Entretien avec Pr Nadia KABBALI, néphrologue au CHU de Fès
Alors que l’insuffisance rénale chronique progresse dans le monde, y compris au Maroc, les modalités de traitement restent souvent méconnues du grand public.
L’hémodialyse, réalisée en centre, monopolise encore largement les esprits. Pourtant, une autre approche existe : la dialyse péritonéale.
Discrète, autonome, et potentiellement plus douce, elle s’impose de plus en plus comme une alternative crédible, notamment dans les pays à revenu intermédiaire comme le Maroc.
Pour mieux comprendre ses mécanismes, ses avantages, ses limites et les défis à relever, nous avons rencontré le Pr Nadia KABBAL, professeur de néphrologie au CHU de Fès, qui milite depuis des années pour une meilleure reconnaissance de cette méthode d’épuration rénale.
Comprendre le fonctionnement de la dialyse péritonéale
Qu’est-ce que la dialyse péritonéale, et en quoi diffère-t-elle de l’hémodialyse ? Pr Nadia KABBALI : C’est un traitement de l’insuffisance rénale terminale, tout comme l’hémodialyse, mais avec une approche différente. Elle utilise le péritoine, une membrane naturelle dans l’abdomen, comme filtre. Un cathéter est installé pour faire entrer un liquide qui capte les déchets et l’excès d’eau. Ce liquide est ensuite changé, plusieurs fois par jour. La particularité de la dialyse péritonéale (DP) est qu’elle peut être effectuée à domicile, par le patient lui-même ou un proche formé, contrairement à l’hémodialyse qui se déroule en centre avec des machines lourdes.
Quels sont ses principaux avantages médicaux ? La dialyse péritonéale offre une épuration plus progressive et continue, plus proche du fonctionnement naturel des reins.
Résultat : moins de fatigue, moins de chutes de tension, et meilleure stabilité biologique.
Elle préserve mieux la fonction rénale résiduelle, ce qui améliore la qualité de vie et la survie.
Elle est aussi mieux tolérée chez les personnes âgées ou fragiles, car elle évite les abords vasculaires et les longues séances.
Y a t il des risques avec la dialyse péritonéale ? Le risque principal est la péritonite, une infection de la cavité abdominale, surtout si les règles d’hygiène ne sont pas respectées.
Mais avec une bonne formation, ce risque peut être largement contrôlé.
Il peut aussi y avoir des hernies, des obstructions du cathéter ou une fatigue de la membrane à long terme.
Ces complications sont bien connues et surveillées.
Quels patients sont les plus adaptés à ce traitement ? Ceux qui sont motivés, autonomes ou accompagnés. La méthode est idéale pour les enfants, les personnes vivant loin des centres de dialyse, ou celles qui veulent préserver leur rythme de vie. Les antécédents chirurgicaux abdominaux ou l’obésité morbide peuvent rendre la technique plus complexe, mais pas impossible.
Le choix doit se faire au cas par cas.
L’impact sur la vie quotidienne
Comment la dialyse péritonéale impacte-t-elle la vie quotidienne ? Elle redonne de la liberté. Beaucoup de patients continuent à travailler, voyager, vivre normalement.
Cela demande de l’organisation — 3 à 4 échanges de liquide par jour ou une machine nocturne — mais cela offre une souplesse que l’hémodialyse en centre ne permet pas.
Quel est le rôle de l’entourage ? Il est central. Un aidant formé peut accompagner le patient au quotidien. Même si la personne est autonome, savoir qu’un proche peut prendre le relais est très rassurant, notamment au début.
L’acceptation varie-t-elle selon les régions ou les cultures ? Oui. Dans certaines cultures, faire un soin médical à la maison est mal perçu. Ailleurs, c’est vu comme une preuve d’indépendance. Tout dépend de la qualité de l’information donnée au patient. Quand elle est claire et bien expliquée, la plupart des patients adhèrent.
Quelles sont les principales craintes ? La peur d’avoir un cathéter dans l’abdomen, de faire une infection ou de ne pas savoir gérer seul. D’où l’importance du suivi, de l’accompagnement et de la formation. Le patient n’est jamais seul.
Un choix aussi économique que stratégique
Sur le plan économique, la dialyse péritonéale est-elle avantageuse ? Oui. Elle est moins coûteuse : pas besoin de transport médical quotidien, ni de machines hospitalières lourdes. Pour les systèmes de santé, elle représente une option plus soutenable à long terme. Et pour le patient, elle réduit les frais cachés comme le transport ou le temps perdu.
Comment est-elle remboursée au Maroc ? Elle est prise en charge à 100 % dans le cadre de l’assurance maladie obligatoire.
Mais dans la réalité, les consommables à domicile ne sont pas toujours inclus. Et certains protocoles personnalisés dépassent les forfaits. Résultat : des restes à charge qui freinent encore le développement de la DP.
Est-ce une solution pour les pays à revenu faible ou intermédiaire ? Clairement. Elle est idéale dans les zones rurales où l’hémodialyse est difficile d’accès.
Avec un minimum de logistique, elle peut sauver des vies dans des environnements peu dotés.
Et dans les pays riches ? Paradoxalement, elle y est parfois moins développée. Car les centres d’hémodialyse sont bien installés… et peuvent représenter des sources de revenus.
De plus, mettre en place une logistique de DP à domicile nécessite un vrai changement d’organisation.
Que faudrait-il changer au Maroc pour mieux promouvoir la D.P. ? *Pr Nadia KABBALI : Il faut former les professionnels, informer les patients, et structurer un réseau logistique fiable.
C’est un choix de santé publique intelligent.
Et il faut aussi soutenir les associations de patients, qui jouent un rôle essentiel pour sensibiliser.
Dr Anwar CHERKAOUI, médecin expert en communication médicale et journalisme de santé
Elle offre une qualité de vie souvent supérieure, un coût réduit pour les systèmes de santé, et une plus grande autonomie pour les patients.
Il est urgent de mieux la faire connaître, de la valoriser dans les politiques de santé, et de l’adapter à la réalité du terrain.
Car bien informés, les patients peuvent choisir, en toute liberté, la solution qui leur convient le mieux — et parfois même alterner entre dialyse péritonéale et hémodialyse pour un parcours sur-mesure.