Parti le 6 octobre, il avait 84 ans. L’artiste aura contribué à l’épanouissement d’un art marocain nouveau aux côtés de Belkahia, Atallah, Melehi, Chebaâ et Hafid. Leur « Ecole de Casablanca » est le témoin nodal d’une création postcoloniale majeure. Avec le concours de la galerie 38, Hamidi fait récemment un retour fracassant, ne changeant pas grand-chose à ses vieilles amours, éros peut le confirmer. Plus de soixante années de créativité dans une discrétion maladive. Aujourd’hui, son nom ruisselle de souvenirs désordonnés, juxtaposés, emplis de bruits sourds.
Sorti momentanément de ses préoccupations premières et éternelles, il plonge dans les méandres de l’Afrique dans les années 1980, convoquant masques et signes. Il y cligne de l’œil à Farid Belkahia, son vieil ami de lutte contre l’incarcération de l’art marocain dans le carré naïf cher à un Occident géré par l’étiquetage et frileux face au développement de nouvelles sensibilités de création et de mise à l’épreuve sudnord. Ceci a lieu en 1969 lorsqu’une poignée d’enseignants à l’Ecole des Beaux-arts de Casablanca rejoints par d’autres plasticiens d’un mouvement nouveau se donnent rendez-vous sur la place Jamaâ El Fna à Marrakech, scellant ainsi un manifeste historique : Belkahia et Hamidi, Hafid et Chabaâ, Melehi et Ataallah. L’émergence veut devenir ancrage, révoquant « le tout dans un même sac » au profit d’interventions individuelles. L’Ecole dite de Casablanca en découle et voit s’arrimer à ses revendications d’autres futurs grands noms de l’univers plastique marocain. Hamidi et quelques-uns de ses compagnons militants sont repérés et consacrés, Mohamed Kacimi dans le sillage. Le travail saisissant de Hamidi renvoie à l’histoire, au songe et à la réhabilitation de ceux qui ont lutté pour que la suite soit féconde. Il partage massivement tout un cheminement où ses camarades de l’époque -morts ou vivants- souhaitent la bienvenue aux nouveaux venus. Un cœur grand comme ça est une leçon non académique de ce qu’est le vivre ensemble artistique. Nous ne sommes pas dans l’adversité, plutôt dans la compréhension avec toute sa complexité.
Centre George Pompidou
Dans le viseur de Hamidi, il y a cette toile immaculée qu’il s’empresse à faire frémir par le vacarme d’un sujet qui habite ses neurones des jours et des nuits durant. L’art n’est pas conditionné, cela s’entend. Il est aussi diurne que nocturne. Cette vie, ainsi vécue et transmise, finit par aimanter. Pour preuve, l’acquisition de deux de ses œuvres par le Centre parisien George Pompidou. Dans une introduction, le conservateur de cet espace, critique d’art et professeur de l’art à l’Université de la Sorbonne, Michel Gauthier, écrit : « Mohamed Hamidi est l’un des peintres de l’Ecole de Casablanca, voilà ce que l’histoire pourrait se contenter de retenir, lui assurant ainsi une place de choix dans le récit, pluriel, d’une modernité post-coloniale. Pourtant, ce qui fait l’intérêt de son œuvre ne saurait se confondre totalement avec son exemplarité au sein du paradigme esthétique qu’a défini l’Ecole de Casablanca.
Pour le dire autrement, Hamidi est peut-être moins vu aujourd’hui comme l’un des plus grands représentants de ladite Ecole que comme le peintre qui a réalisé à l’extrême fin des années 1960 et au tout début de la décennie suivante une série d’œuvres dans laquelle la superbe abstraction ‘hard-edge’ caractéristique de l’Ecole se marie, dans des couleurs désormais plus vives, à l’exaltation d’une thématique organique et sexuelle. Assurément, la symbolique sexuelle n’est pas absente de la poétique de Belkahia et de Melehi, mais, dans la peinture que produit Hamidi durant ces années-là, elle prend une flagrance et un tour étonnants. » En gardant en mémoire sa période cubiste traduite par un portrait de Pablo Picasso. Désormais, il vole sans destination indiquée.