L’avocat du diable : « Mais, qui occupe qui ? »

La question paraît presque absurde par sa simplicité. Elle ne devrait même pas se poser tant la réponse est évidente. Et pourtant, face à certains journalistes, il faut la marteler sans relâche, comme on enfonce une vérité dans un mur de mauvaise foi. Entre Palestiniens et Israéliens, qui occupe l’autre ?

On pourrait croire la question inutile, dérisoire. Mais lorsqu’un homme comme Mustapha Barghouti, médecin, militant infatigable de la résistance non-violente, figure de la lutte palestinienne, se voit contraint de la poser en direct à une journaliste, c’est bien que l’évidence n’en est plus une dans le récit dominant.
 
Depuis le début des massacres à Gaza, Barghouti enchaîne les entretiens, en arabe comme en anglais. Avec calme et précision, il documente les crimes, aligne les chiffres, expose les faits. Sa force est son sang-froid : il explique sans haine, mais sans concessions. Dans cet extrait, une journaliste arabe de la BBC Arabic s’obstinait à lui parler comme si elle représentait une chaîne israélienne. La scène est éloquente :
 
• MB : Savez-vous qu’il y a davantage de pays qui reconnaissent la Palestine qu’Israël ?
• Journaliste : Oui, mais cela ne change rien à la réalité pour les Palestiniens.
• MB : Ce qui change la réalité palestinienne, ce sont les Palestiniens eux-mêmes. C’est la résistance palestinienne qui va changer le monde, et non l’inverse.
• Journaliste : La lutte populaire détruit des camps palestiniens ; d’après Israël, des groupes armés expulsent des habitants…
• MB : Je ne sais pas si vous êtes journaliste israélienne à la BBC ou journaliste indépendante ? Pourquoi ne citez-vous que des sources israéliennes ?
• Journaliste : … Faire l’avocat du diable, c’est mon rôle de journaliste.
Dans cette dernière réplique, tout est dit.
 
Revendiquer d’être « l’avocat du diable » dans ce contexte, ce n’est pas incarner l’objectivité : c’est choisir son camp. C’est accepter de défendre la voix de l’oppresseur au nom d’un équilibre illusoire. C’est se réfugier derrière une neutralité trompeuse qui, au fond, consacre l’asymétrie la plus brutale : celle de l’occupant et de l’occupé.
 
 
Être journaliste, ce n’est pas mettre dos à dos bourreau et victime. Ce n’est pas relativiser la colonisation, les blocus, les bombardements, en les diluant dans une symétrie mensongère. L’objectivité n’est pas l’équivalence : elle est le courage de nommer les faits. De planter la plume dans la plaie.
 
Dans toute histoire, il existe des nuances. Mais dans une situation d’occupation coloniale, il existe aussi une réalité nue et indiscutable : il y a celui qui tient les clés et celui qui est enfermé. Il y a celui qui bombarde et celui qui enterre ses enfants. Il y a celui qui nie l’existence de l’autre et celui qui lutte simplement pour survivre.
 
Lorsque Mustapha Barghouti pose sa question, « Mais, qui occupe qui ? », il ne fait pas de rhétorique. Il rappelle la seule vérité qui devrait guider un journalisme honnête. Refuser de la reconnaître, c’est devenir complice de son effacement.

Se réfugier derrière l’alibi de « l’avocat du diable », c’est peut-être, sans le dire, reconnaître qu’on a déjà choisi son camp.
 
Et si l’on en juge par les derniers instants de l’extrait vidéo, la journaliste elle-même avait bien du mal à cacher son émotion, après avoir été recadrée par Mustapha Barghouti.
 
Extrait de l’entrevue ici: https://youtu.be/jjXgpQxt-s0?si=58-xo3mc-QSpnUxs
 

Mohamed Lotfi

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