​Le mirage du robot-messie : quand la fiction déforme notre rapport à l’intelligence artificielle

Dans Le Roi des Robots ou le Dernier Humain, Fouad Souiba esquisse une fresque futuriste où l’IA redessine les règles du monde. Le roman raconte l’histoire d’un couple visionnaire, Rahil Shemsy et Arif Rebbah, qui ambitionne de révolutionner l’humanité grâce à un robot capable de « changer la face du monde ». Disparition, vertige de l’absence, quête de l’absolu… autant d’ingrédients qui plongent le lecteur dans une ambiance de science-fiction empreinte d’inquiétude existentielle.

Mais cette fiction palpitante soulève une question cruciale : que fait-elle au débat public sur l’intelligence artificielle ?

Le roman nourrit une vision souvent véhiculée par les médias : celle d’une IA toute-puissante, porteuse de vertiges technologiques et de risques d’effacement humain. Il installe un imaginaire où le robot devient une entité quasi divine, un démiurge numérique qui transcende l’histoire, les frontières, les peuples. Or cette représentation, aussi fascinante soit-elle, est profondément éloignée de la réalité des enjeux contemporains de l’intelligence artificielle.

Dans mes travaux, notamment dans L’intelligence artificielle au Maroc – Souveraineté, inclusion et transformation systémique, je défends une autre approche : l’IA n’est ni un mythe, ni une menace ontologique, mais un construit humain, sociotechnique, géopolitique. Ce ne sont pas les robots qui changeront la face du monde, mais les choix collectifs, les politiques éducatives, les éthiques de conception et d’usage, les souverainetés numériques ancrées dans les cultures locales.

La question posée dans le roman – « l’humanité est-elle prête à s’effacer ? » – est révélatrice d’un imaginaire de dépossession. Elle suppose que l’IA pourrait, de son propre chef, faire disparaître l’humain de la scène du monde. Mais c’est là une aberration conceptuelle. L’IA ne se développe pas hors-sol. Elle est conçue, entraînée, encadrée, régulée. Elle agit dans des contextes spécifiques – éducatifs, économiques, culturels – avec des finalités humaines.

Plutôt que de craindre l’effacement, posons la vraie question : comment inscrire l’IA dans des trajectoires humaines, solidaires, souveraines ? Et surtout : comment sortir des récits de science-fiction pour bâtir une intelligence artificielle enracinée dans la réalité des sociétés du Sud, au service de la justice, de l’inclusion, de la transmission ?

Le personnage du robot qui pourrait « tout changer » participe d’un vieux rêve transhumaniste, celui de dépasser l’humain par la machine, de guérir la mort, de résoudre les conflits par l’algorithme. Mais cette vision est non seulement scientifiquement infondée, mais aussi politiquement dangereuse.

Elle détourne notre attention des vrais enjeux : la formation des jeunes aux outils numériques, l’éthique des données, la fracture technologique, la souveraineté cognitive et informationnelle. Elle masque les dynamiques de pouvoir à l’œuvre derrière les plateformes, les infrastructures, les normes. Elle nous prive de notre capacité d’agir, de penser, de gouverner.

Il est légitime que la littérature explore les vertiges de la technologie. Mais il est urgent, à côté de ces fictions dystopiques, de construire des récits alternatifs : des récits de résilience, de coopération, d’appropriation locale. Des récits où l’IA ne vole pas l’humanité, mais la prolonge dans sa diversité et sa dignité.

C’est ce que je m’efforce de proposer à travers mes livres, mes enseignements, mes projets de terrain. Penser l’IA depuis le Maroc, depuis l’Afrique, depuis l’héritage des Maâlams et des savoirs artisanaux, c’est affirmer que l’intelligence n’est pas que calcul, mais aussi mémoire, lien, soin, sagesse.

Le vrai risque n’est pas que l’humanité s’efface. Le vrai risque est qu’elle cesse de croire en sa propre capacité à façonner son destin.

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