Le 29 août 2025, dans une interview au Monde, Emmanuel Métais, directeur général de l’EDHEC, a tiré la sonnette d’alarme : « certaines business schools n’échapperont pas à la faillite ». Cette déclaration reflète la crise profonde que traverse le modèle français des écoles de commerce : hausse continue des frais de scolarité, dépendance fragile au financement public de l’apprentissage et sous-remplissage préoccupant de plusieurs établissements.
Le Maroc, une implantation sélective et fragile
Dans ce contexte, plusieurs écoles françaises ont cherché à s’implanter au Maroc. Mais contrairement à l’image véhiculée, il ne s’agit pas d’investissements directs des maisons-mères françaises : la plupart fonctionnent grâce à des partenariats locaux ou des structures sous licence, avec un engagement financier limité.
– ESSEC Africa (Rabat – Sidi Bouknadel) : un des rares cas d’implantation officielle, mais qui ne dispose pas d’un corps professoral comparable à celui du campus de Cergy-Pontoise. L’essentiel des enseignements repose aussi sur des vacataires.
– TBS Casablanca : fonctionne sur un modèle partenarial en lien avec la Chambre Française de Commerce et d’Industrie du Maroc. L’école prête sa marque et son expertise, mais l’investissement immobilier et académique reste limité.
– emlyon business school : a ouvert un campus à Casablanca en 2018, mais l’a fermé dès 2023. Restent seulement quelques programmes exécutifs, comme l’Executive MBA en partenariat avec Centrale Casablanca.
– HEC Paris : n’a jamais ouvert de campus au Maroc. Elle intervient uniquement via des programmes exécutifs ponctuels (UM6P, entreprises marocaines).
Un corps professoral précaire et sous-qualifié
Contrairement à la France, où les business schools investissent massivement dans le recrutement de professeurs permanents hautement qualifiés (docteurs, HDR, chercheurs publiant dans des revues internationales), les implantations marocaines ne suivent pas ce modèle.
– Elles s’appuient très largement sur des vacataires, souvent des professionnels locaux ou des enseignants occasionnels.
– Ces intervenants ne disposent pas toujours du niveau académique requis pour garantir une production scientifique et une pédagogie au niveau des standards internationaux.
– Le résultat est une qualité d’enseignement inégale, bien en deçà de ce que l’on peut attendre des campus français.
Le jeu des marques et les ambiguïtés
Cette logique fragilise les implantations et explique certains retraits rapides, comme celui d’emlyon. Elle entretient aussi des confusions : des établissements marocains utilisent des noms prestigieux, tels que “HEC Maroc”, sans aucun lien avec HEC Paris. Ces pratiques nourrissent l’ambiguïté et peuvent tromper étudiants et familles.
La concurrence locale reconnue
Face à ces implantations fragiles, les écoles marocaines établies conservent un rôle stratégique :
– ISCAE et le réseau ENCG, institutions publiques, continuent de former des cohortes solides et reconnues par l’État.
– ESCA est accréditée AACSB et AMBA, ce qui en fait une référence au niveau africain.
– HEM, école privée marocaine fondée en 1988, a rejoint en 2019 le réseau LCI Éducation (Canada). Elle bénéficie d’une ouverture internationale, mais reste confrontée au même défi que d’autres établissements : une forte dépendance aux vacataires et un manque d’investissement dans un corps professoral permanent de haut niveau.
Conclusion : vigilance et lucidité
– Aucune implantation française au Maroc ne reproduit le modèle académique de la maison-mère en France.
– Même l’ESSEC, malgré son statut officiel, ne dispose pas d’une équipe professorale à la hauteur de sa marque.
– TBS et emlyon fonctionnent via des partenariats locaux, avec des vacataires en majorité.
– HEC Paris se limite à des interventions ponctuelles.
– HEM, bien qu’intégrée à un réseau canadien, reste fragile sur le plan académique.
– Enfin, des écoles locales utilisent abusivement des appellations prestigieuses, entretenant une confusion trompeuse.
Pour les étudiants et leurs familles, la vigilance est essentielle : il faut non seulement vérifier l’affiliation réelle et la reconnaissance du diplôme, mais aussi la qualité effective du corps professoral. Derrière le prestige d’un logo, l’investissement académique réel peut être faible.