Le Maroc, leader africain du dessalement, entre innovation technologique et développement durable

Contexte alarmant : sécheresse, changements climatiques et stress hydrique

Le royaume du Maroc traverse une crise hydrique persistante, exacerbée par une sécheresse historique, la surexploitation des nappes phréatiques et la raréfaction des précipitations. Le niveau des barrages nationaux reste préoccupant malgré une légère amélioration récente : en juin 2025, le taux de remplissage a progressé à 39,2 %, contre 31 % un an plus tôt. Cette situation compromet gravement l’agriculture, qui représente environ 80 % de la consommation d’eau du pays et emploie près d’un tiers de la population active.

Dans ce contexte, le dessalement de l’eau de mer apparaît comme une solution stratégique incontournable. Il vise à renforcer la résilience hydrique du pays, à réduire la pression sur les ressources conventionnelles et à garantir un approvisionnement constant pour les usages domestiques, agricoles et industriels.

Une stratégie nationale ambitieuse : programmation et objectifs chiffrés

Intégré dans le Programme national d’approvisionnement en eau potable et d’irrigation 2020-2027, le plan marocain prévoit la mise en service de plus de vingt stations de dessalement d’ici 2030, avec une capacité totale projetée de 1,7 milliard de mètres cubes par an.

À ce jour, 17 stations sont déjà opérationnelles, tandis que quatre sont en cours de construction et neuf autres en phase d’étude ou de planification. Cette dynamique traduit une volonté politique forte et une mobilisation institutionnelle soutenue en faveur de la sécurité hydrique à long terme.

Projets phares et technologies intégrées

Casablanca concentre le plus ambitieux des projets : la plus grande station de dessalement du continent africain. Lancé en 2024, ce chantier vise une capacité annuelle de 300 millions de mètres cubes, répartie en deux phases. Le coût global est estimé à 6,5 milliards de dirhams, auxquels s’ajoutent 3 milliards de dirhams pour les infrastructures annexes. Ce projet est réalisé dans le cadre d’un partenariat public-privé et fonctionnera intégralement à l’énergie renouvelable, assurant ainsi un coût de production compétitif estimé à 4,48 dirhams par mètre cube.

À Agadir, la station de Chtouka Aït Baha, en service depuis 2021, constitue déjà un modèle opérationnel. Produisant 275 000 mètres cubes par jour, elle dessert à la fois les ménages et les zones agricoles environnantes. Une extension est prévue pour atteindre une capacité de 400 000 mètres cubes par jour d’ici 2026.

Dans le sud, les villes de Dakhla et Laâyoune bénéficient également d’infrastructures stratégiques. La future station de Dakhla, prévue pour fin 2025, aura une capacité de 100 000 mètres cubes par jour. À Laâyoune, des extensions permettront de répondre à la croissance démographique et aux besoins agricoles.

À Safi et Jorf Lasfar, le groupe OCP pilote la construction de deux stations destinées à ses unités industrielles. Le groupe AMEA Power, en partenariat avec Cox, développe quant à lui la deuxième phase du projet de dessalement à Agadir. En parallèle, un programme d’interconnexion des réseaux hydrauliques est en cours, visant à acheminer l’eau dessalée vers les zones en tension. Ce projet prévoit notamment la construction de 1 400 kilomètres de lignes pour transporter l’électricité renouvelable nécessaire au fonctionnement des stations.
 

Analyse économique et durabilité

Le coût de dessalement au Maroc a considérablement diminué grâce aux économies d’échelle et à l’intégration des énergies renouvelables. Alors qu’il atteignait environ 0,75 dollar par mètre cube il y a une décennie, il se situe aujourd’hui entre 0,40 et 0,45 dollar, selon les sites.

Plus de deux milliards de dollars ont été investis à ce jour dans les infrastructures de dessalement, faisant du Maroc l’un des pays africains les plus avancés dans ce domaine. L’OCP prévoit, dans le cadre de son partenariat avec Engie, un investissement global de 17 milliards d’euros d’ici 2032, incluant des projets d’énergies vertes, de dessalement et d’hydrogène vert.

L’impact économique est significatif. Le tourisme, qui représente environ 7 % du PIB, bénéficie d’une sécurité hydrique renforcée, essentielle pour éviter les restrictions d’usage. De même, les zones agricoles irriguées, plus productives, voient leur stabilité renforcée, ce qui a un effet direct sur les exportations de fruits et légumes.

Cependant, les cultures pluviales, qui occupent encore 80 % des surfaces cultivées, demeurent vulnérables. Des investissements complémentaires dans l’irrigation goutte-à-goutte, le stockage et la réutilisation des eaux usées seront indispensables pour élargir l’impact positif du dessalement à l’ensemble du secteur agricole.
 

Recherche et innovation : vers une souveraineté technologique

Le développement du dessalement au Maroc s’appuie de plus en plus sur l’innovation locale. Plusieurs universités et centres de recherche, tels que l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P) ou l’Institut de recherche en énergie solaire et énergies nouvelles (IRESEN), travaillent sur l’optimisation des membranes, la réduction de la consommation énergétique et le traitement des saumures. Des startups marocaines explorent également des solutions innovantes comme le dessalement solaire, les capteurs intelligents pour la détection des fuites ou l’intelligence artificielle pour la gestion prédictive des réseaux. Cette dynamique de recherche vise à réduire la dépendance technologique vis-à-vis des fournisseurs étrangers, tout en adaptant les solutions aux spécificités climatiques et géographiques du pays.

Enjeux environnementaux et sociaux

Le recours au dessalement soulève également des préoccupations environnementales, notamment en ce qui concerne la gestion des saumures rejetées en mer. Ces rejets concentrés en sel peuvent perturber les écosystèmes marins si leur dispersion n’est pas rigoureusement contrôlée.

Par ailleurs, bien que les stations soient progressivement alimentées par des énergies renouvelables, le processus de dessalement reste énergivore. Une vigilance s’impose pour garantir que l’ensemble du cycle de production demeure aligné avec les engagements climatiques du pays.

Enfin, les enjeux de gouvernance et de justice sociale ne doivent pas être négligés. Le coût de l’eau dessalée, bien que compétitif sur le plan international, peut rester élevé pour certaines catégories de la population. Une tarification progressive ou subventionnée pourrait être envisagée afin d’assurer un accès équitable à cette ressource vitale.

Gouvernance et cadre réglementaire : un pilotage centralisé et multisectoriel

Le déploiement du dessalement au Maroc repose sur une gouvernance centralisée mais coordonnée entre plusieurs acteurs. Le ministère de l’Équipement et de l’Eau pilote la planification stratégique, en étroite collaboration avec l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE), qui joue un rôle clé dans la mise en œuvre des projets. Le secteur privé intervient via des partenariats public-privé, notamment pour la conception, la gestion et le financement des infrastructures. À l’échelle locale, les collectivités territoriales sont de plus en plus sollicitées pour adapter les projets aux réalités du terrain. Un cadre réglementaire spécifique encadre les normes de qualité, les rejets en mer, et la tarification de l’eau dessalée. Cette gouvernance intégrée est essentielle pour assurer la cohérence des investissements, la transparence des processus et l’adhésion des citoyens.
 
 
Acceptabilité sociale et résilience communautaire

Si la majorité des citoyens perçoit le dessalement comme une solution indispensable, son acceptabilité dépend aussi du coût final de l’eau, de la qualité du service rendu, et de la transparence dans la gestion. Dans certaines régions rurales, les attentes en matière de raccordement et d’équité territoriale sont fortes. Les autorités mènent ainsi des campagnes de sensibilisation sur les enjeux de la rareté hydrique et les bénéfices du dessalement. Des programmes d’accompagnement sont également déployés pour aider les agriculteurs à s’adapter aux nouveaux modèles d’irrigation reposant sur l’eau dessalée. Renforcer la participation des populations locales dans la définition des priorités hydrauliques constitue une étape clé vers une résilience communautaire plus inclusive.

Le Maroc dans le paysage international du dessalement

Avec ses projets de grande envergure, le Maroc s’affirme aujourd’hui comme un acteur de premier plan dans le paysage international du dessalement. À titre de comparaison, l’Espagne, leader européen en la matière, produit environ 500 à 600 millions de mètres cubes d’eau dessalée par an,  un niveau que le Maroc pourrait dépasser à l’horizon 2030 grâce à l’agrandissement de ses capacités. Contrairement à certains pays du Golfe, où le dessalement repose encore largement sur des énergies fossiles, le Maroc mise sur un modèle plus durable, fondé sur l’intégration des énergies renouvelables. Cette orientation lui confère un avantage stratégique, notamment dans le cadre de la coopération Sud-Sud, en tant que modèle de référence pour d’autres pays africains confrontés à des défis similaires.

Recommandations et statistiques clés : vers une gestion intégrée et inclusive de la ressource

Pour garantir la pérennité de la stratégie nationale de dessalement, plusieurs leviers complémentaires doivent être activés :

  Accroître les investissements en recherche et développement, notamment dans les technologies de membranes avancées et les énergies renouvelables. Certaines études montrent que les nouvelles générations de membranes permettent de réduire la consommation énergétique jusqu’à 30 % par rapport aux techniques classiques. Mettre en place des infrastructures intelligentes de gestion de l’eau, avec des capteurs, des logiciels de suivi en temps réel et de l’intelligence artificielle. De telles technologies peuvent économiser jusqu’à 20 % de l’eau perdue dans les réseaux. Réutiliser davantage les eaux usées traitées. Actuellement, seulement 10 % sont valorisées, mais un objectif réaliste de 50 % d’ici 2030 permettrait d’élargir l’offre en eau, tout en réservant l’eau dessalée aux usages prioritaires. Généraliser les systèmes de goutte-à-goutte dans les zones agricoles alimentées par de l’eau dessalée. Le Maroc n’a équipé à ce jour qu’environ 700 000 hectares sur un potentiel de 1,6 million. Or, ce type d’irrigation permet d’économiser plus de 50 % d’eau par rapport aux méthodes traditionnelles. Renforcer les programmes de sensibilisation, en particulier dans les zones rurales, afin de promouvoir un usage rationnel de l’eau et d’assurer l’adhésion des citoyens. Appliquer des normes strictes pour limiter l’impact environnemental du rejet des saumures et développer des technologies de valorisation de ces rejets. Encourager la coopération internationale et régionale pour favoriser le transfert de technologies, notamment entre pays africains partageant des enjeux similaires.

Par ailleurs, la demande en eau potable pourrait augmenter de 25 % d’ici 2030. Le Maroc devra anticiper cette pression croissante à travers une planification multisectorielle intégrée et résiliente.
 

​Conclusion : un modèle africain de résilience hydrique
Le Maroc se positionne aujourd’hui comme un leader régional en matière de gestion durable de l’eau. En misant sur une stratégie de dessalement intégrée, structurée et alimentée par des énergies propres, il bâtit les fondations d’une résilience climatique à l’échelle nationale. Cette politique s’inscrit dans une vision à long terme, combinant innovation technologique, partenariats stratégiques et anticipation des risques environnementaux. Si les défis demeurent, notamment sur le plan écologique et social, le royaume démontre qu’une gouvernance proactive et orientée vers la durabilité peut transformer une crise en opportunité de développement. À l’horizon 2030, le Maroc pourrait bien devenir un modèle de référence pour de nombreux pays confrontés à la raréfaction de l’eau, en Afrique comme ailleurs.

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