Personnellement, je trouve au contraire, qu’on devrait le réinviter aussi souvent que cela est possible.
La raison en est simple : peu importe les questions posées, plus cet homme parle de sa vision d’un monde plus juste, plus démocratique, plus il s’enfonce dans un ridicule qui tue sa crédibilité. Ces mots qu’il utilise comme une arme, reconnait-il lui-même, sont en train de tourner contre lui. Dans le contexte d’un génocide qu’il persiste à nier, ce qu’il croit être le « pouvoir des mots » devient, dans sa bouche, la fin des mots.
Cet homme se lève chaque matin en se demandant : « Que puis-je faire aujourd’hui pour la survie d’Israël ? ». Un pays dont il n’a jamais dénoncé les crimes contre l’humanité. Une puissance occupante dont il refuse de reconnaître le caractère fondamentalement colonial. Cela dit, il n’a pas tout à fait tort d’associer le sort d’Israël à celui de l’Europe. C’est cette dernière qui l’a mis au monde. Cet homme a déjà exprimé clairement, dans un texte publié en 2016 dans Le Monde, au lendemain de la victoire du Brexit, sa peur de voir la fin de l’Europe entrainer celle d’Israël.
Aujourd’hui, avec la folie destructrice d’Israël à Gaza, il est obligé d’appréhender, au moins en silence, que c’est peut-être la fin d’Israël qui annonce le début de la fin de l’hégémonie européenne, occidentale sur le monde. Pour retarder l’inéluctable, Bernard-Henri Lévy, en faux Don Quichotte des temps modernes, se donne une mission, celle de poursuivre sa guerre… contre les mots.
« Le plus beau métier d’homme est le métier d’unir les hommes. » Antoine de Saint-Exupéry
Des centaines de milliers de mots ont été mobilisés dans La guerre sans l’aimer (640 pages), paru en 2012, pour nous faire accepter l’inacceptable : une guerre, menée au nom de principes humanitaires, qui a fait des milliers de victimes civiles innocentes.
Ce livre est l’une des plus grandes trahisons qu’un homme de mots ait pu faire aux mots. « Père », « terre », « désert »… sont parmi les mots-clefs que BHL utilise avec soin. Il choisit la forme du journal pour raconter la guerre au quotidien. Il ne prétend pas en être un simple témoin : il revendique son rôle d’acteur.
Autant d’effort, autant de passion dans le choix des mots… pour justifier l’injustifiable. La guerre sans l’aimer, c’est le service après-vente d’un carnage, une tentative de le rendre humainement acceptable. Un surplus de paroles pour anesthésier toute critique, toute mauvaise conscience. Une mise en scène surmédiatisée pour effacer toutes les autres options, sauf la guerre. Malraux a perdu celle d’Espagne. BHL voulait gagner celle de Libye.
Mais à quel prix ? Combien de morts ? Et combien de mots ?
Qu’un politicien abuse des mots, cela fait partie du métier. Nous avons appris à faire le tri. Mais qu’un homme de mots magnifie la guerre tout en prétendant ne pas l’aimer, c’est une insulte à la mémoire de tous ceux qui l’ont combattue par les mots. Qu’un intellectuel, supposément libre de toute allégeance, se mette au service d’une machine de guerre, avec pour conséquence le chaos, l’installation d’un régime islamiste en Libye, aucun mot ne peut justifier cette mascarade.
À elle seule, la barbarie avec laquelle on a mis fin à Kadhafi reflète le caractère assassin d’un homme de guerre déguisé en homme de lettres.
Comment expliquer, et avec quels mots, cette soudaine réconciliation des régimes occidentaux, dont le Canada, avec les mouvances islamistes en Lybie et en Syrie ? Vous ne trouverez pas la réponse dans les livres de BHL. Dans ses pages et dans ces entrevues, les islamistes terroristes d’hier deviennent des résistants qu’il faudrait soutenir. Pour lui, au Nigéria, ils sont terroristes. En Libye, ils sont héros. En Iran, ils sont terroristes, en Syrie, ils sont des sauveurs. Ce n’est pas dans ces livres que vous apprendrez que les puissances occidentales n’ont jamais réellement rompu leur alliance avec les islamistes. Que ces derniers ont toujours constitué le meilleur rempart contre la démocratie dans le monde arabe.
Le printemps arabe a fait surgir cette menace : celle d’un peuple souverain, d’une parole libre. Ce danger, le vrai, n’a jamais été celui qu’on nous a présenté.
Dans tous ses livres, dans toutes ses entrevues, jamais BHL n’admettra que le seul danger que redoutent les régimes occidentaux, c’est l’arrivée au pouvoir des démocrates arabes et africains. Avec raison, Pascal Boniface l’a nommé : un intellectuel faussaire.
Après 2011, les peuples arabes ont vu, impuissants, la montée fulgurante des islamistes aux pouvoirs. Les opinions occidentales, surprises, se sont agitées. Mais les mots, même les plus brillants, n’ont pas suffi à prévenir, ni à expliquer. Et pour cause : très peu d’espace leur était accordé dans les médias de masse. Les médias-mensonges, que Michel Collon a dénoncés, étaient trop occupés à donner la parole aux BHL de ce monde. Pour que la confusion continue de régner. Pour que rien ne change dans ce monde arabe qu’on aime bien voir, divisé, sous-développé, sous-éduqué, islamisé!
Quand les mots servent à cacher, à mentir, à diviser, à instrumentaliser, ils cessent d’exister. Quand les mots servent à glorifier la guerre, ils ne font que se trahir. Mine de rien, ils tuent. À quoi servent les mots, quand ils ne servent qu’à nourrir l’ambiguïté, le cynisme, la résignation devant un génocide? Quand ils nous rapprochent, chaque jour un peu plus, de la fin ?
À défaut d’une fin du monde, c’est une fin des mots qui nous menace.
À nous de les reprendre. De les soigner. À nous de les répandre, inlassablement. Je parle ici des mots qui inspirent l’universel, des mots qui rassemblent les différences, des mots qui touchent les cœurs ennemis, des mots qui engagent l’action pour le bien commun, pour la paix, des mots qui refont le monde, des mots qui marchent sur l’eau.
Oui, je parle de ces mots qui ont le pouvoir de faire des miracles.
Aux mots de BHL, j’oppose ceux de Darwich.
Quand tu prépares ton petit déjeuner,
Pense aux autres,
N’oublie pas le grain aux colombes
Quand tu mènes tes guerres, pense aux autres,
N’oublie pas ceux qui réclament la paix
Quand tu règles la facture d’eau, pense aux autres
Qui tètent les nuages
Quand tu rentres à la maison, ta maison
Pense aux autres
N’oublie pas le peuple des tentes
Quand tu comptes les étoiles pour dormir,
Pense aux autres,
Certains n’ont pas le loisir de rêver
Quand tu penses aux autres lointains,
Pense à toi,
Dis-toi: Que ne suis-je une bougie dans le noir?
فكِّر بغيركَ
وأنتَ تُعِدُّ فطورك، فكِّر بغيركَ
لا تَنْسَ قوتَ الحمام
وأنتَ تخوضُ حروبكَ، فكِّر بغيركَ
لا تنس مَنْ يطلبون السلام
وأنتَ تسدد فاتورةَ الماء، فكِّر بغيركَ
مَنْ يرضَعُون الغمامٍ
وأنتَ تعودُ إلى البيت، بيتكَ، فكِّر بغيركَ
لا تنس شعب الخيامْ
وأنت تنام وتُحصي الكواكبَ، فكِّر بغيركَ
ثمّةَ مَنْ لم يجد حيّزاً للمنام
وأنت تحرّر نفسك بالاستعارات، فكِّر بغيركَ
مَنْ فقدوا حقَّهم في الكلام
وأنت تفكر بالآخرين البعيدين، فكِّر بنفسك
قُلْ: ليتني شمعةُ في الظلام