Dans sa publication The State of AI: How Organizations Are Rewiring to Capture Value (mars 2025), McKinsey Global Institute met en lumière l’impact croissant de l’intelligence artificielle sur les entreprises à travers le monde. L’enquête réalisée dans 101 pays, dont le Maroc, met en évidence que plus des trois quarts des entreprises ont intégré l’IA dans au moins une fonction contre un peu plus de la moitié l’année précédente. Cette adoption rapide transforme les modes de gouvernance et les processus organisationnels avec une implication de plus en plus forte des directions générales. Le rapport souligne qu’un peu moins du tiers des entreprises étudiées ont placé la supervision de l’IA directement sous la responsabilité de leur PDG.
L’adoption de l’IA par ces entreprises leur permet d’optimiser leurs opérations et d’améliorer leur compétitivité. OCP Group développe des solutions basées sur l’IA pour la gestion des ressources naturelles et l’optimisation de la chaîne d’approvisionnement, tout en proposant des innovations en agriculture intelligente. Attijariwafa Bank et BMCE Bank of Africa exploitent des algorithmes avancés pour automatiser la détection des fraudes et personnaliser les offres bancaires via des chatbots. Maroc Telecom et Inwi investissent dans l’optimisation de la gestion des réseaux et l’amélioration de l’expérience client à travers des assistants virtuels intelligents. Royal Air Maroc mise sur l’IA pour la planification des vols, la maintenance prédictive et l’optimisation des opérations aéroportuaires.
Ces avancées confirment la montée en puissance du Maroc dans la transformation numérique et sa capacité à s’imposer dans un paysage technologique de plus en plus compétitif. Cependant, cette dynamique pose la question de l’impact de l’IA au-delà des grandes entreprises. L’intelligence artificielle doit-elle rester l’apanage des grands groupes ou peut-elle réellement bénéficier à l’ensemble du tissu économique marocain, y compris aux PME et aux artisans qui constituent le socle de la société et de l’économie nationale ?
L’adoption de l’IA ne peut se faire efficacement sans une approche systémique qui prenne en compte l’ensemble des acteurs économiques. Comme je l’ai exposé dans une publication dédiée L’Approche Systémique : La Seule Voie pour une Intelligence Artificielle Souveraine et Performante au Maroc, cette transition doit être pensée dans un cadre global prenant en compte les interactions entre la technologie, l’économie et les transformations sociales. L’IA fonctionne dans un système ouvert, en interaction avec des plateformes et des régulations internationales, dans un système complexe où convergent plusieurs disciplines, et dans un système interactif qui évolue en fonction des besoins du marché et des retours d’expérience des utilisateurs.
Le rapport de McKinsey met également en évidence l’impact de l’IA générative sur les modèles économiques des entreprises. Si cette technologie est souvent perçue comme un levier de réduction des coûts, elle transforme surtout en profondeur les flux de travail et les modes de gouvernance. L’étude souligne qu’une entreprise sur cinq ayant adopté l’IA générative a déjà réorganisé sa structure, ce qui entraîne des gains significatifs en matière de productivité et d’efficacité opérationnelle. Toutefois, les entreprises doivent également anticiper les défis liés à cette transition, environ la moitié d’entre elles déclarent avoir subi des effets négatifs liés à l’IA, notamment en matière d’inexactitude, de cybersécurité et de respect de la propriété intellectuelle.
Les grandes entreprises marocaines ont bien compris ces enjeux et renforcent leurs capacités humaines pour accompagner cette mutation. OCP Group et Attijariwafa Bank recrutent désormais des ingénieurs en machine learning et des experts en analyse de données afin de développer des solutions adaptées à leurs besoins stratégiques. Maroc Telecom et Inwi ont renforcé leurs équipes en cybersécurité et en optimisation des infrastructures IA. Plus largement, la montée en compétence des équipes passe également par des programmes internes de formation à l’intelligence artificielle et à la gestion des risques numériques.
Si le rapport de McKinsey ne précise pas les montants d’investissement des entreprises marocaines dans l’IA, il met en évidence une tendance globale selon laquelle les entreprises allouent des budgets de plus en plus conséquents à ces technologies afin d’en tirer un avantage compétitif. Les économies réalisées à travers l’automatisation et l’optimisation des opérations sont progressivement intégrées aux stratégies d’investissement, ce qui témoigne d’un changement structurel dans la manière dont les entreprises abordent l’innovation technologique.
Cette transformation ouvre une réflexion plus large sur l’avenir de l’intelligence artificielle au Maroc. Si les grandes entreprises ont les moyens d’adopter rapidement ces technologies, qu’en est-il des PME et de l’artisanat qui jouent un rôle central dans l’économie marocaine ? L’IA peut-elle être un levier de croissance inclusif et contribuer à réduire la fracture numérique au sein des différents secteurs d’activité ? Comment s’assurer que les artisans et les petites entreprises puissent accéder aux bénéfices de l’IA sans être freinés par des barrières technologiques et financières ?
McKinsey Global Institute met ainsi en évidence une dynamique claire : les entreprises qui structurent leur approche IA autour d’une vision globale, d’une gouvernance forte et d’une réorganisation de leurs processus capturent davantage de valeur. Toutefois, la majorité des organisations restent encore en phase d’expérimentation et peu constatent un impact financier significatif à l’échelle de l’ensemble de leur structure.
L’IA générative n’en est qu’à ses débuts en termes de valeur capturée et les années à venir seront déterminantes pour voir si les entreprises parviennent à transformer cette technologie en un véritable moteur de croissance et de rentabilité.
Plus encore, la véritable question pour le Maroc est de savoir si cette transformation numérique peut réellement réduire les inégalités technologiques et permettre aux petits acteurs économiques de bénéficier eux aussi des opportunités offertes par l’intelligence artificielle. Une approche systémique bien pensée, qui prend en compte à la fois les grandes entreprises, les PME et l’artisanat, pourrait être la clé pour une transition inclusive et durable dans l’ère numérique.