La justice française a opposé un refus définitif mercredi aux demandes d’extradition vers l’Algérie d’un ancien ministre de l’ère Bouteflika, une décision qui pourrait encore alimenter la tension diplomatique actuelle entre les deux pays.
Depuis octobre 2023, l’Algérie avait déposé six demandes d’extradition visant Abdesselam Bouchouareb, 72 ans, ministre de l’Industrie et des Mines de 2014 à 2017 sous la présidence d’Abdelaziz Bouteflika. Installé dans les Alpes-Maritimes depuis 2019, le septuagénaire a été condamné à cinq peines d’emprisonnement de vingt ans chacune en Algérie, où il est visé dans un sixième dossier d’infractions économiques et financières.
Mais la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence a définitivement mis fin à cette procédure mercredi matin en opposant un avis défavorable à ces demandes, évoquant les « conséquences d’une gravité exceptionnelle » que pourrait avoir une extradition en raison de l’état de santé et de l’âge de l’intéressé.
Dans son arrêt, la chambre a précisé qu’une extradition porterait atteinte à l’article 3 de la convention européenne des droits de l’Homme – « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants » – et à l’article 5 de la convention d’extradition franco-algérienne du 27 janvier 2019, qui prévoit notamment que l’extradition peut être refusée si elle risque d’entraîner pour la personne extradée « des conséquences d’une gravité exceptionnelle, notamment en raison de son âge ou de son état de santé ».
« C’est un moment de très grand soulagement que je vis aujourd’hui, et il est intense, mais je n’ai jamais douté car j’ai toujours eu confiance en la justice française », a déclaré M. Bouchouareb à l’AFP, à l’issue de l’audience, en pleurs dans les bras de sa fille.
« Malgré ce soulagement, je ne peux pas ne pas penser à mes collègues injustement incarcérés pour avoir fait leur devoir, comme (l’ancien Premier ministre) Ahmed Ouyahia et les autres », a ajouté l’ex-ministre du président Bouteflika contraint à la démission par le mouvement populaire de contestation du Hirak en avril 2019.
« Une extradition aurait signé l’arrêt de mort de cet homme », a réagi son avocat, Me Benjamin Bohbot, pour qui « cette décision totalement logique met un terme à une procédure infondée, bâclée et instrumentalisée à des fins politiques par les autorités algériennes ». Me Bohbot avait toujours présenté son client comme une victime des « purges » de l’après-Bouteflika.
Comme M. Bouchouareb, sept autres anciens ministres de l’ère Bouteflika ont été condamnés depuis pour corruption ou malversations financières, ainsi que deux anciens Premier ministres, Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal.
« C’est une décision implacable en droit et uniquement en droit, que le contexte actuel n’a pas influencée », a ajouté l’avocat, évoquant les fortes tensions actuelles entre Paris et Alger, autour notamment du refus d’Alger d’accepter ses ressortissants expulsables. Tension encore illustrée mercredi matin par la déclaration du ministre français de l’Intérieur Bruno Retailleau selon qui la France « ne veut pas la guerre avec l’Algérie » mais que c’est l’Algérie qui l' »agresse ».
La chambre de l’instruction a suivi le réquisitoire du parquet, qui s’était opposé à cette demande d’extradition à l’audience du 5 mars dernier. « L’éloignement de M. Bouchouareb, gravement malade, ferait courir à celui-ci, si ce n’est un risque de vie, (un risque) de déclin rapide et irréversible de son état de santé », avait estimé l’avocat général, Raphaël Sanesi de Gentile.
Conseil de l’Algérie, Me Anne-Sophie Partaix avait estimé que les autorités judiciaires avaient, le 13 février, « donné les garanties nécessaires » à la justice française: « M. Bouchouareb a volé de l’argent aux Algériens, il a été condamné et doit répondre de ses actes », avait-elle insisté.