L’entrée en vigueur du règlement européen sur l’intelligence artificielle (IA Act) le 2 août 2025 ouvre un nouveau chapitre dans la bataille mondiale autour de la régulation du numérique. Ce bras de fer entre l’Europe et les États-Unis ne doit pas être lu comme un affrontement lointain : il interpelle directement les pays du Sud, et en particulier le Maroc, qui cherche aujourd’hui à construire une trajectoire numérique souveraine, éthique et inclusive.
Google signe à reculons. Meta refuse ostensiblement. OpenAI tergiverse. Le Vieux Continent, seul sur le front normatif mondial, fait face à un lobbying technologique agressif et à des tactiques de contournement, notamment via le déploiement de chatbots personnalisés peu encadrés sur les réseaux sociaux.
Mais le Royaume avance. Il adopte une stratégie d’IA nationale, il affirme sa souveraineté numérique, et participe à des coalitions africaines et euro-méditerranéennes. La question est désormais stratégique :
Quelle ligne suivre entre l’Europe régulatrice et l’Amérique dérégulée ?
La réponse ne peut être un simple alignement. Le Maroc doit bâtir un modèle propre, qui conjugue :
– la protection des droits fondamentaux, à l’européenne,
– l’agilité entrepreneuriale, à l’américaine,
– et les valeurs culturelles, sociales et spirituelles du Sud.
Le Sud global, zone grise ou futur laboratoire ?
Ce débat concerne l’ensemble des pays du Sud, trop souvent relégués au rang de marchés tests ou de réservoirs de données. Pourtant, c’est en Afrique, en Amérique latine ou en Asie du Sud que les effets de l’IA seront les plus profonds : sur l’éducation, la culture, la santé, la langue, l’identité.
Le Maroc, par sa position géopolitique unique et son capital humain diasporique, peut jouer un rôle de pont entre régulation européenne et innovation émergente du Sud. Il peut défendre un cadre normatif adapté, une IA décoloniale, souveraine, multilingue et socialement utile.
Pour les pays du Sud, et pour le Maroc en particulier, cela pose une question majeure :
Comment protéger nos voix, nos œuvres, nos imaginaires face aux modèles qui s’entraînent sur nos productions sans retour ni reconnaissance ?
Il ne s’agit pas seulement de protéger les artistes, mais de préserver notre souveraineté cognitive et culturelle.
– Définir un cadre juridique clair et souverain,
– Encadrer les usages des IA dans l’éducation, la culture et les services publics,
– Promouvoir une intelligence artificielle éthique, inclusive et en phase avec nos réalités.
l’IA, levier d’indépendance ou nouvelle dépendance ?
L’IA Act est un signal fort, mais ce n’est pas une fin en soi. Les États-Unis, par leur puissance économique et culturelle, continueront de défendre leur hégémonie. L’Europe cherche à équilibrer innovation et valeurs. Mais le reste du monde doit sortir du rôle passif.
Le Maroc a l’occasion historique de proposer un modèle alternatif, entre vigilance éthique, audace entrepreneuriale, et enracinement civilisationnel. Il est temps pour nous, pays du Sud, de réguler l’intelligence artificielle sans copier les autres, mais en pensant depuis nous-mêmes.