Dans l’ombre des tribunaux, des professions souvent méconnues mais indispensables, comme celles des interprètes judiciaires. En facilitant la communication entre les parties et les magistrats, elles garantissent un droit fondamental, celui d’une défense équitable. Mme Aouatif Mamoune Raissouli, première et seule femme à avoir exercé cette mission au sein des juridictions de Tanger, revient sur une carrière de plus de 30 ans.
Oui, certainement, je suis la première. La raison ? D’abord, nous étions une poignée de traducteurs assermentés à Tanger, environ 4, tous des hommes, autodidactes, qui avaient appris sur le tas, mais certains très compétents. Quant à moi, je faisais partie de la première fournée de traducteurs assermentés, fraîchement diplômée de l’École Supérieure Roi Fahd. Nous étions une quinzaine de lauréats en tout, et seuls quelques-uns s’étaient installés à Tanger, dont une autre dame qui appréhendait de traduire au Tribunal. Les autres diplômés devaient arriver dans les années à venir. Aujourd’hui, nous sommes 39 traducteurs à Tanger, dont 19 femmes, presque la parité … Je suis la première, certes, et j’ai continué à être pratiquement la seule à me rendre au Tribunal, un engagement qui se poursuit depuis 33 ans.
Pour ce qui est des obstacles, je ne dirai pas que je n’ai jamais vu de réticences concernant mon statut de femme au sein de ce milieu majoritairement masculin, mais honnêtement, et dès le départ et dans l’ensemble, j’ai été bien acceptée et j’ai bénéficié d’une grande bienveillance, que ce soit des magistrats, des juges, des fonctionnaires des Tribunaux, du corps des avocats, des experts et autres.
Votre vocation témoigne d’un engagement fort pour l’accès à une justice équitable. Comment percevez-vous le rôle des femmes dans la promotion et la défense des droits fondamentaux, tant dans le domaine juridique que dans la société ?
Je ne vois aucune différence entre la gent masculine et féminine en matière de droits fondamentaux. L’essentiel est la formation, l’engagement, le respect et l’honnêteté. Et il y a autant d’hommes que de femmes qui possèdent ces atouts. Il s’agit avant tout d’une affaire de convictions et de valeurs.
En conciliant votre parcours professionnel, votre rôle d’enseignante universitaire et vos responsabilités familiales, comment avez-vous réussi à équilibrer ces différentes prérogatives ? Et quelles leçons en tirez-vous pour encourager les jeunes femmes à repousser leurs limites ?
Vous prenez sur vous-même, c’est tout. Vous sacrifiez vos heures de détente, vous passez des nuits blanches parfois…
Je recommande, au regard de mon expérience, aux jeunes femmes de repousser constamment leurs limites. Nous, les femmes, avons autant de cordes à notre arc que les hommes ; il faut juste savoir les utiliser à bon escient.
Pouvez-vous nous raconter une des expériences marquantes de votre parcours qui vous a rendue plus forte et vous a profondément inspirée dans votre métier ?
En cette Journée internationale des droits des femmes, quel message aimeriez-vous transmettre à celles qui souhaitent s’épanouir professionnellement, en particulier dans des domaines encore majoritairement masculins ?
Sortir de la médiocrité par l’effort et les sacrifices. Notre époque est celle de l’excellence. Le travail moyen, le « à peu près », n’a plus sa place dans nos sociétés.
En cette journée du 8 mars, et sans être féministe à l’excès, je dis à toute femme que les portes sont toutes entrebâillées, y compris celle menant au secteur de l’industrie, de l’automobile, du pétrole, des forages, de l’immobilier et bien d’autres. Il suffit juste de les pousser, animée par des valeurs et du sérieux. En se dépassant, les jeunes filles ainsi que les jeunes femmes seront surprises par le pouvoir qu’elles peuvent avoir en elles.
Mais tout cela doit se faire avec intégrité, honnêteté, respect de soi et des autres et, toujours, dans la crainte de Dieu, le Tout-Puissant.
Active depuis plus de 30 ans dans le domaine de la traduction et de l’interprétariat, elle dirige son propre cabinet depuis 1992. Son expertise l’a conduite à intervenir en tant qu’interprète contractée à l’échelle nationale et internationale, tout en organisant de nombreuses conférences et séminaires.
En parallèle de son activité professionnelle, Maître Raissouli transmet son savoir en tant que professeure vacataire à l’Université Abdelmalek Essaadi (École Supérieure Roi Fahd de Traduction à Tanger) depuis 1990, contribuant ainsi à la formation des futures générations de traducteurs et d’interprètes.
Engagée dans la société civile, elle occupe des postes de responsabilité au sein d’associations influentes, notamment en tant que Secrétaire Générale de l’Association Marocaine de la Planification Familiale et Vice-Présidente de l’Association des Experts Assermentés du Nord. Son parcours illustre un engagement constant en faveur du savoir, de la justice et du développement de son domaine d’expertise.