Les grandes lignes du plan gouvernemental qui inquiète les syndicats

Telle que conçue initialement, la réforme des retraites exige des sacrifices tout en miroitant des acquis pour sauver les caisses. Un plan difficilement envisageable pour les syndicats. Décryptage.

La dernière rentrée politique du gouvernement s’annonce ardue. Cette année, il n’y a pas d’échappatoire. L’Exécutif se voit obligé de boucler l’épineuse réforme des retraites avant la fin de son mandat. 

Il n’y a plus le luxe de choix. Le report n’est plus envisageable d’autant plus que la généralisation de la retraite fait partie des piliers de la protection sociale universelle. Selon le calendrier initial, la réforme aurait dû être votée lors de l’année législative précédente. Il n’en est rien, tellement les divergences avec les syndicats sont abyssales. 

Pour ménager les susceptibilités des uns et des autres, le gouvernement tempère ses ardeurs avant de faire une proposition. Jusqu’à présent, on essaye de se mettre d’accord sur un diagnostic clair de l’état du système qui conviendrait à tout le monde. Chose ardue. Selon nos informations, le gouvernement s’apprête à nouveau à réunir les partenaires sociaux dans le cadre de la commission nationale après le round de juillet qui n’a mené nulle part sauf à un échange cordial dans les apparences où on a évité d’aborder les questions qui fâchent, ô combien nombreuses. 

Un système inégalitaire à bout  de souffle !

Cette fois, il ne s’agit pas d’un réglage paramétrique comme ce fut le cas en 2016 en vertu duquel on a augmenté l’âge légal de départ à la retraite à 63 ans et les cotisations de 20% à 28% dans le secteur public tandis que le privé est resté en stand-by. 

Cet ajustement n’a servi qu’à allonger la durée de vie du régime des pensions civiles (Caisse Marocaine des Retraites – CMR) à 2028 au lieu de 2022. Mais, cela n’a pas suffi pour régler le problème à la racine. Les caisses sont aussi menacées de faillite qu’avant. Bien qu’il ne soit pas définitif, le diagnostic élaboré par un cabinet d’études, dont « L’Opinion » détient copie, donne un aperçu assez clair. 

La CMR est menacée de faillite avec un déficit record de 7,8 milliards de dirhams. Les réserves estimées à 68 milliards de dirhams devraient s’épuiser en 2028. Les déséquilibres ont commencé depuis 2014. La situation est moins critique dans le secteur privé. La CNSS est à l’abri de la faillite à court terme. Elle ne devrait épuiser ses réserves, selon les estimations, qu’en 2038. La situation s’est améliorée avec la généralisation de l’AMO et l’intégration des travailleurs non salariés dont les cotisations ont renfloué les caisses.  Pour ce qui est du Régime Collectif d’Allocation de Retraite (RCAR), la situation est bien plus confortable avec 135 milliards de dirhams de réserves épuisables en 2052. 

Bien que les régimes n’aient pas la même situation, mais le système dans son ensemble pose problème avec des déséquilibres structurels qui génèrent des injustices.  Force est de constater que 6,3 millions de Marocains, soit 54% de la population active, ne bénéficient d’aucune pension. Ce chiffre a baissé après  la révision du seuil minimal de jours travaillés pour accéder à la retraite de 3240 à 1320 jours.  Pire, entre le privé et le public, les écarts de pensions sont extravagants. En gros, on compte 970.000 fonctionnaires retraités qui sont tout de même privilégiés par rapport aux salariés du privé, plus nombreux (3,5 millions). 
   
Le plafond de la retraite dans le privé demeure largement inférieur au public pour des raisons comptables.  Jusqu’à présent, un salarié d’une entreprise part à la retraite à 60 ans après avoir cotisé à hauteur de 11,89 % tandis qu’un fonctionnaire part à 63 ans en payant 28% de cotisations. Le fonctionnaire paye la moitié des charges sociales (l’autre moitié payée par l’Etat) alors que le salarié paye un tiers, les deux tiers restant étant pris  en charge par l’employeur. 

Sans retraite complémentaire, les salariés ne peuvent pas avoir une pension supérieure à 6000 dirhams alors que les agents de l’Etat et des fonctionnaires ont l’avantage d’avoir une pension déplafonnée qui  peut aller au-delà de 19.000  dhs. 

Le plan envisagé 

Pour l’instant, on se dirige vers un redressement complet pour aboutir à un système unifié. C’est en tout cas l’orientation du gouvernement sur la base des recommandations de la plupart des experts et des cabinets d’études. Le rapport susmentionné va dans ce sens. On préconise un régime unique à deux pôles (public et privé) avec une dose de capitalisation. Jusqu’à présent, le Maroc fonctionne avec un régime par répartition où les actifs payent pour les retraités. Cette solidarité étant menacée par la stagnation démographique, on privilégie d’introduire la capitalisation obligatoire. Désormais, chaque retraité devrait avoir une pension de base, en plus d’une autre complémentaire qu’il doit souscrire obligatoirement. Unique moyen, estime-t-on, pour revaloriser les pensions des Marocains qui sont de plus confrontés à la cherté de la vie. Seuls les travailleurs non salariés et les activités libérales auront le choix de souscrire ou non à une retraite complémentaire.  

Là, ce n’est que le cadre général. Concernant les mesures concrètes, la recette conseillée au gouvernement risque de mécontenter les syndicats. La réforme exige des sacrifices et, évidemment, des arbitrages épineux. Relèvement de l’âge de départ à la retraite à 65 ans pour tout le monde, y compris au privé, hausse des cotisations et gel des pensions pendant 10 ans après l’entrée en vigueur de la réforme, voilà la recette controversée. La rejetant d’emblée, les syndicats l’appelant le triangle maudit et ne veulent pas en entendre parler.

A travers ces mesures drastiques, le gouvernement cherche, théoriquement, à garantir, d’abord, la durabilité des caisses dans le cadre d’un régime unique, alléger le fardeau financier sur les épaules de l’Etat et, surtout, protéger la compétitivité des entreprises.   On miroite, en revanche, les effets vertueux d’un tel redressement en matière d’équité. La fusion des régimes permettrait d’équilibrer les pensions entre les secteurs privé et public. La moyenne d’une pension d’un fonctionnaire est de 7873 dirhams alors qu’un salarié touche en moyenne 2022 dirhams. Les membres de la RCAR perçoivent, pour leur, une pension moyenne de 5678 dirhams. 

À cet instant, ces projections demeurent théoriques. Le gouvernement tente de se donner une marge de manœuvre pour pouvoir trouver un terrain d’entente avec les partenaires sociaux ; ça grimace du côté des syndicats qui n’ont eu de cesse de répéter qu’ils n’accepteront aucun sacrifice. L’UMT et la CDT se montrent catégoriques et appellent incessamment à désigner les responsables de la situation délicate du système. Pour celles-ci, il faut aller chercher ses sous ailleurs, les travailleurs n’ont pas à payer le prix d’une mauvaise gouvernance qui a conduit le système à l’impasse. 
  
Par contre, l’UGTM, qui se veut un syndicat réformiste, tient un discours modéré sans rien concéder sur le principe. Pour le bras syndical de l’Istiqlal, pas question d’accepter une réforme sur le dos des travailleurs. Pour sa part, le patronat ne parle que de compétitivité. Seules comptent les cotisations patronales. En somme, l’équation est plutôt complexe. Mais, tout demeure négociable, notamment l’âge de départ à la retraite qui peut faire l’objet de dérogations. On parle, par exemple, de critères de pénibilité pour les métiers difficiles. 

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