​Le Maroc Face à Son Cri

Assez d’hôpitaux vétustes où l’on perd des vies qu’on aurait pu sauver. Assez de classes surchargées où l’avenir se dessèche avant d’éclore. Assez du fossé entre des chiffres macro-économiques flatteurs et la pauvreté qui demeure dans nos quartiers. Assez des budgets mal fléchés : on construit des monuments de prestige plus vite qu’on ne répare les dispensaires qui sauvent des vies. À quoi sert le prestige si la maternité du quartier manque d’incubateurs? À quoi sert la croissance si le village voisin n’a ni eau ni médecin ni prof de math? Le pays avance sur le papier ; la vie quotidienne, elle, reste à la traîne. Quand le macro-économique ne descend pas jusqu’au micro-économique, la confiance se brise.

La fin de septembre a vu surgir un cri. Nos enfants, nos petits frères et sœurs, la génération Z, sont sortis des écrans pour descendre dans la rue. En trois jours, du 27 au 29 septembre, Casablanca, Rabat, Marrakech, Tanger, Agadir, Fès ont grondé d’une même colère : « Nous voulons de la dignité ». Ils ont trouvé leur agora sur un simple lien Discord : “Gen Z 212”. Pas de chefs, pas de partis ; un rendez-vous lancé le matin, un point de ralliement annoncé deux heures avant. C’est cela, la jeunesse de 2025 : rapide, horizontale, méfiante des institutions.

Mais le Maroc ne s’est pas réveillé hier. Notre pays a des siècles : montagnes et plaines ont connu sécheresses, invasions, trahisons, renaissances. Nos parents et grands-parents savent ce que c’est que de patienter dans des dispensaires délabrés, d’apprendre sous des toits qui fuient. Ils ont porté les mêmes rêves de réforme, ils ont bâti ce Maroc, souvent en silence. S’ils n’ont pas toujours pris la rue, ce n’était pas par indifférence : ils construisaient, ils travaillaient, ils tenaient ce pays debout.
Si aujourd’hui une génération s’exprime, c’est aussi parce que les précédentes ont pavé le chemin de leur sueur.

Dès le premier jour, certains ont applaudi trop vite. Ils ont offert une scène, un mythe : celui d’une jeunesse héroïque, sauveuse du Maroc. Ils ont célébré sans questionner, comme si la sagesse et le patriotisme venaient de naître avec eux. À force de les hisser en icône, ils ont créé un monstre : un mouvement qui, dans certaines villes, a glissé du cri légitime à la destruction. Des bâtiments publics incendiés, des maisons et des voitures brûlées, des supermarchés pris d’assaut et pillés. Les images de certaines villes font peur.

Ceux qui ont sacré des héros sans réfléchir portent une part de responsabilité : ils ont donné l’estrade et la gloire, et c’est le chaos qui a répondu. Car un hashtag ne dit pas toujours qui l’amplifie ni pourquoi. Un appel viral n’a pas toujours des mains propres derrière l’écran. Il faut aussi dire que chaque colère populaire peut être manipulée. Au même moment, à Katmandou, à Manille, à Nairobi, ailleurs encore, on a vu le même scénario : une frustration réelle devient l’étincelle, des réseaux opaques y soufflent, la rue s’embrase, et parfois la cause initiale se perd dans le tumulte.

L’instrumentalisation peut venir d’intérêts électoraux internes ou d’agendas extérieurs ; la prudence n’est pas une trahison, c’est une nécessité. Ne laissons personne détourner cette clameur pour d’autres jeux.

La cause, elle, demeure juste : l’éducation, la santé, la dignité. Mais elle n’appartient pas à une seule génération. Dans chaque vidéo de ces jours-là, on voit des femmes et des hommes de trente, quarante, cinquante ans porter les mêmes mots. La génération Z n’a rien inventé : elle a crié avec insouciance ce que le pays réclame depuis longtemps.

Et pourtant la réponse des autorités fut aussi choquante que les émeutes : arrestations massives, force disproportionnée, une répression qui rappelle les heures les plus sombres de notre mémoire récente. On ne répond pas à un cri de dignité par la peur et les matraques ; on ne fait que creuser la fracture entre l’État et sa jeunesse. Le Maroc n’est pas deux camps, les jeunes dans la rue et les autres chez eux. Il n’y a qu’un seul Maroc, un seul peuple, une seule histoire. Il n’y a pas de héros désignés : il y a un pays qui mérite des hôpitaux qui soignent, des écoles qui préparent l’avenir, des emplois qui permettent de vivre dignement, mais aussi de la stabilité et du développement.

À nos jeunes : votre cri est juste. À nos dirigeants : écoutez-le avant qu’il ne devienne désespoir. Aux générations qui l’ont précédée : votre labeur a bâti les fondations sur lesquelles ce cri s’élève aujourd’hui.

Et à ceux qui, par un enthousiasme aveugle, ont dressé des statues trop tôt : souvenez-vous qu’un applaudissement peut devenir dangereux quand il ouvre la porte au chaos. À nous tous : restons vigilants ; que personne ne vole cette colère pour semer le chaos.

Le temps des promesses différées est terminé. Pour la justice sociale, pour l’avenir du pays, Assez.
 

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