Interview avec Naoufal Souitat : « L’autonomie spatiale du Maroc passe par la coopération »

Naoufal Souitat est Safety & Mission Assurance Manager sur des missions critiques de la NASA (IMAP, SWFO-L1) et co-fondateur de l’Initiative Marocaine pour l’Industrie Spatiale (MISI), Al Qamar Space et Qube Testing. Il nous partage sa vision pour l’essor spatial du Maroc et de l’Afrique.

– Le Maroc dispose d’une culture industrielle solide dans l’aéronautique. Comment ce socle de fiabilité peut-il servir de tremplin pour développer un secteur « New Space »structurant et compétitif, et quels sont les trois piliers prioritaires pour y parvenir ?

– Le Maroc possède un atout majeur pour se lancer dans le « New Space », celui de la culture industrielle de l’aéronautique. Fort de plus de 140 entreprises produisant déjà des composants d’avions aux standards internationaux, le Royaume dispose de la rigueur, des processus qualité et de la culture de la fiabilité exigés par le spatial. Pour transformer ce potentiel en un secteur structuré et compétitif, il faut mettre l’accent sur trois piliers prioritaires. Premièrement, il est impératif de capitaliser sur cette base industrielle en créant des infrastructures partagées. L’étape clé est d’établir des centres nationaux de tests et de qualification accessibles aux universités, aux startups et aux industriels. Cette mutualisation permettrait non seulement de réduire les coûts, mais surtout de garantir une qualité et une conformité aux standards exigés par les programmes spatiaux mondiaux. Deuxièmement, l’essor passe par le développement de talents via une formation fortement connectée au terrain. Si les universités forment d’excellents ingénieurs, il faut aller plus loin en multipliant les programmes pratiques comme le montage et les tests de satellites, les stages en usine, et surtout le mentorat structuré par la diaspora marocaine. C’est cette immersion qui permet de transformer le savoir académique en une expertise industrielle concrète. Enfin, le troisième pilier est la construction d’un marché durable, ouvert et tourné vers l’export. L’État doit jouer son rôle de premier client en passant des commandes locales de petits satellites ou de services d’observation. Cependant, la véritable croissance viendra de l’extérieur : le Maroc doit se positionner comme une industrie-pont, concevant des composants et des services conformes aux standards internationaux et ciblant activement les marchés africains, moyen-orientaux et européens.

– Le coût des laboratoires et des tests à l’étranger est un obstacle majeur pour l’autonomie spatiale des pays de notre continent. Selon votre expertise, comment le Maroc et l’Afrique peuvent-ils s’affranchir de cette dépendance coûteuse pour bâtir une chaîne de fabrication spatiale fiable ?

– Même aux États-Unis, aucune institution ne mène seule une mission spatiale. L’exploration spatiale repose sur la coopération. Pour le Maroc et l’Afrique, l’autonomie ne se construira donc pas dans l’isolement, mais dans la collaboration et la mutualisation des ressources. Au niveau national, il est essentiel de réunir autour d’une stratégie cohérente les acteurs solides comme le CRTS, le CURTS, l’UM6P et l’UIR. Ils doivent s’enrichir mutuellement plutôt que de se concurrencer. À l’échelle continentale, les pays africains doivent s’inspirer du modèle européen (ESA) et jouer un rôle actif dans l’Agence Spatiale Africaine pour mutualiser les expertises régionales et les infrastructures. Mais le levier le plus puissant reste l’innovation locale. L’indépendance passe par la créativité technologique. C’est la vision derrière Qube Testing. Avoir des ingénieurs marocains qui conçoivent des équipements de test spatiaux qui respectent les normes internationales, mais à coûts réduits. C’est ce type d’innovation intelligente qui peut démocratiser l’accès à l’espace pour tout le continent.

– Comment la diaspora marocaine, forte de ses postes clés dans l’industrie spatiale mondiale, peut-elle passer du simple mentorat à la construction effective et durable de l’écosystème national, comme vous l’avez fait avec vos entreprises ?

– La diaspora ne joue plus seulement un rôle de mentor, elle est désormais créatrice, entrepreneure et partenaire durable. De nombreux Marocains à l’étranger ramènent leur expertise sous forme de projets concrets et d’entreprises technologiques. MISI (Moroccan Initiative for Space Industry) incarne cet esprit. Créée par des membres de la diaspora, elle agit comme un pont. Elle a transformé les compétences et les réseaux acquis à l’étranger en actions locales comme le camp spatial AMAZE ou la conférence AMESC, en partenariat avec l’UM6P et d’autres institutions. Surtout, la contribution s’exprime par la création d’industries. Des sociétés comme Qube Testing et Al Qamar Space (la première entreprise du secteur amont spatial au Maroc, développant des systèmes de propulsion électrique) ont été fondées par nous-mêmes, des ingénieurs de la diaspora. Ces projets concrétisent le transfert de savoir-faire, créent des emplois et augmentent les compétences industrielles sur place. Le savoir devient compétence, et la compétence devient industrie.

– Avec votre rôle de Safety & Mission Assurance Manager à la NASA, vous êtes au sommet de l’exigence spatiale mondiale. Quel est, selon vous, le défi le plus critique que les jeunes entreprises marocaines du « New Space » devront surmonter pour s’imposer sur la scène internationale ?

– Le défi le plus critique n’est pas technique, il est celui de la crédibilité et de la confiance. Sur la scène spatiale internationale, on ne vend pas seulement un produit ; on vend la garantie que ce produit ne mettra pas en péril une mission à plusieurs centaines de millions de dollars. Les jeunes entreprises marocaines doivent donc prouver leur capacité à respecter les standards de qualité et de traçabilité les plus élevés, sans aucune concession. Cela passe par l’intégration des normes rigoureuses de l’aéronautique dans le spatial dès le premier jour ; la transparence totale des processus de fabrication et de test ; et par l’obtention de certifications internationales crédibles.

Portrait
Naoufal Souitat, l’ingénieur qui sécurise les satellites interstellaires

Actuellement responsable de la sécurité et de l’assurance mission (Safety & Mission Assurance Manager) pour des projets majeurs de la NASA comme IMAP et SWFO-L1, Naoufal Souitat incarne une réussite qui a commencé sur les bancs de l’université marocaine avant de s’envoler.

Tout est parti d’une détermination sans faille. Après son lycée public à Salé et des études de Mathématiques et Physique à l’Université Mohammed V de Rabat, Naoufal Souitat a fait le grand saut : l’immigration aux États-Unis. Il y a décroché son diplôme en génie mécanique à l’Université du New Hampshire. Sa carrière a décollé dans la défense, où il a travaillé sur des programmes comme le radar de l’hélicoptère Apache. C’est là qu’un projet « révolutionnaire » sur la fabrication de composants de satellites en série a allumé sa passion pour l’espace.

Cette expérience l’a mené au Southwest Research Institute. Aujourd’hui, il est au cœur des missions scientifiques de la NASA, garantissant que les satellites puissent s’aventurer aux « frontières de notre compréhension du Soleil et de l’espace » en toute sécurité. Malgré ses responsabilités à la NASA, Naoufal Souitat n’a jamais oublié ses racines.

Il dirige plusieurs initiatives clés pour développer le secteur spatial au Maroc, un véritable triptyque d’entreprises et d’associations : MISI, Qube Testing et Al Qamar Space. Comment concilie-t-il les deux ? Grâce à des équipes marocaines talentueuses et à une gestion de temps ultra-rigoureuse. Le décalage horaire lui permet de commencer tôt ses réunions au Maroc avant sa journée américaine. Ses congés sont entièrement dédiés à ces projets, nous confie-t-il.

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