Dans un contexte marqué par l’aggravation des dérèglements climatiques, l’épuisement progressif des ressources naturelles et la montée des tensions géopolitiques liées à l’approvisionnement énergétique, la transition énergétique mondiale ne relève plus du choix, mais de la nécessité. Cette mutation profonde, animée par l’impératif de neutralité carbone et la sécurisation des systèmes énergétiques, redessine les fondements mêmes de l’organisation économique, sociale et stratégique des nations. Elle impose de repenser les politiques publiques, les modèles industriels et les modes de consommation à l’échelle planétaire.
Ce basculement vers un nouveau paradigme énergétique se heurte cependant à des obstacles persistants. Parmi eux, les coûts initiaux d’investissement demeurent élevés, notamment pour les infrastructures de stockage et d’interconnexion. À cela s’ajoutent l’inertie institutionnelle, les lenteurs réglementaires, ainsi qu’un déficit d’acceptabilité sociale, particulièrement marqué dans certaines régions européennes où les transformations du paysage énergétique suscitent encore des réticences.
Trois axes d’investissement majeurs concentreront l’essentiel de ces ressources :
❖ Le développement des réseaux électriques intelligents (smart grids), capables de gérer en temps réel l’équilibre entre offre et demande d’énergie ;
❖ Le renforcement des capacités de stockage énergétique, incluant les batteries de nouvelle génération, les stations de transfert d’énergie par pompage (STEP), ainsi que les solutions fondées sur l’hydrogène vert ;
❖ L’extension massive des capacités de production renouvelable, notamment solaire, éolienne et hydraulique.
Ces piliers technologiques forment désormais l’ossature des politiques énergétiques durables à l’échelle planétaire. Ils traduisent un changement de paradigme où l’investissement énergétique devient un levier central de résilience, de souveraineté et de décarbonation.
❖ Le déploiement des réseaux électriques intelligents (smart grids) permet une gestion dynamique et décentralisée des flux énergétiques, optimisant en temps réel l’adéquation entre l’offre et la demande.
❖ Les technologies de stockage de l’énergie, qu’il s’agisse des batteries lithium-ion, des stations de transfert d’énergie par pompage-turbinage (STEP) ou des solutions basées sur l’hydrogène vert, assurent la continuité de l’approvisionnement, notamment lors des baisses de production solaire ou éolienne.
❖ L’intégration croissante de l’intelligence artificielle et de la digitalisation des réseaux permet d’anticiper les pics de consommation, d’améliorer la prévision de la production et de réduire considérablement les pertes énergétiques.
En conjuguant flexibilité technologique, fiabilité opérationnelle et efficacité prédictive, ces innovations constituent les fondements d’un système énergétique moderne, résilient et durable.
❖ Le solaire photovoltaïque, en forte progression, devrait représenter à lui seul près de 80 % des nouvelles capacités de production installées à l’échelle mondiale au cours des cinq prochaines années, porté par la baisse continue des coûts, la modularité des installations et une demande en forte croissance.
❖ Longtemps marginalisée, la géothermie connaît un regain d’intérêt : sa capacité à fournir une énergie continue, non intermittente et faiblement carbonée en fait une solution prometteuse, notamment dans les régions à fort potentiel géothermique.
❖ Quant à l’hydroélectricité, elle conserve une place centrale dans les stratégies de stabilisation des réseaux. Associée aux stations de transfert d’énergie par pompage (STEP), elle joue un rôle essentiel de régulation, en compensant les fluctuations inhérentes aux productions solaires et éoliennes.
Ces trois filières, complémentaires par nature, forment un socle technologique cohérent sur lequel repose l’architecture énergétique de demain.
Le nucléaire et le gaz naturel apparaissent ainsi non comme des alternatives durables aux énergies renouvelables, mais comme des compléments essentiels dans la phase de transition. Leur fonction première consiste à garantir la sécurité d’approvisionnement, en particulier lors des périodes de faible production solaire ou éolienne, ou encore lors des pics de consommation.
Le nucléaire, grâce à sa capacité à produire en continu une électricité décarbonée, et le gaz, en tant qu’énergie de transition plus flexible, constituent ensemble un socle de stabilité indispensable pour accompagner l’intégration massive des énergies renouvelables intermittentes et sécuriser l’équilibre des réseaux.
En France, l’opérateur national EDF adapte désormais la production de ses centrales nucléaires en fonction des signaux du marché, réduisant temporairement sa production lors des périodes de prix négatifs afin de limiter les pertes financières. Cependant, cette dynamique de transformation s’accompagne de tensions sociales persistantes. La hausse continue des prix de l’électricité alimente un mécontentement populaire croissant, remettant en question l’acceptabilité sociale de la transition. Il devient donc impératif de compléter les politiques climatiques par des dispositifs de solidarité et de justice sociale, afin de ne pas faire peser les coûts de cette mutation sur les ménages les plus vulnérables.
Sur le plan social, elle transforme profondément le paysage de l’emploi. Les filières renouvelables, bien que génératrices d’emplois souvent plus durables et respectueux de l’environnement, exigent des compétences spécifiques et une reconversion professionnelle adaptée. Ainsi, la formation et l’accompagnement des travailleurs deviennent des enjeux cruciaux pour assurer une transition juste et inclusive.
Par ailleurs, l’accès équitable à l’énergie constitue une priorité incontournable. La transition doit impérativement intégrer les zones rurales et les populations vulnérables, afin d’éviter l’aggravation des disparités territoriales et sociales, garantissant ainsi une répartition harmonieuse des bénéfices énergétiques.
Enfin, sur le plan géopolitique, la montée en puissance des énergies renouvelables redéfinit les rapports internationaux. La dépendance croissante aux matières premières stratégiques, telles que les terres rares, les métaux essentiels à la fabrication des batteries et autres technologies vertes, engendre de nouveaux enjeux d’approvisionnement, de sécurité des chaînes logistiques et de coopération internationale. Ces défis imposent une gestion rigoureuse, fondée sur le respect des principes du commerce équitable et la diversification des sources d’approvisionnement.
Le Royaume du Maroc affiche désormais une ambition renforcée en matière énergétique, visant à atteindre 56 % d’énergies renouvelables dans son mix électrique d’ici 2027, surpassant ainsi l’objectif initialement fixé à 52 % pour 2030. Cette cible réaffirmée trouve confirmation dans le rapport sur les établissements publics (PLF 2025), qui souligne l’importance cruciale de cette transition accélérée.
b. Progrès chiffrés et réalisations tangibles
À la clôture de l’année 2023, la capacité installée en énergies renouvelables s’établissait à 4 607 MW, représentant environ 41 à 45 % du mix électrique national. En 2024, la puissance éolienne a connu une croissance notable, passant de 1 898 MW à 2 368 MW, soit une augmentation de près de 520 MW sur l’année. Par ailleurs, la capacité solaire installée s’élève à environ 831 MW, ce qui correspond à près de 7,3 % du mix électrique global. En l’espace d’une décennie, la capacité totale en renouvelables a quasiment doublé, passant d’environ 2 767 MW en 2015 à près de 5 466 MW en 2024.
c. Capacités d’accueil et perspectives d’investissements
Le système électrique national est projeté pour intégrer une capacité d’énergies renouvelables de l’ordre de 9 338 MW entre 2025 et 2029, dont 1 324 MW seront raccordés aux réseaux de distribution. Le Maroc s’engage parallèlement dans des investissements significatifs visant à renforcer les infrastructures de flexibilité, notamment le stockage d’énergie, les stations de pompage-turbinage (STEP) et les batteries, afin d’optimiser la résilience et la stabilité du réseau électrique national.
d. Enjeux et défis structurels à relever
Parmi les défis majeurs se distinguent :
❖ Le financement, nécessitant des capitaux colossaux mobilisant des partenariats public-privé, afin de soutenir le déploiement des infrastructures énergétiques ;
❖ L’intégration optimale du réseau, qui requiert une anticipation rigoureuse des capacités d’accueil pour prévenir les risques de saturation et de pertes énergétiques ;
❖ La desserte des zones rurales, où la garantie d’un approvisionnement fiable et abordable demeure essentielle pour réduire les inégalités territoriales ;
❖ Les contraintes climatiques et hydriques, particulièrement marquées par une sécheresse accrue et la limitation des ressources en eau, qui impactent certaines technologies
Le Maroc, fort des progrès significatifs qu’il a accomplis, avec une capacité renouvelable quasiment doublée, une expansion soutenue des énergies vertes, et une capacité d’accueil accrue, bénéficie d’un positionnement stratégique privilégié. À condition de maintenir ce rythme soutenu, de relever les défis qui subsistent, et de garantir une équité effective entre ses territoires, le Royaume pourra non seulement atteindre ses objectifs nationaux, mais aussi incarner un modèle exemplaire au sein de la région.
Le Maroc, grâce à une politique volontariste, des résultats quantifiables et une stratégie rigoureusement articulée, s’engage résolument sur la voie de la transformation énergétique. Toutefois, la réussite de ce parcours dépendra davantage de la concrétisation effective des engagements que des seules intentions proclamées, à travers des projets tangibles, inclusifs et déployés sur l’ensemble du territoire national.
Les années 2025 à 2030 s’annoncent décisives : elles détermineront si le Royaume s’inscrit durablement parmi les nations pionnières de la transition énergétique ou si, au contraire, il demeure dans une dynamique de rattrapage.