées : certains se basent sur des recommandations européennes, d’autres sur des recommandations américaines. Toutefois, cela n’affecte pas la véracité de l’information. En revanche, il est important de rester vigilant face aux charlatans qui se prétendent nutritionnistes alors qu’ils n’ont souvent aucun réel bagage en nutrition, ou qui ont des connaissances superficielles et se contentent de diffuser des informations virales trouvées sur Internet.
 

Les tarifs des nutritionnistes sont parfois bien plus élevés que ceux proposés sur les réseaux sociaux. Comment rendre la nutrition professionnelle accessible à tous ?

Effectivement, les tarifs des nutritionnistes sont parfois élevés, ce qui fait que la prise en charge diététique reste une prestation de luxe, bien qu’essentielle pour de nombreuses pathologies. Malheureusement, de nombreuses assurances ne couvrent pas cette prestation, et même lorsqu’elles le font, cela reste insuffisant. La prise en charge par un professionnel demande beaucoup de temps et d’efforts, surtout pour actualiser un régime en fonction de certaines pathologies. Bien que les tarifs posent problème, il est parfois nécessaire de bénéficier de ce suivi.
 

Quels autres conseils pouvez-vous donner pour bien vivre le Ramadan ?

Mon conseil principal est d’opter pour une alimentation équilibrée qui couvre les besoins nutritionnels de l’organisme et d’éviter les régimes déséquilibrés, même s’ils promettent une perte de poids ou un bien-être. Il est crucial de tirer la sonnette d’alarme face aux régimes déséquilibrés. Les médecins, qu’ils soient généralistes ou spécialistes, doivent orienter leurs patients vers des diététiciens et collaborer avec eux, en particulier pour les pathologies comme le diabète, l’obésité ou le syndrome métabolique.

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