Interview avec Zineb Rechiche : Dans la peau de la première agente FIFA arabe de la région MENA

C’est au croisement de la passion et de la persévérance que Zineb Rechiche s’impose comme une figure emblématique, devenant la première femme arabe dans la région MENA à obtenir la licence d’agent FIFA. Rencontrée en marge du World Football Summit, organisé pour la première fois au Maroc, Mme Rechiche nous raconte comment elle met à profit les enseignements de son parcours pour accompagner les athlètes.

Vous avez marqué l’Histoire en devenant la première femme arabe, dans la région MENA, à obtenir la licence d’agent FIFA pour le football. Quel effet ça vous fait cette distinction ?

C’est une immense fierté pour moi d’être la première femme arabe à obtenir la licence d’agent FIFA de football, parmi de nombreux autres à travers le monde. La FIFA a, depuis plusieurs années, mis en place des initiatives majeures visant à structurer cette profession, donnant lieu à un changement profond dans le processus de sélection. Obtenir cette distinction représente, pour moi, une belle manière d’entamer ma reconversion pour l’accompagnement des athlètes avec un regard éclairé par mon expérience de terrain.
 

Vous avez toujours eu cette double casquette de financière et de joueuse. Comment est née cette volonté de faire une nouvelle carrière en sport, en particulier après l’achèvement de votre aventure de joueuse ?

J’ai eu la chance de jouer au football pendant 20 ans, évoluant dans plusieurs clubs à travers le monde: France, Canada, Espagne, USA, Suisse, EAU, notamment le Paris Saint-Germain, l’Atlético de Madrid, Atlanta Silverbacks, le FC Zurich, avant de terminer mon parcours à Abu Dhabi Country Club. Ce parcours n’était pas si différent de celui d’autres athlètes, mais ce qui le rend singulier, c’est mon engagement dans mes études, puis mon travail en tant que directrice financière.

Mais une chose est restée constante : je n’ai jamais accepté de sacrifier le sport que j’ai choisi à l’âge de 14 ans. Le football n’était pas seulement une passion, c’était une promesse que je m’étais faite très jeune, celle de toujours honorer ce rêve, peu importe les circonstances. Ainsi, après l’obtention de mon diplôme universitaire, je m’étais faite l’engagement de me consacrer, entièrement, à ma carrière professionnelle sportive, mais j’ai pu combiner avec mon parcours en entreprise durant mon temps libre.

En avançant dans ma carrière, en tant que footballeuse, je me suis rendue compte de ma volonté d’y rester active. Plusieurs de mes clubs et entraîneurs m’ont encouragée à passer ma licence de coach. J’y ai sérieusement réfléchi, et j’ai fini par réaliser que le métier d’agente me tient particulièrement à cœur.
 

Comment votre expérience de joueuse a-t-elle facilité votre passage au métier d’agent FIFA ?

En ayant une double vie dans le domaine des affaires et dans le sport, mon emploi du temps était minuté. Chaque période de la journée était dédiée à une activité précise et préétablie sans laisser la marge du hasard et aux circonstances. Certes, ce n’était pas aussi facile que l’on imagine, mais c’était une leçon de rigueur qui m’a permis d’approcher la performance et de gérer mon quotidien avec peu de difficultés.

Au fil du temps, à travers les questions de mes coéquipières sur l’investissement, les choix de carrière ou la gestion de leur vie professionnelle et personnelle, j’ai commencé à me dire : et si je me dédiais à l’accompagnement des sportifs dans leur parcours ? Plus j’approchais de la fin de ma carrière de joueuse, plus cette idée prenait sens. C’est devenu un choix naturel : capitaliser à la fois sur mon expérience sur le terrain et sur mon bagage en affaires pour soutenir les athlètes.
 

En quoi consiste votre démarche d’accompagnement des athlètes ?

Les athlètes créent de la valeur sur le terrain. Mais pour préserver cette valeur, au-delà de leur carrière sportive, et la faire croître, il est essentiel d’agir en dehors du terrain. Nous intervenons donc pour aider les athlètes à adopter une vision plus holistique de leur parcours, à mieux comprendre leurs intérêts, et à anticiper l’après-carrière sportive. L’enjeu est de les maintenir dans l’industrie du football, en les accompagnant vers d’autres rôles clés du même écosystème.
 

Existe-t-il un modèle d’agent qui vous a inspiré dans votre carrière ?

Oui, plusieurs profils m’ont inspirée, mais je me reconnais particulièrement dans les agents qui vont au-delà de la simple transaction : ceux qui construisent des trajectoires, anticipent les enjeux futurs, et qui restent des repères pour les athlètes, bien après la fin de leur carrière. Je pense notamment à des figures comme Mino Raiola pour sa capacité à créer des liens forts avec ses joueurs, ou encore Jonathan Barnett pour sa vision stratégique à l’échelle internationale. Mais je veux surtout contribuer à redéfinir ce métier à travers une approche plus intégrée et humaine, fidèle à l’ADN de ZYA.
  Pouvez-vous nous citer des athlètes que vous accompagnez à ce jour ?

Aujourd’hui, nous accompagnons un cercle restreint d’athlètes évoluant en Amérique Latine(Brésil, Argentine, Uruguay), en Europe, et au Moyen Orient, en cohérence avec notre approche qualitative. L’objectif est de bâtir avec chacun d’eux une relation de confiance sur le long terme, en couvrant l’ensemble des aspects de leur carrière – sportif, contractuel, médiatique, et extra-sportif. Nous privilégions la proximité et l’accompagnement sur mesure, plutôt que le volume.

Comment expliquez-vous le nombre limité des agents accrédités par la FIFA, chaque année ?

D’abord, le nouveau cadre réglementaire de la FIFA impose des standards plus exigeants, tant sur le plan juridique que déontologique. Ensuite, exercer ce métier de façon responsable demande un réel engagement, une solide expertise multidisciplinaire, et une éthique irréprochable. Enfin, la professionnalisation croissante du football impose une montée en compétence continue. C’est une évolution positive car elle permet d’élever le niveau général de la profession, et de mieux protéger les intérêts des joueurs.
 

Quel regard portez-vous sur l’évolution du football féminin marocain ?
 

Je suis très fière des avancées réalisées par le football féminin au Maroc. L’équipe féminine du football est sur une lancée prodigieuse portée par la vision de Sa Majesté Mohamed VI , que Dieu l’assiste, d’élever notre nation dans divers domaines allant de l’infrastructure, l’éducation, au sport et à la diplomatie internationale. Cette vision combinée aux  efforts d’investissement déployés par la fédération royale marocaine du football et son président Mr Lekjaa a placé le football feminin sur le devant de la scène internationale. Contrairement à mes débuts, où il n’existait ni ligue structurée ni véritable encadrement à l’exception de l’équipe amateur de Touarga, à Rabat, les jeunes filles d’aujourd’hui ont désormais la possibilité de vivre pleinement leur passion dans leur propre pays, grâce à la multiplication des clubs sportifs ou encore l’intégration de l’équipe nationale à diverses catégories d’âge.
 

En 2024, l’instance du football mondial a décidé d’instaurer un congé pour les joueuses lors d’une maternité. Quelle est l’importance de cette mesure pour les joueuses ?
 

C’est un véritable tournant qui vient transformer une réalité amère à laquelle de nombreuses footballeuses ont, longtemps, été confrontées : celle de devoir choisir entre leur carrière et leur désir d’avoir un enfant. Autrefois, lorsqu’une joueuse envisageait d’avoir un enfant, elle était souvent contrainte d’arrêter définitivement sa carrière, faute de congé maternité et d’assurance comparativement à d’autres secteurs.

L’introduction du congé maternité dans les statuts de la FIFA constitue donc une avancée majeure vers la professionnalisation du football féminin. Cela permet de passer d’une gestion associative des clubs à une gestion structurée et responsable, proche de celle d’une entreprise, avec des droits équitables garantis aux femmes. Ce droit, désormais encadré, donne également la possibilité à la joueuse de continuer à contribuer à la vie du club pendant cette période, autrement que par sa présence sur le terrain.
 

Existent-elles d’autres contraintes auxquelles font encore face les joueuses ?

Malgré les avancées, un écart salarial significatif persiste entre les genres. Cependant, ce gap est en train d’être réduit progressivement.  En témoigne les montants des transferts dans le football féminin qui dépassent le million de dollars, alors qu’ils ne dépassaient auparavant que les 250.000 ou, au mieux, 550.000 dollars pour les plus grands transferts.

De plus, il existe un intérêt croissant des investisseurs pour les clubs féminins. Cependant, les grandes marques peinent encore à valoriser et à exploiter le potentiel du sport féminin, en général, en tant que levier de croissance, en s’adressant au genre qui représente le plus grand consommateur de la société : la femme. Il existe, à mon sens, une opportunité énorme à saisir pour offrir aux athlètes la reconnaissance qu’elles méritent et renforcer les modèles économiques des clubs.

Recueillis par
Mina ELKHODARI

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